Aéronautique et apprentissage : pour Jérôme Verschave, directeur d’Aérocampus, « la vague va passer »


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Aéronautique et apprentissage : pour Jérôme Verschave, directeur d'Aérocampus, "la vague va passer"

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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 19/06/2020 PAR Romain Béteille

@qui.fr – Ces derniers jours, l’actualité est chargée pour le secteur de l’aéronautique, et le président de la Nouvelle-Aquitaine Alain Rousset réaffirme, dès que possible, son inquiétude quant à l’avenir immédiat des apprentis. Au niveau d’Aérocampus, quelle est la situation aujourd’hui ? 

Jérôme Verschave, directeur d’Aérocampus – On a comme tout le monde vécu de plein fouet l’arrêt de l’activité. Le site d’Aérocampus a fermé pendant deux mois puisqu’il n’y avait plus de formation professionnelle, plus de séminaire. On a maintenu à distance la formation des scolaires, des apprentis et même des élèves qui sont en Inde dans le cadre de l’école que l’on met en œuvre pour Dassault à Nagpur. Les formateurs ont été rapatriés mais ils ont travaillé à distance. Le bon côté des choses, c’est qu’on a fait un gap assez important en matière d’utilisation des nouvelles technologies, du e-learning et de la formation à distance.

On a développé pas mal d’outils en interne qui vont nous être profitables pour l’avenir. Le mauvais côté, c’est qu’Aérocampus va avoir une année assez difficile. Cela dit, on a une chance, c’est qu’on a des réserves financières. Depuis neuf ans qu’on existe, on a pu chaque année mettre de côté un capital social qui fait que l’on passera la vague. Contrairement à d’autres qui sont beaucoup plus fragiles, on fait partie des optimistes. On continue d’investir de façon assez importante, on en profite pour faire en sorte que la machine redémarre vite et qu’on se modernise encore au niveau de l’outil pédagogique. On a une pointe avant d’A320 qui arrive, on vient de rentrer un simulateur d’hélicoptère…

On investit aussi lourdement sur le e-learning. On développe des logiciels, on teste des tas de solutions. On est rentré dans le programme « investissement d’avenir » sur lequel on axe beaucoup. Ça ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de présentiel demain mais ce sera souvent un mix entre les choses faites à distance et sur site. Je pense que ce boost de formation à distance va rester. On ne fait pas tout, c’est un peu comme un simulateur, ça ne remplace pas un vrai avion, mais on fait beaucoup de choses quand même. De toute façon, les grands groupes comme Dassault et autres demanderont, demain, une formation un peu plus équilibrée comme ça pour éviter les déplacements, les hébergements, etc. C’est aussi une question de coût et de main d’œuvre disponible.

@qui.fr – La ministre du Travail Muriel Pénicaud a annoncé début juin un « plan de sauvetage » de l’apprentissage, dont l’une des mesures phares est une prime de 5 000 à 8000 euros par apprentis pour les entreprises qui en recruteront entre le 1er juillet et le 28 février 2021. Selon vous, ce plan était-il nécessaire pour éviter un éventuel arrêt des recrutements ?

J.V – Les entreprises n’ont pas cassé les contrats d’apprentissage en cours. Elles jouent le jeu. Pour les deuxième ou troisième année, il n’y a pas trop de sujet. Le problème va se situer au niveau des première année, c’est-à-dire des nouveaux contrats d’apprentissage dans la situation économique actuelle. On craint une baisse de recrutements. Du côté d’Aérocampus, nos prévisions tablent pour l’instant sur 15 à 20% de baisse de recrutements des première année. Je pense qu’on fera mieux parce qu’on a des bonnes nouvelles récentes, on pourrait être entre 10 et 15%.

Il faut convaincre les entreprises de continuer à former, notamment dans l’aéronautique. Il y a trois mois, la situation était le total inverse de ce qu’elle est aujourd’hui, la filière n’avait pas du tout anticipé son développement et on courait après les gens ; que ce soit en apprentissage, en scolaire ou en formation professionnelle. En ce moment, je forme des gens de Ford en reconversion. Les gars étaient à peu près sûrs d’avoir un boulot il y a trois mois mais là, c’est plus compliqué.

La vague va passer. Dans six mois, un an, les choses vont redémarrer. Il ne faut pas stopper l’appareil de formation. On manquait de bras avant, on va en manquer à nouveau demain. Si on met un coup d’arrêt et que des centres de formation disparaissent faute de marchés ou de clients, on ne sera pas prêts au redémarrage et on refera la même erreur qu’on a fait il y a quelques années. Si on commence à faire des plans de transformation assez importants sur l’avion à hydrogène ou autre concernant la mutation du monde aéronautique, il y aura énormément de formation à faire en interne. On l’a vu lorsque les avions sont passés des matériaux métalliques aux composites, on a formé énormément de gens sur la réparation des matériaux composites. Les technologies vont évoluer, il faudra aussi faire évoluer les salariés. Ça ne sera pas dans trois mois, mais il faudra l’anticiper, y compris de notre côté avec nos formateurs.

