La fin de l’Hospitalité ?


Solène Méric

La fin de l'Hospitalité ?

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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 11/04/2017 PAR Solène MÉRIC

Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc, philosophes, sont les auteurs du livre « La fin de l’hospitalité. Lampedusa, Lesbos, Calais… Jusqu’où irons-nous? », publié en début d’année. Un thème de l’hospitalité qui était au cœur des échanges de la soirée organisée par l’association Les Bruits de la Rue, le 6 avril dernier au Musée d’Aquitaine. Pour en parler au côté des philosophes, des actrices de terrain : Amal Abdou El Ghait, Représentante nationale du Secours islamique et Véronique Fayet, Présidente du Secours catholique France.

Hospitalité poiltique vs hospitalité éthique

Si l’objet des échanges était une question – « La fin de l’hospitalité ?» – la rhétorique interrogative n’aura pas fait long feu. Tant des observations et réflexions des philosophes, qui pour l’écriture de leur ouvrage se sont déplacés dans plusieurs camps de réfugiés à travers l’Europe, que du quotidien des associations qui aident les personnes déplacées à Calais notamment, la réponse ne fait pas de doute. Oui, l’hospitalité disparaît ; « l’hospitalité politique », en tout cas. L’hospitalité citoyenne ou éthique, elle, « est plus forte que jamais insiste à plusieurs reprises » Véronique Fayet.
Mais avant tout, souligne Guillaume Le Blanc et Fabienne Brugère, il faut se souvenir que l’hospitalité se compose de deux dimensions: le secours et l’accueil. « Dans le meilleur des cas, on arrive encore à peu près à secourir, c’est à dire qu’il reste encore du côté des gouvernants, une idée de scandale à laisser mourir des populations. Mais ce qui est flagrant aujourd’hui, c’est que nous n’arrivons plus à accueillir. L’accueil c’est la possibilité d’un pont entre la vie d’avant et la vie d’après. Mais, il ne peut pas y avoir d’accueil, et donc d’hospitalité sans création de lieu, sans création de dispositif pour prendre soin. De ce point de vue, il y a une réelle différence entre l’hospitalité éthique et l’hospitalité politique. » La philosophe poursuit : « Il y a un travail de citoyens, de structures associatives en faveur de l’accueil qui essaie de rappeler au politique cette exigence de création de lieu pour les populations qui n’ont plus où vivre et exister. Mais créer la possibilité d’un accueil par des structures pérennes, ça passe d’abord par la préparation de lois, de règlements… ce qui ne se fait pas. » Pire, constatent les intervenants, il y a une négation de la situation, comme un enfermement volontaire de ces personnes déplacées dans une invisibilité. Or comme le rappelle Guillaume Le Blanc, « on existe par sa naissance mais aussi par le regard de l’autre. Rendre ces gens invisibles, c’est les soustraire à ce regard, ça revient à les nier en tant que personnes. »

« Les gens sont chassés comme des animaux »

Véronique Fayet, le confirme vigoureusement : « A Calais, on vit l’écartèlement entre l’hospitalité éthique qui se développe de manière extraordinaire depuis 20 ans et la fin de l’hospitalité publique. Les pouvoirs politiques successifs veulent nous condamner, nous, associations, à un simple rôle de secours. En 2015, il y a avait des migrants un peu partout dans et autour de Calais. L’Etat et la Mairie ont poussé à leur rassemblement dans la jungle, où il n’y avait rien pour vivre convenablement. Ce sont les associations qui ont mis l’Etat devant le Tribunal administratif, pour dire le droit. Et ce n’est qu’une fois condamné, que l’Etat a fini par installer un minimum d’organisation avec des points d’eau, d’alimentation ; des toilettes… avant d’être débordé par le nombre : de 3000 personnes, on est passé à 10 000. Et on a abouti au démembrement du camp. L’Etat a décidé de fermé Calais le 10 novembre, et de cette date, il a considéré qu’il n’y avait plus d’exilés à Calais… Mais, on a beau le nier, Calais reste toujours aussi près de l’Angleterre… ! Donc les réfugiés reviennent. »
Réponse des pouvoirs publics : « Les gens sont chassés comme des animaux. Les réfugiés dorment debout contre les arbres à tour de rôle, par peur de poursuite avec la police. C’est un vrai déni d’hospitalité ! », tranche la Présidente du Secours catholique France en écho au fameux « délit d’hospitalité ». A tel point ajoute-t-elle que « les salariés et bénévoles des associations subissent eux-aussi « un harcèlement quotidien très grave, ils sont régulièrement emmenés au poste, la municipalité fait poser les bacs à poubelles devant l’entrée de la permanence, etc… ».

La fin de l’hospitalité ou le mythe de Sisyphe

Une négation de la situation qui évoque le mythe de Sisyphe pour Fabienne Brugère « A l’image du mythe, les pouvoirs publics d’abord, nient l’existence d’un « problème » puis en prennent en partie la mesure et enfin, détruisent le peu de structures existantes, mais les gens peu à peu reviennent et le cercle recommence. On l’a vu avec le démantèlement du camp de la Croix rouge de Sengatte, en 2002, sous la présidence précédente, et de nouveau en 2016 » Autant d’occasions manquées pour elle, de développer à l’inverse une expertise de l’accueil. « Ce no man’s land de la structure d’accueil, c’est bien une manière de refuser une politique de l’hospitalité », synthétise Guillaume Le Blanc.
Un refus de l’accueil qui se fonde, ou tente de se fonder sur « une peur de l’étranger, et sur la vision d’une Europe envahie, qui est une vision totalement érronée », poursuit-il. Et quelques chiffres partagés au cours de la soirée insistent sur l’irrationalité de ce sentiment d’invasion. Sur les 30 000 réfugiés que la France a promis d’accueillir auprès de l’Europe, (c’est à dire en moyene un par ville ou village…) il y a plus d’un an, seuls, quelques milliers ont en effet été accueillis, pointent les intervenants. Et de rappeler qu’à l’échelle de la planète, « l’hospitalité se joue principalement dans un rapport Sud-Sud, et non selon une vision un peu « colonialiste » des choses décrivant des migrations Sud-Nord,  comme le suggère bien des discours », précise Guillaume Le Blanc, qui constate aussi que « nos sociétés sont inhospitalières car on n’imagine pas qu’il y ait un contre-don à cette hospitalité. Or on a tort, seulement, on n’est pas ici dans du troc, le contre-don n’est pas forcément immédiat… »
Autre difficulté qui a également traversé la soirée, la manière même de nommer, de catégoriser ces « personnes déplacées ». « Réfugiés », « demandeurs d’asile », « apatrides », « migrants », et bientot «réfugiés climatiques», chacun répondant à un régime juridique… Une multiplication des catégories que dénonce notamment Amal Abdou El Ghait, « car chaque fois que l’on crée une nouvelle catégorie, on crée aussi des exclusions à ces catégories ».

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