D’abord un toit, le reste suivra: retour sur l’initiative de l’association bordelaise ARI-Asais


Claire Sémavoine
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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 09/11/2012 PAR Claire Sémavoine

Pas d’obligations de soins, pas de comptes à rendre. L’essai conduit par l’association bordelaise ARI-Asais en parallèle au programme expérimental national « Un chez soi d’abord » piloté par la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) bouleverse les codes pratiqués par les institutions et les travailleurs sociaux depuis des décennies.

Cette initiative qui existe déjà à Paris, Marseille, Lille et Toulouse copie le modèle canadien « At home – Chez soi » également appelé « housing first », révélée en France en 2009 par le docteur Vincent Girard, psychiatre, praticien hospitalier, anthropologue coordonnateur médical d’une équipe psychiatrie précarité à Marseille.

Le principe ? Tout d’abord, il n’y a pas de passage obligatoire par l’hébergement temporaire ou d’urgence ni par les dispositifs usuellement imposés. De plus, l’accès à un logement ordinaire de droit commun est considéré comme la première condition à l’engagement dans les soins et à un parcours d’insertion.

Comment ? Au même titre que la Location solidaire instaurée par le diaconat de Bordeaux, ARI-Asais loue officiellement des petits logements à des bailleurs privés. L’association garantit, assure, restaure l’habitation au préalable si cela est nécessaire, prend en charge toutes les formalités administratives, la gestion locative et s’assure du versement des loyers.

« J’aimerais trouver un travail »

« C’est mon premier logement depuis 20 ans », témoigne Jean-Claude, 60 ans qui a intégré un studio en aout dernier. Vingt ans passés sous une tente ou dans la rue, conséquence d’une grave dépression déclenchée par un événement sur lequel il ne souhaite pas s’exprimer. « Je n’aurais jamais imaginé avoir de nouveau un toit sur la tête. Ce studio me redonne confiance en moi, me permet de recevoir ou de m’isoler quand je le souhaite », poursuit-il. « Aujourd’hui, je vois régulièrement un thérapeute et j’envisage peut-être de revoir ma famille pour les fêtes de fin d’année », confie ce monsieur qui, par honte, a caché sa situation à ses proches durant les deux dernières décennies.

Réapprendre à s’occuper de soi, se laver, se nourrir, se soigner, s’habiller, dormir, dormir vraiment… Après des années d’errance, se retrouver avec une clef dans la poche peut être terriblement angoissant. « Nous rencontrons chaque locataire deux fois par semaine minimum », explique Carl Gaudy, le coordinateur du projet. « C’est l’unique contrainte qui leur est imposée ». « Ils peuvent nous appeler quand ils le souhaitent ou encore faire appel à l’Équipe mobile psychiatrie et précarité qui est installée rue des Douves à Bordeaux ».

Philippe, 50 ans, sous-locataire d’ARI-Asais depuis 10 mois évoque lui aussi ce « ras le bol » qui l’a inexorablement poussé à plaquer son travail et son logement il y quatre ans. Désormais, avec l’aide de son assistante sociale, il aimerait trouver un emploi.


Emmanuel Langlois, sociologue, centre Emile DurkheimTrois questions à Emmanuel Langlois, sociologue, évaluateur scientifique du projet Oïkeo, maitre de conférences au centre Emile Durkheim à Bordeaux.

@qui! – En vous désignant évaluateur du projet Oïkeo, l’association ARI-Asais souhaite rassurer les institutions et encourager les bailleurs privés à louer leurs biens. Comment procédez-vous ? Que mesurez-vous ?

Emmanuel Langlois – Dans un premier temps, je pense qu’il est important de préciser qu’il ne faut pas projeter nos désirs, nos aspirations sur ces personnes extrêmement cabossées, aux parcours différents. Il est très compliqué d’envisager et de comprendre les traumatismes qu’elles ont vécus. C’est pourquoi notre méthode consiste à mesurer à l’aide d’un protocole d’évaluation simple sur six mois, l’impact des changements qu’occasionne l’accès à un logement après des années d’errance. Comment les locataires investissent-ils leur studio ? Prennent-ils leur santé en main ? Ont-ils des projets personnels ? Même très modestes ? Ont-ils des modifications de comportement ? Etc.

@! – Faites-vous participer les locataires au protocole ?

E. L. – Tout à fait. C’est d’ailleurs un souhait de l’association ARI-Asais. Pour cela, nous leur avons donné à tous un appareil photo. Ils photographient ce qu’ils souhaitent, leur studio, les endroits où ils vont… Un des impacts positifs forts que nous avons pu constater est la manière dont ils se réapproprient la ville. Il est difficile de l’imaginer, mais un SDF est souvent prisonnier de la ville, d’un quartier même, voire d’une rue en fonction du lieu où il dort, des lieux de distribution alimentaire, des accueils de jour, etc. Depuis qu’ils sont locataires, ces anciens sans-abris se réapproprient la ville de Bordeaux. Pour ainsi dire, ils la découvrent.

@! – Vous évaluez le projet depuis presque deux ans. Avez-vous pu tirer des conclusions ?

E. L. – Tout à fait. Et elles sont globalement très positives. Concrètement, l’ensemble des locataires paie le loyer et il n’y a eu aucune dégradation. Ils reprennent leur santé en main. Il n’y a d’ailleurs quasiment plus de soins d’urgence et plus aucun fait de justice. Pour parler clairement, en plus d’offrir à ces personnes la possibilité de vivre et non plus de survivre, le coût social global que représente un locataire d’ARI-Asais est dérisoire comparé à celui que constitue un sans-abri

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