Cinéma : L’Eperon, renaissance d’une salle mythique à Angoulême


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Cinéma : L’Eperon, renaissance d’une salle mythique à Angoulême

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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 26/08/2020 PAR Anne-Lise Durif

Sa seule évocation ramène au temps des chocolats glacés et des réclames figées sur le rideau de l’écran. Durant les Trente Glorieuses, la famille Deschamps règne sur l’univers du cinéma Angoumoisin. Elle érige des salles de projection aux quatre coins du centre-ville, dont les noms fleurent bons le vintage : Le Drugstore, Le Français, Le Balzac et le Rio. L’Eperon est édifié en 1961 par un duo de célèbres architectes parisiens, Pierre de Montaud et Adrienne Gorska, épaulé par l’architecte local Poncelet. Le couple a alors déjà 125 salles à son actif, un peu partout en France.
Pour ce nouveau cinéma, la famille Deschamps voit grand : près de 600 places, un grand écran de 16x8m, une disposition des sièges en amphithéâtre, un design post Art-Déco et une technologie cinématographique dernier cri. L’Eperon figure alors parmi les plus grandes salles de France, et la deuxième, après Marseille, à posséder l’équipement de projection Todd-AO en 70mm.
Visiblement ébloui, le reporter de la revue Le Film Français décrit longuement le faste des lieux, des drapés muraux aux fauteuils noirs « Pullman » du dernier chic : « Un vestibule avec un plafond lumineux, rappelant celui de la salle [et] des photos encadrées par un revêtement de boiseries blondes. La caisse est de la même matière, le tout rehaussé par des habillages en métal doré. Le dallage de marbre mène vers le hall dont les murs et les sols sont revêtus de moquette rubis et or ». Le nom du cinéma, lui, est choisi suite à un concours adressé aux Charentais. Quelques-uns suggèrent L’Eperon, en référence au bout de muraille en épis qui venait terminer l’enceinte de la Cité au XVIIe siècle, à cet endroit.

Une inauguration en grande pompe

L’établissement est inauguré en grande pompe le 30 janvier 1962. La presse locale mais aussi les magazines spécialisés en font grand écho. L’événement est même retransmis sur l’unique chaine de télévisons de l’époque, le 5 février. Le tout Angoulême s’y presse, quitte à attendre dans le froid et se voir refuser l’entrée, faute de place. Il faut dire que l’affiche est belle.
Pour l’ouverture, on présente Spartacus, de Stanley Kubrick, sorti en France quelques mois plus tôt. Grâce à son réseau, la famille Deschamps a invité douze artistes francophones en vogue parmi lesquels Maurice Teynac, Françoise Dorléac, Pascale Audret, Dany Saval, Sylvia Sorrente, Perette Pradier ou encore Robert Hossein, tous en promotion pour un film ou une pièce de théâtre. L’humoriste Jean Valton est chargé de lancer la soirée. Des mannequins de chez Carven distribuent des petits cadeaux aux heureux spectateurs : « parfums et dragées pour les dames, cognac pour les messieurs », relate La Charente Libre du lendemain. Les grandes firmes du cinéma ont dépêché sur place leurs représentants français ou régionaux, de la Goldwin Mayer à la Warner Bros., en passant par Pathé, Colombia et Paramount. A l’issue de la projection, la soirée se prolonge dans la prestigieuse résidence du Châtelard des Deschamps, à Dirac. S’y pressent les notables d’Angoulême, de Bordeaux, de Poitiers, de Limoges et même de Paris.

« Quand on allait à l’Eperon, on savait qu’on allait voir bien plus qu’un film »

Durant une quinzaine d’années, L’Eperon accueille nombre d’avant-premières et d’artistes. La Grande Bouffe y fait scandale ; Paris brûle-t-il ? y est accueilli avec enthousiasme. Pour l’occasion, le général Loizeau, en retraite à Angoulême, est invité. Le lendemain, La Charente Libre publie une photo du mentor de De Gaulle au sortir de la projection, encadré par une haie d’honneur d’une dizaine de soldats en uniforme. Les films pour la jeunesse y sont également fortement représentés, comme les Walt Disney. « La dimension de l’écran et le procédé cinématographique donnaient un effet de relief particulier qui faisait que, quand on allait voir un film à L’Eperon, on savait qu’on allait voir bien plus qu’un film », se souvient Laurent, un Angoumoisin passionné d’histoire locale.