« Un peu plus d’optimisme qu’il y a quinze jours ou trois semaines »

@qui.fr – Vous avez tenu ce jeudi 18 juin une réunion avec de nombreuses entreprises aéronautiques autour d’un plan de relance régional de la filière. Air France a annoncé un plan de départs volontaires pour 8300 salariés cette semaine, De Richebourg prévoit un « accord de performance collective » déjà contesté et l’État a annoncé un plan de relance de la filière de 15 milliards d’euros. Autant de raison d’être inquiet pour les jeunes que vous formez, non ?

J.V – On n’est pas très inquiets côté grands groupes mais côté sous-traitants, ça ne va pas être la même histoire à l’automne. Quand une entreprise a besoin de recruter, elle le fait. Une prime, ça aide mais c’est d’abord le plan de charge, la situation sociale dans l’entreprise qui sont scrutées. Pour nous, l’apprentissage est la voie royale, on le dit tout le temps, mais à mon avis malgré les aides on va avoir une baisse du nombre d’apprentis liée à la situation économique. On n’a pas de baisse de demandes d’apprentis, par contre je pense qu’on aura une baisse des demandes d’entreprises pour en prendre. Malgré tout, les entreprises commencent à mesurer l’impact réel de cette crise et commencent à essayer de se projeter pour voir comment ça va se passer. Il y a un peu plus d’optimisme qu’il y a quinze jours ou trois semaines, ça n’empêche pas qu’il y aura de la casse, notamment chez les petites entreprises. Les grands groupes, qui sont nos grands pourvoyeurs d’apprentis, vont s’en sortir. 

L’attention et toute l’actualité qu’il y a en ce moment ne peut que valoriser l’apprentissage. Ça reste encore un type de formation assez peu connue, qui a été souvent dégradée. Je suis plutôt ravi que tout le monde s’y attache et trouve des solutions pour le développer. C’est sans effet la première année, mais il faut durer, il faut que cette personne puisse rester dans l’entreprise une fois arrivé au bout de ce contrat. Plus c’est accessible pour les entreprises, mieux c’est. 

@qui.fr – La PDG de l’entreprise Celso (aménagement des coussins des cockpits d’avions) craint d’ailleurs que ce plan d’urgence ne profite pas beaucoup aux PME. Partagez-vous son avis ?

J.V – Tout le travail qu’on doit faire, c’est de faire en sorte que ces fonds ruissellent jusqu’aux PME, que ça ne serve pas uniquement aux grands groupes. On s’est réuni hier avec les entreprises aéronautiques pour évoquer cette question. Il faut être vigilant sur le fait que les PME puissent accéder à ces fonds, ça ne va pas être simple. C’est le même schéma que pour les grands programmes de recherches, c’est souvent les grands groupes qui cooptent les fonds des instituts qui financent. Ils mettent des PME dans la boucle, mais pas pour l’essentiel. Concrètement, c’est plus compliqué à mettre en place parce que c’est un petit peu verrouillé. Cela dit, je pense que les grands groupes vont jouer le jeu, ils ont tout intérêt à ne pas laisser se détruire leur tissu de sous-traitants, ils ont bien compris que c’était compliqué pour beaucoup d’entre eux et qu’il ne fallait pas les laisser tomber. Il faut travailler là-dessus, y compris au niveau de la relation avec les sous-traitants dans les services achat.

« Je ne veux pas que les jeunes se disent que l’aéronautique c’est foutu »

@qui.fr – Comment se profile la rentrée pour vous et comment envisagez-vous cet été des « vacances apprenantes » ?

J.V – D’abord, cet été, on fera Aérocampus Junior. On avait lancé des séjours ou des journées de découverte. Avec la volonté de faire des séjours ou des colonies apprenantes, on assiste à un boom des demandes, on n’a jamais vu ça. On ouvre tout l’été et on a une offre élargie, je pense même qu’on va pouvoir faire des cours d’anglais. On a une école de langue qui est en train de s’implanter, ça pourrait se conjuguer avec quelques heures d’anglais dans la semaine.

Pour la rentrée, pas de grande nouveauté si ce n’est qu’on a des travaux, notamment sur le Pôle Avionique, qui ne sera pas prêt pour la rentrée. Pour la formation professionnelle, il n’y aura pas de grand changement à part ces nouvelles méthodes d’enseignement. Il faut gérer le quotidien actuellement, ce n’est pas simple mais je suis d’un naturel confiant et optimiste. Il faut faire le dos rond mais continuer d’investir, ne pas se replier sur ça et attendre. Encore faut-il avoir les ressources pour. 

Enfin, l’ADS Show sera maintenu à la rentrée, les 24 et 25 septembre, on sera le premier salon aéronautique en Europe post-confinement. On ouvrira au grand public le vendredi après-midi. Je tiens vraiment à ce qu’on maintienne cette attractivité. Avec tous les plans sociaux qu’il y a en ce moment, je ne veux pas que les jeunes se disent que l’aéronautique c’est foutu. Il faut continuer à attirer. On a changé et transformé le modèle des conférences organisées durant le salon en fonction de l’actualité. On commencera à pouvoir analyser les premiers effets réels du déconfinement, mesurer la reprise ou non de l’activité aéronautique avec des experts, je pense qu’on aura une bonne idée fin septembre de la manière dont va se comporter la filière dans les mois et années qui viennent.

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