Christian Pèes est un homme de tempérament. Certaines réalités ont le don de lui faire bouillir le sang. On le voit par exemple avec les attaques subies par le maïs, une plante accusée de tous les maux de la terre. » Une analyse réalisée par un enseignant-chercheur montre que notre société est marquée depuis dix ans par un mouvement de fond. Celui-ci consiste à remettre en cause les innovations techniques », déplore-t-il. Cette tendance s’appuie « sur un argumentaire de la peur », et elle est orchestrée. « Car il y a des gens à la manœuvre pour cela ».
Personne n’est désigné nommément. Mais le résultat est là : « Pour être au bon niveau et équilibrer le débat face à ces critiques, il faut déployer trois fois plus d’arguments et d’énergie que ses contradicteurs ».
Haro sur les idées reçuesDe là à crier à l’injustice, il n’y a qu’un pas, vite franchi par le président d’un groupe qui, pour assurer le revenu des 12 000 agriculteurs avec lesquels il travaille, cherche à relever de multiples défis. Que ce soit en diversifiant les cultures et les productions, en réduisant l’emploi des produits phytosanitaires, ou encore en assurant le développement de ses marques, parmi lesquelles Rougié, numéro un mondial du foie gras.
« Même s’il y a toujours quelques dérives, il est faux de dire que, globalement, l’alimentation est moins saine qu’autrefois » s’insurge Christian Pèes. « La façon dont ma mère gavait les canards n’a rien à voir avec ce qui se pratique aujourd’hui. On reproche aussi à l’agriculture productiviste de polluer. Mais l’ensemble des cultures du monde entier nettoient l’air en C02 de manière beaucoup plus efficace que la forêt vierge. Et, cela, personne ne le dit »
Certes, reconnait-il, les agriculteurs n’ont sans doute pas été assez transparents, et ils n’ont pas su montrer comment leur métier évoluait, du champ à l’usine. « Sans doute a-t-on aussi trop bien habillé la mariée ». Car, contrairement à ce que montre la publicité, le lait n’est pas fabriqué qu’avec de l’herbe.
Cela dit, « le débat est plus axé sur la perception que sur la réalité » regrette le président, avant de soulever une autre question : « Notre organisation peut générer une traçabilité totale. Dans un monde de compétition extrême, nous cherchons à faire valoir nos savoir-faire … Mais on ne pourra pas avoir des pratiques intensives en termes de qualité sans augmenter, au moins légèrement, nos coûts de revient. Cela, il faut que le consommateur et la distribution le sachent ».
« Les gens ont plus peur de l’alimentation que du nucléaire »Pas si simple, lui répond Pascale Hébel, une économiste spécialisée dans l’anticipation du comportement des consommateurs. En raison de la crise économique, les ménages ont en effet perdu 2% de leur pouvoir d’achat en 2012. On n’avait pas vu cela depuis des décennies.
Résultat : les gens consomment moins, en commençant par réduire la viande. Ils deviennent aussi de plus en plus inquiets. Car le public, qui ne fait plus confiance aux politiques, aux marques et aux industriels, a été littéralement traumatisé par la crise de la vache folle.
Des exigences de traçabilité ont certes été mises en place pour résoudre le problème. Mais le scandale de la viande de cheval a fait revivre ce « grand cataclysme » à des personnes qui ont désormais plus peur de l’alimentation que du nucléaire !
Cet état d’esprit les amène à se tourner vers les produits naturels et, si possible régionaux. Sans que ces « consommateurs désabusés », exigeants sur la notion de développement durable, mais confrontés à des difficultés financières accrues, acceptent forcément de payer plus cher ce qu’ils mangent.
Pour l’économiste, ces éléments doivent être pris en compte. Tout comme il convient de s’adapter aux nouvelles habitudes de consommation affichées par des générations très différentes les unes des autres. Tels ces jeunes qui, de plus en plus, mangent rapidement, sur des tables basses où l’assiette côtoie l’ordinateur. Pour ne citer qu’un exemple.
Les OGM au pays de Pasteur
Qu’en pensent les politiques ? Jean Glavany, ancien ministre de l’agriculture, invité au débat, évoque la nécessité de s’interroger sur nos dérives. Comme cela s’est produit avec les farines animales.
Mais il considère que la question du progrès est centrale. « Prenez l’exemple des OGM. Je suis désespéré par la manière dont le problème a été posé. Le débat, c’est : on est pour ou on est contre. On ne le fait jamais en disant qu’il y a de bons et de mauvais OGM. Alors que les travaux sur les organismes génétiquement modifiés économes en eau, c’est formidable pour la planète ».
Le député PS David Habib, vice-président de l’Assemblée nationale, le rejoint sur ce terrain. « Nous sommes le pays de Pasteur, et en même temps celui qui rejette systématiquement toutes les avancées technologiques, dont certaines sont d’ailleurs françaises. On a intérêt à s’emparer de tout cela si on ne veut pas que notre pays tombe dans un conservatisme générateur de difficultés économiques » dit-il. Avant de rappeler que l’agriculture et l’agro-alimentaire emploient deux fois plus de personnes que l’industrie automobile ».
Quant à François Bayrou, le maire MoDem de Pau, il déplore lui aussi que « les passions soient plus fortes que la raison », et il estime que « le combat essentiel doit être mené sur la communication ».
« L’acte de produire est en danger »L’excès de normes que critiquent les agriculteurs , dont » le revenu est fragile » et qui ne se retrouvent pas sur un pied d’égalité avec leurs voisins européens, est également épinglé au passage. Un clou que Christian Pèes enfonce avant d’accueillir Alain Rousset, le président du Conseil régional, en fin de débat. « Si l’on ne s’adapte pas au consommateur, on n’a pas d’avenir. Mais dans le même temps, l’acte de produire est en danger dans ce pays. Car il se heurte à des impasses. On demande aux politiques de ne pas céder aux pressions de l’opinion, qui est quand même un peu manipulée».