Bond-Françon : un duo mythique


Pascal Victor

Bond-Françon : un duo mythique

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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 21/03/2008 PAR Joël AUBERT

Situées en 2007, ces évocations futuristes nous faisaient pénétrer en douceur dans un univers éthéré aux effluves acerbes, typiques chez Bond, nous permettant de (re)faire la connaissance de l’un des plus grands dramaturges du XXIème siècle. Si le choc était moins étourdissant que ce qu’on pouvait attendre de ce duo et du choix des textes, ces deux soirées ont tout de même eu l’immense intérêt de présenter un univers théâtral atypique, aux frontières de la SF et du théâtre burlesque. Un théâtre d’anticipation peu représenté sur nos scènes, dans lequel les héros vivotent au sein de sociétés aseptisées et où la temporalité se décline au futur antérieur.


« Si ce n’est toi « : le désespoir de la vacuité

La scène se passe le 18 juillet 2007. À cette époque, toute trace du passé, d’un souvenir personnel ou d’un bien matériel a été aboli, l’extérieur n’est que ruine et paysages dévastés. La population reste confinée dans des appartements quasi vides, livrée à des règles extrêmement strictes, contrôlée par les « services ».Jams fait partie de ces services. Sara, sa femme, prend soin de leur appartement : une table et deux chaises. Tout est en ordre… jusqu’au jour où l’impensable se produit. Un inconnu frappe à la porte et déclare être le frère de Sara. De cette intrusion dans un quotidien réglé au millimètre près, le couple ne sortira pas indemne, confronté à un passé douloureusement enfoui, acculé par tant de banalité quotidienne et de vacuité. Parce qu’il, Grit, s’est assis sur la mauvaise chaise, il déclenchera sans le vouloir une guerre vaine et pourtant vitale à leurs yeux, tous deux inquisiteurs des moindres faits et gestes de l’autre. De cet arrière-plan totalement épuré où tout, jusqu’au langage lui-même, devra avoir un usage utilitaire et mesuré, Françon livrera une interprétation drôle et grinçante, plongeant les personnages et leurs existences dans le grotesque à leur insu. Etriqués dans cette inexorable vie, devenus hautement banals et incapables de rêver, seules subsisteront pour eux des préoccupations aussi futiles que la tenue du journal du quotidien ou la place exacte d’un pied de table. La réussite de cette pièce tiendra alors non pas à l’action mais au jeu des comédiens, tous criants de platitude, tous « flat » comme pourrait l‘indiquer le dramaturge. Stagnant dans ce décor constitué de trois pans de murs gris, Luc-Antoine Diquéro donne la réplique à une Dominique Valadié étonnante de simplicité et de véracité. Gommant toute trace mélodramatique malgré la teneur des propos, ils en font des héros du quotidien, un quotidien bien éloigné du nôtre mais qui, comme semble nous indiquer l’auteur, gagne du terrain, centimètres par centimètres. De « 1984 » à « Si ce n’est toi », il n’y a qu’un pas, celui du contrôle de nos vies. Espérons que la prophétie n’adviendra pas, bien qu’on soit en droit de s’interroger lorsqu’on sait que Big Brother nous regarde déjà…

« Chaise » : lorsque l’humanité n’a plus d’issue de secours


Il semble qu’Edward Bond ait un certain penchant fétichiste pour les chaises, voir une aversion. Source d’un conflit « intimo-destructeur » dans « Si ce n’est toi », la chaise devient la faux de la mort dans cette seconde pièce, instrument par lequel le malheur arrive. L’action se situe trois jours plus tôt, le 15 juillet 2077. L’air est toujours aussi saturé, les services contrôlent chaque mouvement d’habitant, l’interdiction est omniprésente. Dominique Valadié dans le rôle d’Alice commet cette fois la douloureuse expérience de la transgression. Parce qu’elle se prend de pitié pour une vieille prisonnière et tente de lui offrir une chaise sur laquelle s’asseoir, elle ira au-devant d’ennuis avec l’administration, se condamnant définitivement pour acte de charité. Vivant en vase clos avec Billy, un jeune homme de 26 ans recueilli bébé, qui n’a jamais dépassé le stade de l’enfance en raison de son interdiction de sortir de l’appartement, tous deux dresseront le portrait d’une société aliénée, rebâtie sur un champ de ruine et classée par lettre et par nombre. Un peu plus développée que la précédente, cette pièce à l’origine radiophonique, explore à l‘identique les thématiques de « Si ce n’est toi », mais en exacerbe la noirceur pour en faire une démonstration plus brutale et incisive. Ici, le quotidien ne laisse pas de place au grotesque, tout doit être calculé car chaque faux-pas ferait prendre le risque de la peine capitale pour Alice et Billy. Si l’issue est la même dans les deux pièces, le désespoir présent dans « Chaise » se fait sentir plus pleinement d’un bout à l’autre, accordant une large place à l‘inquiétude et la violence omniprésentes dans l’œuvre de Bond. Une fois encore, la performance théâtrale reposera sur les comédiens et cette langue si riche et pourtant bien avare. Dominique Valadié poursuit son exploration de la banalité avec ce flegme si singulier tandis que Pierre-Felix Gravière dans le rôle de Billy, nous offre un registre plus démonstratif et expansif (et par conséquent plus controversé) de cet enfant-homme hystérique, parce que totalement coupé du monde extérieur. Encore une fois dirigés dans un souci de respect du texte, ils nous offrent un moment de douce angoisse et parviennent à recréer cette atmosphère épaisse et inquiétante décrite dans la pièce de Bond.Baignés dans une lumière oscillant entre le bleu cristallin et l’ocre, ils nous projettent dans ce futur antérieur aux murs couleur de grisaille extérieure, rouvrant tout un pan de notre imagination, science fictionnelle peu suscitée sur les planches. Un véritable théâtre de l’étrange qui tire les ficelles d’une société totalitaire pour nous faire prendre conscience des possibilités d’ évolutions de l’humanité si l’on ne prend pas garde.

Photo : Pascal Victor

Hélène Fiszpan


Si ce n’est toi et Chaise, d’Edward Bond, mises en scène Alain Françon
Au TnBA du 18 au 21 mars 2008.
Tel : 05 56 33 36 80
www.tnba.org



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