Rive Droite de Bordeaux : municipales, et après ? Réponse avec Etienne Parin.


RB

Rive Droite de Bordeaux : municipales, et après ? Réponse avec Etienne Parin.

Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 11 min

Publication PUBLIÉ LE 10/03/2020 PAR Romain Béteille

Dans une étude parue en 2019, l’a’urba ne manque pas de souligner l’importance de cette rive. Démographiquement, la « grande rive droite » (composée d’Ambarès-et-Lagrave, Ambès, Artigues-près-Bordeaux, Bassens, Bouliac, Carbon-Blanc, Cenon, Floirac, Lormont, Saint-Louis-de- Montferrand, Saint-Vincent-de-Paul et du quartier bordelais Bastide) recensait en 2015 129 000 habitants. À elle seule, elle représente 17% de la population métropolitaine, avec une disparité manifeste entre les communes mais 23% de la surface géographique métropolitaine. Économiquement, elle regroupe 13% du volume d’emplois de la métropole, on y recensait 54 000 emplois en 2015.

Les projets urbanistiques continuent de s’y multiplier : en décembre dernier, le nouveau programme de l’ANRU (agence nationale pour la rénovation urbaine) a accordé 77,3 millions d’euros pour le réaménagement de quatre quartiers prioritaires de la métropole bordelaise : Joliot-Curie, le plateau de la rive droite à cheval sur Cenon et Floirac sur lequel on retrouve Saraillère, Dravemont, 8 mai 45 et Palmer, le quartier Carriet et le secteur des Aubiers (Bordeaux-Lac). Transports, urbanisme, économie, social et culture, voilà quels étaient les cinq piliers schématiques du Grand Projet de Ville à sa création en 2001. C’est, sans surprise, les mêmes grandes lignes que l’on retrouve du côté du projet 2014-2025 du GPV, décliné en quatre axes d’actions concrètes : ville habitée, active, nature et incarnée (social et culturel y sont regroupés). La conclusion de l’a’urba est claire : la rive droite est plurielle, et toutes sont « en transition. La poussée démographique des dix dernières années couplée à une programmation en logements ambitieuse à horizon 2030, accélère le processus de résidentialisation. Mise en perspective, la programmation économique ne vise pas une forme de rattrapage mais conforte les phénomènes déjà̀ constatés : faible poids de la GRD dans le volume métropolitain (environ 16 % du potentiel total) et concentration des projets sur les secteurs de la Plaine de Garonne », conclue notamment le rapport.

Dans une récente note de synthèse de l’Observatoire immobilier du Sud-Ouest, la tendance est très nette : Bordeaux continue de construire mais le reste des maires de la métropole y sont bien moins enclins. Ainsi, l’étude a recensé 4250 ventes de logements neufs contre 4232 en 2018, Bordeaux est à l’origine de 26% d’entre elles. L’effet boomerang s’observe notamment sur la rive droite : +15% sur Cenon et Lormont, notamment dûs aux nouveaux quartiers Brazza et Bastide-Niel prévus pour 2025, dont Brazzaligne servira d’axe vert structurant, ou encore le programme Belvédère de Bordeaux Euratlantique (9,3 ha dont 3,9 ha à bâtir) situé au débouché du pont Saint-Jean et intégré dans le projet Garonne-Eiffel. Belvédère est composé de « 70 850 mètres carrés soit plus de 1000 logements, 50 000 mètres carrés de bureaux et 18 800 mètres carrés de commerces, services et équipement culturel ». L’ensemble doit être livré en 2023. À termes, c’est environ 40 000 habitants supplémentaires qui devraient investir ce secteur.

