Grand entretien: Mahmoud Doua Imam de Cenon: « L’Azerbaïdjan et le Qatar appuient le Centre Culturel Musulman de Bordeaux »


Pau Dachs
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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 24/02/2014 PAR Pau Dachs

@qui! –  Un sondage récemment publié* montre que plus d’un français sur trois dit adhérer aux idées du Front National. Comment cela affecte-t-il la communauté musulmane?
Mahmoud Doua – 
C’est inquiétant. L’Islam est devenu un enjeu électoral. C’est jouer avec la peur des gens. On constate cette dérive dans toute la classe politique, que ce soit de gauche ou de droite. C’est une situation d’incertitude que traverse toute l’Europe, liée essentiellement à l’emploi, mais aussi aux visions du monde : de la famille, l’individu… On est vraiment dans un brouillard le plus total. Et le plus facile et le plus dangereux c’est de jouer avec la peur des gens. Le thème de l’Islam fait peur. Malgré ça, je refuse de tomber dans le piège, de considérer la France comme islamophobe ou comme raciste. Elle ne l’est pas du tout. Même ceux qui votent FN.

@qui! –  (De suite, l’imam parle des problèmes internes des musulmans, sans que nous lui posions la question)
M.D.
Les musulmans sont une communauté ordinaire qui est confrontée aux mêmes problèmes qu’une grande partie de la population. Il n’y a pas une cohabitation, on est dedans. On est Français. Il y a effectivement parfois des dérives, comme dans toutes les communautés, mais ce sont des gens qui n’ont pas beaucoup de connaissances religieuses, qui subissent la pression quotidienne ou qui se laissent faire par le radicalisme. Il est de notre responsabilité de musulman, surtout les cadres religieux, de trouver la meilleure lexis, la meilleure formule canonique et théologique pour adapter l’Islam et se faire accepter. On n’a pas de problème avec le droit français; on à un problème avec la mentalité française.

Il faut que nos enfants restent dans l’école publique

@qui! –  Comment peut-on réussir cette adaptation de l’Islam?
M.D.
Il y a un travail des deux côtés. Du côté musulman, certains imams, la plupart formés à l’étranger, ne sont pas prêts à développer un discours pour encadrer la pratique musulmane. Ils n’ont pas les moyens pour bien comprendre la société française, la laïcité, l’histoire, etc. Mais, paradoxalement, le problème n’existe pas, ni dans les textes religieux ni dans la laïcité elle-même. La laïcité est faite pour gérer la pluralité religieuse. Par contre, de l’autre côté il y a une approche de la laïcité très idéologisée. Par exemple, le fait de porter le foulard est minime par rapport à la prière et une pratique minoritaire, mais il a un poids identitaire et culturel qui est très fort. Ça peut créer un problème à partir du moment où il existe une loi qui interdit aux filles de porter leur voile à l’école. Les musulmans vont développer des écoles de confession privées et on va tomber dans le communautarisme. Nous ne voulons pas ça; il faut que nos enfants restent dans l’école publique.

@qui! –  Est-ce qu’on peut contrôler les influences du néo-wahabisme (courant littéraliste radical musulman)?
M.D.
Dans les mosquées on essaye de diffuser un discours d’une grande profondeur théologique, avec une bonne dimension spirituelle et ouverte sur la société. Ça c’est notre conception et celle de la majorité de la communauté musulmane. Après, certains imams n’ont pas les moyens pour maîtriser la connaissance de la société française. Ce sont des cas qu’on ne peut pas contrôler; on ne peut pas faire autrement.