Une très longue renaissance

Victime du succès des gros complexes cinématographiques, L’Eperon ferme ses portes en 1996. Mais après avoir vu ses 4 autres cinéma transformés en boutiques ou en restaurants, la veuve Deschamps ne peut se résoudre à se séparer du site s’il doit perdre sa vocation culturelle.
En 2003, la directrice de la Cie des Arceaux, Martine Ladoire-Tornil, cherche un local avec une salle de spectacle pour y déménager sa compagnie de théâtre et de danse. Un professionnel de l’immobilier d’entreprise lui parle de L’Eperon. Elle le visite sans hésiter : « J’ai eu un coup de foudre pour le bâtiment, dont j’ai vu tout le potentiel culturel ». La directrice rachète le site, refait toute l’étanchéité de la toiture qui fuit et réaménage les trois pièces adjacentes à la salle de cinéma. Elle crée une salle de spectacle de 50 places avec « une scène grande comme celle de l’Espace Franquin », une salle de répétition de danse et un petit loft « pour accueillir des artistes invités ». Des cours enfants et adultes de théâtre et de danse s’y tiennent à l’année, ainsi que de nombreux spectacles.
En 2017, après des soucis de santé, Martine Tadoire envisage de vendre. Elle n’a pas le temps de déposer l’annonce : « J’étais à Bordeaux, à l’agence immobilière, prête à lancer la démarche, quand j’ai reçu un coup de fil d’un proche collaborateur de Dominique Besnehard. Il m’a juste dit qu’il voulait me rencontrer, c’est tout. » Elle suspend toutes ses démarches. Comme Mme Deschamps avant elle, elle garde espoir « que le lieu poursuive sa vocation culturelle ».

Un coup de cœur des délégués du FFA

De leur côté, les deux délégués généraux du festival du film francophone d’Angoulême, Marie-France Brière et Dominique Besnehard, ont découvert par hasard l’existence de L’Eperon. C’est en cherchant des images pour un documentaire sur Angoulême que Marie-France Brière est tombée sur des archives de l’INA évoquant son inauguration en 1962. Les deux délégués s’enthousiasment pour ce lieu chargé d’histoire, incarnant ce cinéma de proximité que promeut le festival. Celui-ci a justement besoin de trouver de la place pour accueillir de nouvelles projections, les spectateurs étant plus nombreux chaque année.
Mais la salle de cinéma, dans son jus, n’est plus aux normes depuis longtemps. Marie-France Brière et Dominique Besnehard proposent un « deal » à Martine Tadoire : si elle garde le bâtiment, l’organisation du festival prend en charge les travaux de rénovation de l’ancienne salle de cinéma. Le FFA investit 50 000€ de ses fonds propres pour rénover la salle. Les sièges sont offerts par une firme du cinéma. Les trois protagonistes signent ensemble une convention de partenariat engageant L’Eperon à être ouvert aux spectateurs durant la semaine du FFA des éditions 2018, 2019 et 2020.

Une salle dernière technologie

En juillet 2019, la Ville d’Angoulême, le Département de Charente et le CNC réfléchissent à en faire un lieu collaboratif pluriartistique. Le site est finalement racheté par le Pole Magelis en septembre 2019 pour 400 000€. Et sa gestion confiée au CGR, dont le groupe possède déjà un complexe en centre-ville. L’enseigne y engage des travaux à hauteur d’ 1,5 million d’euros pour tout refaire. Elle y intègre surtout sa technologie ICE. Ce cinéma « immersif » se caractérise par un confort supérieur des fauteuils, un son Dolby Atmos délivré par 53 enceintes, et des écrans situés sur les côtés de la salle prolongeant l’image par des effets de formes et de couleurs. Objectif : transformer une séance de cinéma en un moment spectaculaire. Ouverte le 7 août aux Angoumoisins, cette salle de 160 places sera officiellement inaugurée ce 27 août, veille de l’ouverture du festival du film francophone d’Angoulême, en présence de ses « parrains » Dominique Besnehard et Marie-France Brière.

Adresse : 74 rue de la Corderie à Angoulême.

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