L’urbanisme et les mobilités sont deux des principaux thèmes de cette campagne des municipales. Bordeaux réfléchit à un nouveau pont avant même d’avoir terminé les errances juridiques du pont Veil. Quels visages pour incarner ces prioriités ? Du côté des élus, tous les maires sortants ont souhaité rempiler à l’exception du maire de Bassens, Jean-Pierre Turon qui, après, 43 ans de mandats, a désigné un dauphin (Alexandre Rubio, son adjoint au numérique), élu dès le premier tour avec 72,13% des voix face au principal membre de l’opposition locale, Alex Jeanneteau (27,87%). Bassens est aussi la commune du GPV où l’abstention est la moins forte (59,59% tout de même) : partout ailleurs, elle dépasse les 60%. À Floirac, Jean-Jacques Puyobrau est le seul à être en ballotage favorable avec 48,61% des voix. Au deuxième tour reporté face à l’épidémie de coronavirus, il aura face à lui deux concurrents : Nicolas Calt dans l’opposition et Alexandre Ledoux, candidat Rassemblement National qui obtient 10,01% des voix. Il est le seul des deux listes RN sur les quatre communes à avoir passé la barre des 10% après que le RN ait repeint en bleu marine les communes du GPV au temps des dernières européennes. La candidate En Marche, Sophie Marvaud, n’a pas percé (6,48%) et la gauche divisée de Miguel Menendez n’a pas non plus fait recette (8,32%). Pour Lormont et Cenon, en revanche, c’est déjà joué. Jean Touzeau, qui faisait face au RN, à l’extrême gauche et au centre dans sa course pour briguer un cinquième mandat, a été réélu au premier tour avec 61,96% des voix mais seulement 30,33% de votants. En 2014, le RN était arrivé deuxième avec 21,88% des voix. Pour ce premier tour, la candidate du parti d’extrême-droite, Julie Rechagneux, atteint tout de même 20,48%. C’est à Cenon, enfin, que l’élection est la plus contrastée. Le socialiste sortant Jean-François Egron y est réélu avec 52,19% des voix mais une abstention record à 70,01%.

Face à une métropolisation qui dévoile des effets contrastés (notamment avec le transfert de compétences faisant suite à la loi Maptam), quels sont les enjeux pour la rive droite, au-delà du renouvellement des élus, pour les six ans à venir ? Quels sont ses atouts et les grands défis auxquels elle devra faire face pour s’affirmer au-delà d’une entrée de Garonne renouvelée ? Pour y répondre, Etienne Parin, sorti de sa retraite, raccroche le passé au futur. Ancien directeur du GPV jusqu’en 2016, architecte-urbaniste de formation et la sensibilité tournée à gauche, il dresse un regard sans concessions sur le poids d’une rive droite qui se cherche encore un troisième souffle.

@qui.fr – Dans son étude parue en 2019, l’a’urba souligne une croissance de l’emploi à la baisse sur la « grande rive droite » depuis quelques années. Les programmes immobiliers et le renouvellement urbain continuent, à en croire les dernières directives de l’État dans sa déclaration d’engagement sur le programme ANRU. Selon vous, où en est l’attractivité de la rive droite aujourd’hui ? 

Étienne Parin, ancien directeur du GPV – Historiquement, c’est dans les années 70 que la rive droite s’est révélée. Il y a eu une période de grand réveil avec un « effet désir » très fort. Ça a décroché quand Jacques Chaban-Delmas a commencé à décliner. La rive droite allait avec Mériadeck, c’était une grande époque pour Bordeaux, il y avait les trois fameux maires au pouvoir (René Cassagne à Cenon, Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux et Robert Brettes à Mérignac) et le préfet Delaunay. Il y a eu à l’époque une vision globale qui a débouché sur de grands travaux comme la création de la Cub et du pont d’Aquitaine. Michel Sainte-Marie (ancien maire de Mérignac) a repris la main avec l’aéroport, Alain Rousset a attiré l’attention vers Pessac et tout le poids du développement s’est orienté vers l’ouest de l’agglomération. En 1995, Alain Juppé est arrivé et a mis tout son poids pour recentrer et rééquilibrer le développement sur Bordeaux. C’est là qu’est arrivé le tramway, l’aide au GPV, la création de la zone franche (ou ZFU, dispositif national composé de 131 secteurs en tout dans lesquels les entreprises qui s’implantent et embauchent une main d’œuvre locale peuvent bénéficier d’exonération fiscale) et le relancement des opérations du quartier de la Bastide. Rousset a bloqué lorsqu’il a été président de la Cub, Vincent Feltesse a voulu avoir une vision plus globale en capitalisant sur le tramway et l’opération 50 000 logements, la nature, la culture, le tout avec une vision métropolitaine. Le GPV est arrivé en 2001 sur ces entrefaites. On commençait à y croire, il y avait des « preuves d’amour ». Jean-Louis Borloo a multiplié les crédits pour la politique de la ville. En janvier 2001 lors de la signature du GPV, on a signé pour 445 millions de francs. En 2004 quand tous les contrats ANRU étaient signés, on est passé à 630 millions d’euros, le tout avec un deal : il fallait les dépenser vite. Pour ça, il fallait une structure et une vision globale, pas question de regarder dans l’assiette du voisin. On a fonctionné comme ça pendant pratiquement quinze ans.

