Ford Blanquefort : culture et débats à la rescousse


RB
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 05/04/2018 PAR Romain Béteille

« La production est très faible »

Ils ont choisi le 21 avril, tout en affirmant n’avoir « pas fait exprès. Mais puisqu’on est dans les symboles, ça n’est pas si mal ». Le terme de choc, de « séisme » utilisé en référence à cette date du premier tour de l’élection présidentielle de 2002, n’est pourtant pas si éloigné du sentiment qu’ont eu les employés de l’usine Ford de Blanquefort, lorsqu’on – l’industriel – leur a annoncé, le 27 février dernier, sa volonté de se désengager du site à l’horizon 2019. Les différentes manifestations, qu’elles se soient déroulées devant le site où devant la préfecture de Bordeaux lors du dernier comité de suivi, ont visiblement moins entamé la détermination des dirigeants de Ford que celle des quelques 900 salariés du site, qui tourne actuellement au ralenti comme le soulignait ce mardi matin Philippe Poutou lors d’une réunion de présentation de l’évènement que la ville de Blanquefort, le Comité d’entreprise de FAI et le comité de soutien et de sauvegarde des emplois ont souhaité organiser conjointement à cette date symbolique au hasard symbolique. « Le problème qu’on a, c’est la difficulté de mobiliser. Il y a un gros sentiment de résignation, beaucoup considèrent que l’usine est fichue. Mais il y a dix ans, c’était ce qui circulait aussi, on avait réussi à la sauver avec beaucoup de chance mais aujourd’hui, on repart dans un processus ou tout est fait pour montrer qu’il n’y a pas d’issue ».

Le dernier communiqué de Ford Europe datant du 9 mars dernier laissait, en effet, peu de place au doute. Pourtant, les données recueillies dans une motion votée par le groupe socialiste au conseil départemental de la Gironde, le 5 avril dernier, dénonçaient presque une fatalité savamment entretenue par le groupe en rappelant quelques chiffres : « la Direction a réalisé une étude en 2017, qui a salué la compétitivité du site, puisque celui-ci a gagné plus de 8 % d’efficience, contre 4 % en moyenne pour les autres sites. L’entreprise a reconnu que le site de Blanquefort avait de vrais savoir-faire et une réelle technicité (…). L’activité peut être maintenue, a minima jusqu’à fin 2019, si la Direction accepte une augmentation des volumes de la boîte de vitesse produite aujourd’hui. En effet, davantage de 6F35 pourraient être fabriquées sans aucun investissement de la part de Ford », écrivait le département.  Du côté des salariés, même si une « opération barricade » s’est tenue sur le site le 4 avril à l’heure de l’embauche, on sentait déjà une mobilisation en repli, d’autant que la CGT restait le seul syndicat en présence, ce que confirme l’ancien candidat à l’élection présidentielle. « Dans la grève qu’on a fait la semaine dernière, on devait être une cinquantaine de salariés, et pourtant les autres sont d’accord avec nous, mais c’est compliqué. Dans l’intersyndicale, les cadres ont basculé du côté de la direction, ils mettent même la pression pour faire bosser les salariés. On n’est certes pas en grève, mais la production est très faible à l’usine. On ne bosse quasiment pas, par moments le niveau de production tourne autour de la moitié de ce qu’il faudrait. Ils essaient de nous remettre au boulot, mais il y a une résistance qui est réelle de ce côté là. Pour organiser d’autres mobilisations, pour le moment, il n’y a ni le moral ni l’énergie nécessaire pour le faire ».

Participation symbolique

Alors le soutien aux « Ford », comme il faut désormais les appeler, s’organise autrement, y compris au niveau des différentes institutions politiques. Au niveau financier d’abord : le 24 mars, le conseil de Bordeaux Métropole a adopté une motion de soutien aux salariés de l’usine et décidé de ne pas verser le dernier tiers de la subvention prévue avec le constructeur, soit 686 000 euros dans un accord quinquennal d’une cinquantaine de millions d’euros d’aides publiques. Dans la motion départementale citée plus haut, la Gironde à fait de même (pour 680 000 euros de restes a réaliser sur une enveloppe d’aides publiques de deux millions d’euros chiffrée par une délibération de novembre 2011. Réunis en conseil municipal ce lundi soir les élus de la ville de Blanquefort ont suivi le mouvement, en refusant de verser le dernier tiers de l’aide publique accordée pour le maintien de l’activité de l’usine, soit, selon la maire socialiste Véronique Ferreira, 3333 euros, cette dernière ajoutant même que « l’argent que nous devions verser à Ford sera versé au comité de soutien de sauvegarde des emplois ». Les motions de la région, du département et de la métropole n’ont pas été les seules à être votées : plusieurs communes au sein même de la métropole (Veronique Ferreira a notamment cité Le Haillan, Villenave d’Ornon, Ambarès, Cenon ou Lormont) ou en dehors (l’exemple de Cussac-fort-Médoc a été cité) ont écrit la leur, en signe de soutien. Enfin, une pétition est en ligne depuis le mois dernier, portée par le comité de soutien, et aurait déjà reçu, entre la version en ligne et celle sur papier, un peu plus de 2000 signatures. 

