Agrocarburants : l’alimentaire dans les moteurs ou dans les estomacs?


Il est maintenant bien difficile de faire admettre la filière de production d'agrocarburants à partir de produits agricoles alimentaires. Celle-ci fonctionne dans les pays développés, Etats-Unis et Europe et au coeur d'une économie faite d'acteurs so

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Agrocarburants : l'alimentaire dans les moteurs ou dans les estomacs?

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Publication PUBLIÉ LE 26/05/2008 PAR Gilbert Garrouty

Il est d’ailleurs curieux de constater que ceux qui poussent des cris d’orfraie en face de la « carburisation » de produits agricoles alimentaires (maïs, graines oléagineuses essentiellement) sont souvent les mêmes que ceux qui, il n’y a pas si longtemps, condamnaient l’agriculture à vocation exportatrice, française notamment. Or, la solution pour les pays en voie de développement -plutôt que par les aides financières à l’achat de céréales ou l’aide alimentaire- passe par le développement de leurs économies vivrières, l’encouragement de leurs propres paysans, la création de marchés communs protégés (exemple: l’ancien Marché Commun européen) ainsi que le proposait à une époque le CNJA (Centre National des Jeunes Agriculteurs).

Et pourtant on libère…
On constate aussi que, de cycle en cycle de l’OMC, il a été de bon ton de s’en prendre aux subventions (accusées de ruiner les pays pauvres) accordées aux céréaliers occidentaux, et que d’ailleurs partout celles-ci ont été réduites et « découplées » (détachées des volumes produits). Bizarrement, c’est au moment où on est le plus entré dans une économie d’échanges libérés et mondialisés que les problèmes se posent avec le plus d’acuité. Echappatoire facile: « c ‘est la faute, dit-on, à la transformation des céréales en éthanol ». Personne ne dira que c’est la faute au démantèlement, au moins partiel, des politiques agricoles organisées. Or, produire sans, ou avec moins de subvention, signifie produire surtout dans les zones les plus compétitives, et renoncer au blé et au maïs ailleurs. Les pays dans lesquels la faim gagne ne sont pas prêts d’acquérir la même capacité de concurrence. On se souviendra, aussi, qu’il y a une vingtaine d’années un certain François Guillaume, qui fut président de la FNSEA et ministre, avait proposé un plan mondial d’organisation du marché des céréales, avec un volet aide alimentaire. Mais au cours d’une tournée d’information à travers les Etats-Unis on lui avait, en quelque sorte, ri au nez.

Changement de cap aquitain
Aujourd’hui, alors que des programmes sont engagés, y compris dans le sud-ouest, on assiste à un coup de frein brutal à l’égard des agrocarburants. Alain Rousset, président de la région Aquitaine, n’hésite pas pour sa part à brûler ce qu’il adorait en 2004 (subvention accordée à Abengoa à Lacq) et de parler « d’arnaque écologique ». Il est vrai que la région Aquitaine ne semble pas croire grand chose d’un rapport de l’ADEME qui fait ressortir les avantages écologiques et énergétiques des biocarburants et qu’elle en commandé un autre (il eut peut-être suffi de se référer à une étude indépendante effectuée en Normandie et que nous avons d’ailleurs évoqué sur Aqui). Elle n’est pas, il faut le dire, favorable au maïs. En tout cas, lors du dernier salon de l’agriculture d’Aquitaine à Bordeaux, Claude Lacadée ne cachait pas son amertume à l’égard du président de la Région, qu’il réussisait d’ailleurs à apostropher dans les allées.

Pour Claude Lacadée, les principales responsabilités de la hausse des prix sont à chercher du côté des conditions climatiques défavorables (gel en Ukraine, sécheresse en Australie) et de la hausse de la consommation en Chine, en particulier de viande. « Il faut quatre fois plus de céréales pour faire un kilo de poulet ou de porc que pour faire une galette de pain ». La population augmente elle aussi, et, constate l’ancien économiste de l’AGPM, « nourrir un milliard d’individus de plus exige un volume de 500 millions de tonnes de céréales ». Il estime que le potentiel de production du globe est encore important avec 90 millions d’hectares inexploités au Brésil, 20 millions d’hectares abandonnés dans l’ex-URSS.

Pas de blé pour l’éthanol
Selon lui « l’éthanol n’est pas responsable de la crise ». « Le blé et le riz sont les céréales dont les prix ont le plus augmenté, et on ne fait pas d’éthanol avec, ou à peine dans l’UE pour le blé ». Le gros de la production mondiale d’éthanol est assuré par le Brésil. »Certes on pourrait reconvertir en céréales alimentaires les 5 millions d’hectares de betteraves au Brésil et les 8 millions d’hectares de maïs aux USA consacrés à l’éthanol, ce que d’aucuns considèrent, avec un sacré don d’exagération, comme un crime contre l’humanité. Mais est-ce que pour autant ces céréales seraient consommées dans les pays pauvres où sévissent depuis des décennies famine et malnutrition? Rien ne le garantit. Qu’on se rappelle le cri d’alarme de René Dumont dans son livre « L’Afrique Noire est mal partie ». Le « crime contre l’humanité », qui l’a commis si ce ne sont les grandes instances internationales (FMI, FAO, OMC) en imposant des règles trop sévères pour les pays émergents ou trop libérales quand il s’agit de tenter de réguler le commerce mondial, ou encore tous les pays émergents eux-mêmes qui ont préféré développer leur industrie plutôt que leur agriculture, et enfin tous les pays riches plus soucieux de protéger leurs propres agriculteurs…. »

Du grain à moudre
En tout cas, livré au seul vent libéral, le marché des céréales est voué aux pires fluctuations. Ainsi, en France, l’ONIGC constate que les stocks de blé s’alourdissent, et les opérateurs prévoient un ralentissement des exportations. En revanche, la demande intérieure de maïs et de sorgho ne faiblit pas. L’augmentation des surfaces françaises consacrées au maïs, estimée à 4,2%, est donc parfaitement justifiée. D’autre part, si on en croit les prévisions du Conseil International des Céréales, la tension sur les marchés mondiaux restera une réalité en 2008-2009 avec une production planétaire de maïs de 762Mt (en baisse de 13Mt) pour une consommation de 784Mt. En revanche, en ce qui concerne le blé, l’USDA prévoit une production mondiale record de blé de 656 Mt en 2008 contre 606 en 2008. « Ces perspectives de production encourageantes estime en France l’ONIGC (Office National Interprofessionnel des Grandes Cultures), orientent les prix mondiaux à la baisse ». Parlera-t-on d’une crise du marché du blé en 2009? Pour Claude Lacadée il serait temps qu’au niveau international on se mette autour d’une table pour étudier la régulation de la production et du marché mondial du grain.

Abengoa au créneau

Le groupe espagnol Abengoa, dont la filiale Abengoa Bioenergy, est implantée à Lacq dans le cadre d’un projet de production d’éthanol à partir du maïs du sud-ouest, évoque à travers une page de publicité parue dans le journal économique « Les Echos », « une manipulation » de l’information à propos de la hausse des prix des céréales. Selon cette société, la production de bioéthanol n’a qu’une moindre incidence, la cause principale étant les nouveaux besoins des pays asiatiques.

Gilbert Garrouty

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