L’effet Philippe Quesne au Carré des Jalles


Argyroglo

L'effet Philippe Quesne au Carré des Jalles

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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 20/11/2008 PAR Jean-Baptiste Rey

Invité une première fois en 2007 avec une performance intitulée « Echantillons », il revient cette semaine avec deux spectacles poursuivant son travail de déclinaison du théâtre autour de la question des arts plastiques, de la musique et de l’expérimentation. Les 18 et 19 novembre derniers, il entamait la session lui étant dédiée dans l’ordre chronologique en présentant « L’effet de Serge », une réflexion autour de la performance « solo » d’un artiste du dimanche.

Serge et ses effets
Première scène et premier effet. Le comédien principal Gaétan Vourch débarque en habit de cosmonaute dans une scène digne de « Rencontre du 3e type » version série Z. Il vient présenter le lieu de l’action et nous informer : « Nous commençons toujours nos spectacles par la scène terminant le spectacle précédent. » Premier rituel. S’en suit une longue énumération, décrivant la pièce où Serge produira ses spectacles : des murs gris en placoplâtre, une baie vitrée donnant sur un jardinet, une table de ping-pong, des objets en tout genre, une moquette sur laquelle il pourra marcher ou s’allonger en dessous pour écouter de la musique. Premier décalage. Puis Serge entre en scène, un grand mec déglingué, sorte d’hurluberlu vivant au rythme de ses créations artisanales et des visites de ses amis. Pour eux il sort le grand jeu : « Effet roulant sur une musique d’Haendel », « Effet lumineux sur une musique de Wagner », « Effet pyrotechnique sur une musique de Vic Chesnutt », chacun ne durant pas plus de 3 minutes. Et eux, ils sont bluffés, à tel point qu’ils arrivent difficilement à l’exprimer. Alors ils tentent quelques commentaires avec leurs expressions désuètes et en toute sincérité : « C’est lumineux », « On y entre comme dans un film », « C’est concret et abstrait en même temps ». Dénués de toute ironie mal placée ou de second degré, ils en oublient de voir le côté amusant et touchant, quasi pittoresque du monde doucement délirant de Serge. Petites entités appartenant à cet univers, ils autorisent et cautionnent les envolées imaginaires de Serge.

Une recherche sur la forme théâtrale
L'effet de SergeLe propos de Philippe Quesne est clair. Dans « L’effet de Serge », il est question de montrer le micro-monde d’un artiste s’essayant à la forme solo, sans autre dessein que d’interpeller sur la forme de la représentation. Pour lui la scène est un support servant à« activer un autre monde en développant des actions simples avec des objets courants mais employés à d’autres fins que celles communément admises ». Entouré d’artistes plasticiens, comédiens, musiciens et d’un chien pour la plupart présents depuis la fondation de la compagnie, il développe une esthétique singulière, qualifiant son théâtre de laborantin. S’évertuant à décortiquer les codes scéniques régissant une pièce, dans « L’effet de Serge » il déplace la réflexion sur le sens d’un texte au profit d’une interrogation plus marquée sur nos modes de représentation, posant encore une fois les questions lui étant essentielles : la forme du théâtre, la docilité du public, l’agression que peut représenter l’immersion de la réalité triviale sur scène. Éloigné d’un théâtre de mots, il s’affirme à l’antipode des metteurs en scène de grands classiques, préférant revendiquer un travail sur la voix en début de spectacle ou sur la répétition d’une partition très précise. Pas question ici de trouver un propos sociétal masqué, une dénonciation quelconque d’un monde hyperbolique, le ton est donné dans le ressenti immédiat et le décalage provoqué par les actions des personnages. Une conception reposante du théâtre qui évite l’inexorable lecture entre les lignes de la mise en scène pour y découvrir le fameux propos.

« L’effet de Serge » ou la redéfinition d’une réalité apparente
Le spectacle fonctionne sur le principe d’une réalité apparente, c’est-à-dire d’une mise en scène se voulant réaliste et qui pour autant procure une impression d’irréalité. Dans « L’effet de Serge », les fils sont grossiers, on pressent très rapidement la manière dont Philippe Quesne s’y prendra pour instaurer un décalage temporel, cette faille qui nous fait basculer dans le temps de la représentation. Le travail sur le rythme d’abord avec les déplacements et postures artificiels des personnages, leurs temps de réaction allongés, leurs modes de communication. Le jeu sur la répétition ensuite, avec les rituels instaurés au moment de s’asseoir ou de servir un verre d’accueil. La double mise en abîme enfin, autour de la représentation au sens spectaculaire du terme et sur la représentation d’une réalité. Tous ces artifices maintes et maintes fois décousus sur scène pour mieux parler du théâtre et de ses codes et qui pourtant, ici encore prouvent que les ressources de l’art dramatique sont insondables. À la sortie de la salle, on se pose sérieusement la question : comment se fait-il que cette pièce aux contours narratifs limités et au propos éculé, ne nous plonge pas dans un terrible ennui ? Pourquoi l’histoire de cet amateur d ‘effets spéciaux parvient-elle à nous intéresser alors que rien ne nous concerne vraiment ? Serait-ce là la clé de Philippe Quesne, l’explication de son étonnant succès. Cette intuition sans faille pour créer des spectacles sur le fil du rasoir, oscillant perpétuellement entre le monde du kitsch sans intérêt et le superbe d’une dramaturgie maîtrisée. Sans doute. Car si certains seraient tentés de parler de fumisterie et de passer à côté, en réalité c’est une véritable petite entreprise qui s’active sous nos yeux, pour joyeusement nous inviter dans leur entre deux monde. Efficacement épaulé par des comédiens ayant parfaitement saisi cette ambiguïté, il nous ouvre la voie de l’observation non-voyeuriste par le biais d’une machine bien huilée déguisée en ovni à l’apparente fragilité. Certes énième tentative de parler du théâtre, ce spectacle n’en est pas moins atypique et exigeant, mené d’une main de maître par Philippe Quesne qui réussit à maintenir Serge et ses effets dans ce vivarium géant ; un microcosme chaleureux et apaisant venu nous rappeler qu’il existe des endroits où l’imagination seule peut tenir tête à la réalité.

Photos : Argyroglo

HF

Pour ceux qui souhaitent découvrir les spectacles de Philippe Quesne, il reste des places pour « La mélancolie des Dragons », le vendredi 21 novembre.
Renseignements et réservations :
Carré des Jalles – tél. : 05 57 93 18 93
info@carredesjalles.org / www.carredesjalles.org

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