Sports « extrêmes » : comment prévenir les risques ?


Yoan Denéchau

Sports "extrêmes" : comment prévenir les risques ?

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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 28/03/2019 PAR Yoan DENECHAU

Quand la passion peut devenir folie. En traitant de « sport extrême », il n’est pas uniquement question de parachutisme, d’Iron Man (3,8 kilomètres de natation, 180.2 de vélo et un marathon) ou autres surf et escalade. Lors de ces Assises du Sport, l’adjectif « extrême » couvre également des sports traditionnels devenus plus dangereux par l’évolution des règles, des morphotypes – gabarits – et des méthodes de préparation, comme par exemple le rugby ou encore les sports de combat. A partir de ce constat, deux spécialistes de la psychologie et de la médecine du sport se sont succédés afin d’expliquer comment déceler des comportements à risques pour le premier et les enjeux sur l’intégrité physique du sportif pour le second.

« Vous avez beau avoir l’aptitude, si vous n’avez pas l’attitude, la réussite est impossible »

Si cette phrase de Gandhi a été tenue dans un tout autre contexte, elle s’applique également aux sportifs. D’après Philippe Barel, membre de la société française de Psychologie du Sport et préparateur physique comme mental, l’état d’esprit du sportif est à la base de tout risque. En effet, le spécialiste explique que le cerveau possède deux modes de fonctionnement : un mode « pilote automatique », qui tient de la routine et sur lequel nous n’avons aucune emprise, et à l’inverse le mode manuel, où nous sommes pleinement lucides et à même de nous contrôler.  « La régulation des émotions reste déterminante lors de la pratique sportive, poursuit Philippe Barel. Les comportements à risques sont associés à des états émotionnels négatifs, qui provoquent l’anhédonie (perte de la capacité à éprouver du plaisir) ou encore l’alexithymie (difficulté ou incapacité à exprimer les émotions) ».  De même, le préparateur mental évoque des traits de caractères favorables à la prise de décisions dangereuses, comme l’extraversion, l’impulsivité et le narcissisme.

Philippe Barel différencie également plusieurs types de passion. La première, dite « harmonieuse », est propice à une pratique sportive extrême. « La passion harmonieuse protège du vécu d’émotions négatives, approfondit Philippe Barel, vous en voulez toujours plus, mais en agissant de manière plus réfléchie ».  A l’opposé de la passion harmonieuse se trouve la passion obsessive « présente surtout chez des individus qui ont une faible estime d’eux-mêmes », précise le préparateur mental. Selon lui, le sportif en devient « esclave de l’activité » à cause d’une forme d’addiction. La passion obsessive est également liée à un but de satisfaction de l’égo, ce qui provoque du stress, aux yeux de Philippe Barel. D’après lui, la situation n’ira pas en s’arrangeant à l’avenir « tant la culture occidentale est de plus en plus symbole de compétition et d’individualisme », qui oppresse les individus.

Approche médicale : « l’instinct de survie ne fait pas tout »

Quittons l’esprit pour passer au corps. Antoine Lavabre est Vice-Président du Comité Départemental Olympique et Sportif de Gironde, Président du Comité de Gironde d’athlétisme et médecin du sport. Lors des Assises du Sport de ce jeudi 28 mars, il a évoqué les problèmes médicaux que peuvent poser les sports extrêmes ou encore une pratique sportive à haute fréquence. En effet, une pratique intense, au-delà de nuire aux os et articulations, implique des « difficultés cardio-respiratoires, mais aussi des besoins nutritifs particuliers combinés à un épuisement global et au stress » explique le médecin du sport. Pour le Vice-Président du CDOS Gironde, l’environnement dans lequel évoluent les sportifs de l’extrême se révèle souvent hostile si la préparation n’est pas adéquate. Antoine Lavabre prend un exemple montagnard « à partir d’une altitude de 2500 mètres, l’oxygène se raréfie, et la gestion de l’effort en fonction de la température n’est pas à prendre à la légère. Sans oublier que dans un sport extrême, le pratiquant aguerri est souvent livré à lui-même, tant le milieu montagnard ou marin posent des contraintes en termes de ravitaillement et d’accompagnement ».

De manière générale, la préparation suffit à pallier les dangers d’une pratique de sport extrême. « Le corps humain est une bonne machine, pour peu qu’on ne l’agresse pas trop brutalement », avertit Antoine Lavabre. Le médecin du sport prévient également des risques liés à des traumatismes plus graves ou plus fréquents, comme des chutes. « A court terme, vous pouvez souffrir d’une paralysie temporaire ou de pertes de connaissance, mais les séquelles articulaire ou les commotions cérébrales peuvent devenir plus dangereuses à long terme allant jusqu’à provoquer Alzheimer ou Parkinson », poursuit le Président du Comité de Gironde d’athlétisme. Antoine Lavabre en appelle aux institutions, mais aussi aux sponsors et aux médias afin de passer les bons messages au grand public, et lui faire profiter de l’expérience des sportifs confirmés. En effet, mieux vaut la préparation que la témérité : « ces sportifs de l’extrême ne sont pas des personnes suicidaires. Ils mesurent les risques qu’ils prennent et prévoient en conséquence » conclut Antoine Lavabre.

Témoignage : Justine Dupont, la surfeuse lucide et prévoyante

Justine Dupont et Fred David

Vice-Championne du Monde dans trois disciplines (Long-board, Grosses Vagues et Stand Up Paddle), Justine Dupont a surpris l’assistance des Assises du Sport par sa lucidité. Après avoir commencé le surf à 11 ans, dans une optique avant tout de loisir et de partage, la jeune bordelaise – 27 ans – est devenue la première femme à surfer la mythique vague géante (15 mètres) de Belharra, au large d’Urrugne dans le Pays Basque. Afin d’appréhender les vagues les plus hautes, la Bordelaise suit une préparation très particulière. « Je ne travaille pas forcément la technique de glisse, explique Justine, mais plutôt sur comment appréhender les risques que je cours ». En effet, avec son partenaire Fred David, ex-sauveteur et Champion du Monde de bodysurf, ils décortiquent les dangers auxquels ils s’exposent et s’entrainent spécifiquement à la gestion en cas de choc, de chute ou pour éviter la noyade. Ils ont notamment fait appel à des chasseurs sous-marins et des plongeurs pour travailler l’apnée, et mélanger les compétences au-delà du surf. « Si jamais Justine tombe, je sais à quel moment je dois intervenir et inversement, explique Fred, nous sommes assez complémentaires de ce point de vue ».

Les deux partenaires échangent parfois les rôles, pour comprendre les réactions de l’autre. « D’habitude, Fred me tracte en Jet-ski, poursuit Justine, et je prends sa place pour comprendre pourquoi des fois il réagit d’une certaine manière, et lui aussi se rend compte de comment je vis la vague sur la planche. Ce travail nous permet vraiment d’avoir une bonne appréhension du danger et améliore notre prise de décision ». La jeune surfeuse revient également sur l’aspect psychologique de son sport : «  quand je suis sur la planche, je ne réfléchis pas. En général l’humain est happé entre le passé et le futur, bien qu’hypothétique dans une discipline si dangereuse. Tout ce qui compte c’est de rester à tout prix dans le présent. La seule limite, c’est notre cerveau qui nous la met ». Après une blessure en novembre dernier, Justine Dupont a des fourmis dans les jambes. Quoi de plus normal pour la surfeuse, qui veut être de la première apparition du surf aux Jeux Olympiques de Tokyo en 2020.

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