Et il y a donc ce samedi 21 avril prochain, date choisie pour organiser cette manifestation plus culturelle et festive que d’ordinaire. En effet, cette « journée d’action » un peu spéciale sera organisée autour de deux temps forts, comme l’a précisé ce mardi la maire de la commune, tout en en détaillant les objectifs. « L’annonce a été rude », témoigne-t-elle en faisant référence au couperet du 27 février. « J’ai eu des coups de fils, des mails, des contacts qui m’ont demandé ce qu’ils pouvaient faire pour aider. Ca passera donc par la pétition, la campagne numérique lancée par la ville de Blanquefort dans laquelle on a interpellé Ford dans sa décision de partir tellement ça paraissait aberrant, même économiquement parlant ». Cette dernière a d’ailleurs touché plus de 50 000 personnes entre les mentions sur twitter et le partage sur les réseaux sociaux. « Pour pouvoir participer, on leur offre deux possibilités : soit ils viennent écouter et poser des questions l’après-midi au forum-débat où ils pourront entendre des gens qui travaillent dans l’usine. Ils pourront échanger avec les sociologues, découvrir les rapports que l’on peut avoir par rapport à son grand patron dans ce genre d’industrie. La deuxième participation possible, c’est le concert du soir, avec une prévente des billets parce que nous n’avons « que » 600 places. Je ne suis pas inquiète sur la fréquentation, j’ai plutôt peur de me faire déborder par le nombre que l’inverse. Ils sont à cinq euros, c’est une participation symbolique ». 

Parenthèse inattendue

Ce mardi, les têtes d’affiche se sont dévoilées, elles viendront d’ailleurs « toutes à titre bénévole », a précisé la municipalité. Pour la partie débats, qui se tiendra de 14h à 17h30 à l’amphithéâtre du lycée agro-viticole, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon (sociologues, entre autres connus pour leurs travaux sur la « sociologie des riches ») sont attendus, de même que le directeur du Monde diplomatique, Serge Halimi (auteur -notamment- du célèbre « Les nouveaux chiens de garde »), sans oublier, bien sûr, des salariés et syndicalistes du site de Blanquefort, qui prendront la parole pour expliquer les réalités de leur situation. Côté musique, c’est incontestablement Bernard Lavilliers qui sera la tête d’affiche, mais Didier Super, HK, Buscavida et Herein l’accompagneront également sur le site du parc de Fontgravey. Les billets seront d’ailleurs en vente aussi bien auprès du comité d’entreprise de FAI que de la mairie et de la MJC de la commune. Et ce n’est pas les seules petites surprises que devrait contenir la manifestation, à laquelle plusieurs noms (Guillaume Meurice, Pierre-Emmanuel Barré, François Maurel, la chanteuse Juliette) avaient annoncé leur intention de participer. « Tous ces gens là étaient partants mais on a du stopper. On a des dessinateurs de presse qui nous ont envoyé de nombreux dessins, même Plantu nous en a envoyé un », confiait ce matin Philippe Poutou. « On va donc faire une exposition de dessins à l’entrée du concert avec un peu plus d’une trentaine de dessins. Il y a un milieu artistique qui est content d’aider, on est habitués au soutien entre salariés, mais ça c’est un peu nouveau. On a aussi un photographe amateur qui a fait des photos-portraits de salariés, ça donnera lieu à une exposition photo à côté. Un autre photographe envisage déjà de faire une expo plus tard à Blanquefort. C’est rassurant de voir qu’il y a des gens qui sont sensibles à une lutte comme la nôtre ».

On l’a compris, l’évènement veut être un peu plus qu’une simple parenthèse culturelle, plutôt un moyen de continuer à alerter l’opinion publique sur le sort des « Ford ».  « Ce qui nous intéresse dans cette mobilisation par rapport à Ford Europe, c’est la notion de durée. Il ne faut pas qu’on s’épuise et la diversification est un remède à cet épuisement », confirme la maire de Blanquefort, alors qu’un futur comité de suivi pourrait avoir lieu dans les semaines à venir. « Ce qu’on veut montrer avec cette journée, c’est que, chacun à son niveau, on est en capacité de faire quelque chose même quand on a l’annonce brutale d’une multinationale. On se sent tous petits en tant qu’individus ou en tant que commune. Je ne crois pas à la fatalité, je me souviens de ce qu’il s’est passé il y a dix ans. On entend beaucoup que c’est terminé, que Ford a pris sa décision, qu’ils veulent partir. C’est vrai, je ne peux pas le nier, mais ils l’ont déjà fait », conclut-elle en faisant référence aux précédents épisodes houleux de l’antenne locale de la multinationale (notamment celui de 2008). Combat sain mais combat vain ? Pas sûr. « Est-ce que c’est faisable ? Je n’en sais rien. Mais bon sang, qu’est-ce-que c’est tentable ! ». Le nombre de personnes présentes à Blanquefort le 21 avril prochain aura à charge d’en apporter la confirmation.  

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
On en parle ! Gironde
À lire ! SOCIÉTÉ > Nos derniers articles