Bordeaux exhume son passé de port négrier


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Bordeaux exhume son passé de port négrier

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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 07/05/2009 PAR Nicolas César

C’est un travail colossal de trois ans, au cours duquel François Hubert, le directeur du musée d’Aquitaine a ravivé des témoignages aux archives municipales et départementales, prenant soin de faire valider les textes choisis par des historiens de sensibilités différentes pour éviter toute polémique. « Ensuite, il a fallu trouver les objets illustrant ce discours, ce qui n’a pas été simple, car, par définition, les esclaves ne possédaient rien », souligne François Hubert. Cependant, le musée d’Aquitaine a la chance de posséder une collection exceptionnelle, le fonds du docteur Marcel Chatillon, composé de 600 gravures et peintures montrant le mode de vie des Antilles du XVII au XIXème siècle.

750m² d’exposition
Le résultat est à la hauteur des ambitions : 750 m2 d’exposition, répartis en quatre salles. Le premier espace, appelé, « la fierté d’une ville de pierre », qui s’ouvre avec une reconstitution d’une façade bordelaise du XVIIIème siècle, rappelle que la ville s’est enrichie et embellie grâce aux produits de l’esclavage. Des tableaux représentent cette bourgeoisie bordelaise naissante, à l’image de la famille Ferrière. Devenue une grande métropole européenne, Bordeaux a connu une explosion démographique, passant de 55 000 à 110 000 habitants au cours du XVIIIème siècle. Et, pour démontrer tout le paradoxe de ce siècle où l’on pratique l’esclavage alors qu’émergent les idées des Lumières, une statue de Montesquieu a été placée au beau milieu des cartes et gravures évoquant la traite des noirs.

Bordeaux, deuxième port négrier
Une maquette retraçant le trajet en bateau en Bordeaux et les Antilles, nous amène dans la deuxième salle, « Bordeaux porte océane, l’Atlantique et les Antilles »,où l’on évoque le « commerce en droiture ». Avantagés géographiquement par la Dordogne et la Garonne, les armateurs bordelais préféraient ce commerce, basé sur l’échange direct de produits régionaux (blé, vins…) contre des denrées coloniales, au commerce « triangulaire », plus risqué. Ce qui explique que Bordeaux fut le deuxième port négrier en France, loin derrière Nantes (1 714 expéditions), avec 419 expéditions pour 130 000 à 150 000 noirs déportés. Une banque de données retrace toutes ces traversées. Pour mémoire, on estime que 11 à 13 millions de noirs ont été déportés d’Afrique. Le commerce triangulaire, quant à lui, est expliqué dans le livre de bord du capitaine de la « Licorne » et au travers d’objets comme les fers d’esclaves, des fusils de traite.

La troisième salle, quant à elle, est consacrée à « l’Eldorado des Aquitains » l’île de Saint Domingue, alors le plus grand producteur de sucre pour la planète. A la veille de la révolution, cette colonie française assurait 80% des importations bordelaises et 40% des blancs à Saint Domingue étaient aquitains. Une vidéo composée de huit témoignages, pour la plupart des esclaves, nous « ouvrent les yeux » sur leurs conditions de vie et l’on découvre que même quelques blancs se plaignaient du traitement « inhumain » réservé aux noirs.

« Aujourd’hui, avec la mondialisation, cette histoire se dépasse d’elle-même »
Dans la quatrième salle, « Héritages », l’exposition témoigne du métissage dans les îles, mais aussi de la présence des noirs en Europe. On estime que 4 000 noirs, dont certains esclaves, ont vécu en Aquitaine au cours du XVIIIème siècle. Sur des tableaux, on découvre des femmes noires jouant le rôle de nourrice, avec parfois le collier de servitude… Des bornes vidéos nous racontent comment la révolution française et la grande révolte à Saint-Domingue en 1790 vont amener la première abolition de l’esclavage en France en 1794.

Le musée d’Aquitaine conclut cette exposition par un « mur de portraits bordelais de la diversité » et une création sonore de Caroline Cartier donnant la parole à des enfants qui parlent de leur couleur de peau. Aujourd’hui, « cette histoire se dépasse d’elle-même. Avec la mondialisation, nous sommes dans une société métissée, avec des cultures partagées, universelles, comme le jazz, le blues, issues de cette histoire », analyse François Hubert. Et, « désormais, toutes les communautés ont un lieu commun à Bordeaux pour évoquer cet histoire ».

Nicolas César

« Bordeaux, le commerce atlantique et l’esclavage ».
Musée d’Aquitaine 20 cours Pasteur à Bordeaux
Entrée gratuite

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