Ce qui est vraiment dommage pour une ville de près de 400 ans de tradition chocolatière. Cette denrée exotique, aujourd’hui désirée de tous, ou presque, fit son apparition en Europe, pour la première fois, en 1519. C’est alors que Hernan Cortés présenta, à la cour du roi d’Espagne Charles Quint, ces mystérieuses « fèves de cacao ». Utilisées, dans un premier temps, à la confection d’une boisson, pourtant jugée par Cortes particulièrement « amère et détestable », elles firent très vite l’objet d’usages différents. Mais c’est seulement vers 1615 que le chocolat entre dans l’histoire de Bayonne, avec les premiers ateliers chocolatiers fondés par des réfugiés portugais fuyant l’Inquisition.
Un grand patrimoine
Le développement du secteur connaît son apogée en 1870. Bayonne compte alors quelques 130 ouvriers chocolatiers, à savoir, plus qu’en Suisse. L’industrialisation de la production décime par la suite les artisanats locaux. Ils sont donc aujourd’hui seulement six; 2 chocolatiers et 4 pâtissiers-chocolatiers, constitués en Guilde des Chocolatiers et réunis par l’Académie du Chocolat de Bayonne. L’objectif de cette dernière est de reconstituer l’histoire du chocolat bayonnais au travers d’archives. Elle s’attache aussi à retrouver les descendants des familles de chocolatiers et souhaite la création d’un musée. La Guilde se charge par contre, de la mise en place de différentes animations autour du chocolat, prévues essentiellement pour les Journées du Chocolat au moi de mai, chaque année.
Dissonnances…
Sur papier tout a l’air de très bien marcher. La réalité semble cependant montrer bien le contraire. « Il n’y a pas de culture de chocolat à Bayonne. » remarque Christophe Puyodebat, chocolatier, propriétaire du Choco-Musée. « Chacun travaille dans son petit coin; personne ne veut s’engager dans des projets plus ambitieux. » déplore le chocolatier, qui a fini par quitter la Guilde. « Je n’ai pas besoin d’être spécialement membre d’une association, pour simplement installer mon stand deux fois dans l’année sur le trottoir. »
Une fête qui stagne ?
Une référence implicite aux Journées du chocolat qui ne semblent pas avoir été à la hauteur des espérances et seraient en perte de vitesse en ce moment. « Cela fait 15 ans que cette fête existe; rien n’a évolué. » constate M. Puyodebat. « On voulait organiser, sur le fleuve, un trajet en bateau sur l’histoire du chocolat; le projet n’a jamais abouti. » rappelle-t-il. « Pourquoi ne pourrait-on pas investir dans cet événement les libraires, les cinéastes, les musiciens? Avoir des films, des livres, des chansons sur le chocolat, peut-être même des défilés de modes avec des costumes en chocolat ? » s’interroge M. Puyodebat. « Non, tout le monde doit se marcher sur les pieds ; les gens avec des idées sympas sont mal vus. » conclut-il.
Un conflit « ridicule »
« Nous, on n’a jamais fermé la porte à personne. » rétorque Jean-Paul Heynard, président de la Guilde des Chocolatiers, en niant l’existence d’un conflit quelconque au sein des chocolatiers. « Ce n’est pas vrai ; comment peut-on parler de conflit si on ne sait même pas de quoi il s’agit, puisque certains refusent de nous parler en face ; de dire ce qui leur va pas. » remarque M. Heynard « On a un certain système de fonctionnement ici ; par exemple, je trempe du chocolat depuis 26 ans maintenant, ça a toujours bien fonctionné, les gens sont contents ; et on va pas le changer simplement parce que des jeunes chocolatiers arrivent et veulent tout faire autrement. »
Serge Andrieu, propriétaire de l’Atelier du Chocolat de Bayonne, défend de son côté les Journées du chocolat. « Je trouve que c’est un événement important dans la ville, un grand moment de fête et de convivialité. » fait-il remarquer « Il y a toujours pas mal d’animations qui se déroulent ces jours là, expositions, projections, concours; chaque année un invité spécial, producteur de cacao, est à l’honneur; cette année c’est, par exemple, le Costa Rica. » raconte M. Andrieu.
C’est chacun pour soi
Toujours est-il que M. Andrieu reconnait que le milieu des chocolatiers bayonnais demeure assez disparate et méfiant à l’idée de créer un front commun. « On se respecte, certes, mais c’est un peu chacun pour soi; on ne se mêle pas des affaires de l’autre. » note M. Andrieu. « Cela vient probablement d’une divergence d’intérêts trop importante; un attachement à sa propre clientèle, à la taille des entreprises. » nous fait-il souligner. C’est certainement pour ces mêmes raisons que le projet d’un vrai musée du chocolat rassemblant tous les artisans n’a toujours pas vu le jour, et parallèlement, les initiatives privées, telles que le Choco-Musée n’arrivent pas à tenir.
Piotr Czarzasty