Participation politique

@qui! –  Nous sommes proches des élections municipales. Les musulmans, dites-vous, doivent faire confiance à Dieu, mais est-ce qu’ils doivent s’engager aussi politiquement pour résoudre ces problèmes?
M.D.
Oui. Ils sont absents du monde politique. Ils sont discriminés, comme d’autres citoyens (lors de la prière mentionnée, l’imam a prêché affirmant que les peurs devant la recherche d’emploi ou le racisme sont causées par un manque de confiance en Dieu) . Mais au lieu de s’enfermer ou de sentir la frustration et après de l’exprimer de manière radicale, il vaut mieux s’engager sur le terrain politique. Défendre ses droits, travailler avec les élus, être inscrit sur les listes électorales…

@qui! –  Qui doit susciter cette participation politique? Est ce vous, les imams?
M.D.
On peut l’inciter sur le plan moral. J’ai cité l’exemple du prophète. Avant de devenir musulman il a fait des pactes, une sorte de parti, pour défendre la justice. Je n’ai pas besoin d’afficher mon Islam, je peux rencontrer d’autres citoyens qui défendent les mêmes projets que moi. Nous avons une association qui s’appelle Jeunes Musulmans de Gironde qui incite ces jeunes à jouer, pleinement, de leur citoyenneté. À Bordeaux, on développe aussi beaucoup le dialogue entre religions. Par contre, en tant qu’imams, on ne veut pas prendre de position politique. On n’a pas le droit et on ne veut pas jouer ce rôle.

Centre Culturel Musulman de Bordeaux

@qui! –  A quel stade en est le projet de la grande mosquée de Bordeaux à La Bastide ?
M.D.
Sur le Centre Culturel Musulman de Bordeaux on a déjà l’unanimité de toute la société civile. Il y aura un volet culturel pour les musulmans, mais la plus grande partie sera, bien sûr, ouverte à tous les bordelais. On pourra assister à une conférence, à des spectacles, voir un film ou manger au restaurant. L’acquisition du terrain est faite. Le Conseil Municipal de Bordeaux a approuvé la vente. Maintenant on reste tributaire du financement; c’est une grande question, car le coût est de 19 millions d’euros. Pour le moment il n’y a rien, mais nous avons des pistes. On veut faire contribuer tous les citoyens, qu’ils soient musulmans ou pas. On a déjà contacté des hommes d’affaires, des entrepreneurs bordelais, des acteurs de cinéma… Il y a de bonnes promesses. Après, on va pister la liste des pays. On compte déjà sur l’appui de l’Azerbaïdjan et du Qatar, mais à condition que l’aide ne soit pas conditionnée. Le plan de la collecte est fait ; nous commencerons en avril, une fois que le cabinet d’architectes chargé du projet aura été choisi par un concours.

@qui! –  La division interne de la Fédération Musulmane de Gironde**, a-t elle causé des dégâts au sein de la communauté musulmane?
M.D.
En interne, oui. Ce n’était pas une question de vision ou radicalisme, c’était de l’ego. Ça a provoqué une période difficile au sein des mosquées. Mais grâce à Dieu, c’est fini. C’était une tempête pour enlever les feuilles mortes….

@qui! –  La restriction du droit à l’IVG est arrivée en Espagne et c’est un sujet qui peut ressurgir pendant les élections européennes. Faut-il interdire l’avortement?
M.D.
C’est un débat national. Nous sommes contre l’avortement, bien sûr, mais pas totalement. (Pendant la prière M.Doua a également mentionné le thème: « Un femme veut avorter parce que son partenaire l’a abandonnée. C’est ça une vraie musulmane? »). Il y a des cas où l’avortement est possible, parce que chez les musulmans ce sujet est dans le droit, pas dans la croyance comme chez les catholiques. Pour nous il est interdit par principe, mais il y a des cas, un viol par exemple, où ce n’est pas interdit.

*Réalisé par TNS Sofres pour Le Monde, France Info et Canal+
**Lors d’une assemblée générale en novembre 2010, Jawad Rhaouti a été réélu président de la FMG sur fonds d’accusations d’irrégularités. Après que le Tribunal de Grande Instance ait validé un nouveau collège électoral, une deuxième assemblée a designé Mokhtar Noui président en septembre 2011.

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