SAVEURS- Un chef, Jean-Marie Amat (1) évoque l’importance de la mémoire dans l’appréciation des goûts.


Article paru dans le numéro 1 d'Aqui - septembre 2004

Aqui.fr

SAVEURS- Un chef, Jean-Marie Amat (1) évoque l'importance de la mémoire dans l'appréciation des goûts.

Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 2 min

Publication PUBLIÉ LE 02/01/2007 PAR Catherine Boulanger

« La palette des goûts est infinie »

B ien entendu, la diversité est essentielle pour moi, car je pense que la palette des goûts est infinie. Or la mémoire du goût est tenace et affective, et aujourd’hui il y a des saveurs que l’on ne retrouve plus. Je me souviens par exemple d’une petite fraise qu’on cueillait au bout du jardin. Mûre, elle était blanche, et elle avait une saveur tellement particulière…

C’est donc finalement la mémoire qui nous montre que la biodiversité est importante. A une certaine époque, on a voulu produire plus « solide », plus « efficace », et en se concentrant sur un petit nombre de produits, on a pris le risque d’appauvrir la palette du goût. On a ainsi perdu le sens même des produits de saison. Mais c’est une aberration de vouloir manger des fruits d’été toute l’année ! Il faut aussi apprécier le bonheur de l’attente de certains goûts. La saison de la coquille Saint-Jacques, par exemple, ne dure que quelques mois. Il est insensé de manger de la Saint-Jacques congelée, ou conservée de quelque façon que ce soit. C’est un produit fragile, qui n’a de goût que fraîche, le reste de l’année, ça n’a plus aucun intérêt. L’industrie agroalimentaire est en grande partie responsable de ce dérèglement. Elle nous tend des pièges grâce à des produits sucrés, parfumés, faits pour séduire, et qui ont toujours le même goût d’un paquet à l’autre. C‘est une facilité aussi pour le consommateur, il peut en « bouffer » à l’infini, sans même avoir faim.

On est là dans une contradiction totale avec l’apprentissage du goût qui est, paradoxalement, plus excitant que jamais. Il y a par exemple l’internationalisation de la cuisine, qui fait qu’on peut aujourd’hui découvrir des goûts venus du monde entier. ça serait dommage de réduire cette infinité de saveurs à quelques produits normés. En réalité, la diversité des goûts dépend grandement de la diversité des produits qu’on utilise. Même si tout est question d’interprétation de la recette, on ne peut fondamentalement pas faire de bonne cuisine si l’on a pas de bons produits. Et en poussant un peu, on pourrait dire que l’éleveur, le maraîcher jouent leur part dans la réussite d’un plat. C’est pourquoi il est tellement décevant de voir des rendez-vous ratés, comme l’agneau de Pauillac. A vouloir trop en faire, ils sont arrivé à des bêtes de 12, voir 14 kilos. Mais elles n’ont plus aucun goût. Un bon agneau de Pauillac ne devrait pas dé passer les 8-9 kilos.

Pourtant, il y a aussi de bonnes nouvelles dans notre carte du goût. Après deux décennies assez dramatiques, on peut de nouveau trouver des poulets ou des tomates qui ont vraiment du goût. On retrouve des races anciennes comme le cochon noir de Bigorre qui offre des saveurs disparues depuis longtemps. Il faut rester curieux. » 

(1) Jean-Marie Amat est le chef emblématique du renouveau de la cuisine à Bordeaux.

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Laissez vos commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

On en parle !
À lire ! CULTURE > Nos derniers articles