Car si être un écrivain régional c’est ne pas oublier d’où l’on vient et regarder en premier lieu autour de soi, se forgeant un regard dont l’acuité permet d’aborder les thèmes les plus universels, alors oui brandissons haut et loin cette bannière à propos de Louis Emié. Etre né quelque part c’est avant tout ouvrir les yeux et pousser un cri, ce que Louis Emié a, tout au long de sa vie d’écrivain, de journaliste ( à La Petite Gironde puis au journal Sud Ouest ), et de poète, continuer de faire. Il décrit Bordeaux, au travers de quartiers parfois là encore injsutement délaissés et pourtant si riches des échos du monde (Bacalan: « ce quartier de Bacalan est le plus beau de la ville, parce que c’est là qu’elle prend son véritable caractère »), il décrit les événements, les sons, les ambiances, et dans ce qui pourrait appraître parfois comme des petites choses, partout il y touche à la sensiblilité de l’être, il y aborde l’universel. « Devant moi tout à l’heure, on va tuer quelqu’un. […] Cet homme est un assassin, je le sais. Cet homme est un parricide. Je le sais, je le sais. Mais ce que je voudrais ignorer c’est que cet homme est un condamné à mort »…Emié décrit le matin blême, la foule, et tente de comprendre ce qui pousse celle-ci a venir là, avant de repartir, indifférente et oublieuse. Est-ce là, la justice des hommes? Nous sommes en Juin 1920, et Emié, seul parmi cette foule laisse aller sa révolte contre » les complices de ceux qui condamnent et tuent » et laissent mourir, d’un même élan, un de leur « frère misérable ».
La collection « Les Cahiers de l’Eveilleur » nous réveille en effet, en révélant ici certaines couleurs de vérité et de colère. Emié écrivait encore, s’adressant à un parisien qui se riait de la province ( dans un « monologue du provincial exaspéré » ) » vous ne savez pas ce qu’est une gageure, et rien ne vous résiste. ». Rééditer Louis Emié est peut-être une gageure après tout, mais gageons alors dès à présent que rien ne lui résistera.
Anne DUPREZ