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L'ÉDITO

 par Cyrille Pitois Cyrille Pitois
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04/08/2023

Journaliste, un métier en état de mort clinique

Ce qui se passe cette semaine au Journal du Dimanche, l’historique JDD, est un drame pour la profession de journaliste et pour tous ceux qui consomment l'information. Le propriétaire d’un média, Vincent Bolloré, impose à toute une rédaction un rédacteur en chef, Geoffroy Lejeune, qui ne fait pas mystère de son militantisme réactionnaire déjà pratiqué dans les colonnes de Valeurs actuelles.

Le JDD, qui hébergea des plumes aussi subtiles qu’Alain Genestar, directeur de la rédaction devenu ensuite celui de Paris-Match, est un journal avec une histoire, une expérience et une rédaction qui phosphore sur des idées de sujet en lien avec l’actualité, cherche des angles originaux du fait de cette parution du septième jour et nourrit chaque semaine ses colonnes d'articles pertinents. Une rédaction composée de journalistes passionnés, passionnants aussi souvent que possible et surtout issus d’un parcours, d’une formation, d’une éducation qui leur est propre et qui font l’identité de ce journal. Comme dans tous les médias du monde.

Un journal n’est pas une simple unité de production d’articles, comme une usine qui produit des pizzas sous vide. Au fil du temps, il se crée entre ceux qui le rédigent et ceux qui le lisent un lien fort, une relation amour-haine, un rendez-vous attendu.

Vincent Bolloré a décidé de s’asseoir sur cette composante, au nom du droit que lui donne le pouvoir de son argent. Geoffroy Lejeune s’entête à prendre la barre d’un navire dont l’équipage préfère se jeter à l’eau. Voyant le chaos qu'il provoquait, il aurait pu faire machine arrière. Voilà au moins des valeurs plus très actuelles pour celui-ci: l’élégance et l’humilité.

Le rédacteur en chef risque de se retrouver sans équipe mais il s’en sortira avec une poignée de journalistes précaires et le recours à l’intelligence artificielle capable de rédiger des articles sur à peu près n’importe quoi.

Dans les années 2000, les journalistes de presse écrite se faisaient moquer dans les diners en ville. « Avec Internet, ton journal papier va disparaître ! » Ceux qui jouaient les Cassandre étaient en-dessous de la vérité. Non seulement la presse écrite, mais aussi les télés et les radios qui semblaient inattaquables à l’époque, ont été prises dans la tourmente du numérique. Au prix d’un colossal effort d’adaptation, la plupart des titres ont survécu en convertissant leurs contenus d'information aux supports digitaux. Aujourd’hui, on « lit le journal » sur un écran d’ordi ou de smartphone.

A peine ce séisme digéré, voilà l’intelligence artificielle qui vient comme une lame de fond mettre en péril le travail journalistique en synthétisant et rédigeant en une poignée de secondes ce qu'un rédacteur expérimenté met une journée à réaliser. Deuxième charge lourde contre le même modèle en quelques années.

Il manque le style, le tempérament ? Peut-être, mais il y a, en formule tout inclus, le référencement qui séduit l'intuition des moteurs de recherche.  Déterminant pour le modèle économique du XXIe siècle.

En jetant sur le trottoir une rédaction complète, en accréditant l’hypothèse qu’un média peut publier des infos sans l’émulation d’une rédaction qui discute, qui débat et qui tranche au service de ses lecteurs, MM. Bolloré et Lejeune portent une nouvelle estocade à ce qu'il reste d'avenir à des journalistes soucieux de rapporter, décoder et mettre en perspective.

Seule réplique possible à la portée de tous : oublier le JDD, en ne lisant plus les articles, en ne répondant plus aux demandes d’interviews, en faisant comme s’il n’existait pas.

1 Commentaire

Un commentaire

  • Daguerre, le 6/8/2023 à 22h29

    Bonjour,
    Je suis tout à fait d’accord avec votre éditorial.
    Je regrette beaucoup – de ce que j’ai vu et lu- que la réaction des autres journaux et médias n’ait pas été aussi forte que celle d’Aqui à de rares exceptions près. Ce que vous écrivez n’en a que d’autant plus de mérite.
    L’histoire de Bolloré fait penser à celle de Robert Hersant, patron de presse des années 70_80 du siècle dernier, après avoir été pendant la guerre soutien de l’entreprise nazie, collaborateur et antisémite notoire. Il avait une position hégémonique dans la presse française de l’époque, fort inquiétante à tel point qu’une loi contre la concentration de la presse, en 1984, avait tenté d’arrêter son monopole.. Au moins il y avait-eu à l’époque une réaction du pouvoir politique, ce qui n’est pas le cas actuellement, c’est dommage.


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