Sur le périmètre de la zone franche, il y avait 3500 emplois en 1997. Cinq ans après, il y en avait plus de 15 000. On avait multiplié par trois le nombre d’entreprises avec un effet identitaire au niveau du désenclavement de la rive droite qui était spectaculaire. Ce désenclavement s’est d’abord fait au niveau économique, ensuite au niveau des transports avec le tramway et au niveau immobilier deux ou trois ans après. Le Rocher de Palmer et le développement des médiathèques ont été des réussites culturelles et symboliques. Le grand débat de l’ANRU à l’époque questionnait les maires sur la démolition d’une partie des 13 500 logements sociaux présents sur les quatre communes. Au départ personne n’était vraiment d’accord. Jean-Louis Borloo a beaucoup poussé en mettant de l’argent. Les bailleurs sociaux s’en sont fait beaucoup sur les démolitions… Les maires ne voulaient pas avoir un effet Mériadeck à l’envers, déporter des populations et déstabiliser complètement la structure sociale.

On a donc fait un premier sondage en 2004 pour demander aux gens s’ils voulaient rester ou partir du territoire, les résultats étaient à peu près sur du 50/50. Quatre ou cinq ans, 2600 relogements et 6 ou 7000 nouveaux logements plus tard, la proportion de ceux qui souhaitaient rester sur place était de 80%. Ça voulait dire qu’on avait gagné la bataille symbolique : les gens voulaient rester, à tel point qu’on s’est demandé comment gérer la greffe entre la population ancienne et celle venant de l’extérieur. Elle s’est plutôt bien faite, sans doute grâce à une question de rythme : on a été un peu moins vite que ce que l’ANRU demandait, à savoir cinq ou six ans. Il fallait avoir une vision d’ensemble et ne pas brusquer les choses. La Bastide était le chaînon manquant entre Bordeaux et le GPV, il fallait trouver quoi en faire. Bordeaux a failli rentrer dans le GPV en 2008. Après les élection municipales, Jean Touzeau avait rencontré Alain Juppé pour parler de la cohérence territoriale et lui avait parlé d’une opération sur la rive droite. La machine administrative des services de la Cub, Michèle Laruë-Charlus en tête, a mis les pieds sur les freins face à cette idée. À partir de là se sont mises en place deux machines : la machine GPV d’un côté et la machine grandes opérations (Brazza, Niel, ect.), un système extrêmement libéral, de l’autre. Nous, on avait essayé d’avoir une stratégie territoriale globale, qu’elle soit culturelle, sociale, immobilière, de déplacements. Michèle Laruë-Charlus n’a eu qu’une stratégie immobilière, ce qui pose plein de problèmes. Aujourd’hui, sur la Bastide, il n’y a pas d’emploi, très peu d’équipements de proximité ou d’outils de déplacement. Euratlantique avait imaginé un schéma de déplacements avec trois lignes, ils se sont assis dessus au final (il convient de préciser qu’Etienne Parin est un ancien conseiller municipal à la mairie de Bordeaux, dans l’opposition durant deux mandats de Jacques Chaban-Delmas.)

Aujourd’hui, je suis inquiet parce qu’il n’y a pas de vision métropolitaine. Quand on avait signé le GPV, il y avait un esprit métropolitain sur l’emploi, les déplacements, le social et même sur le culturel. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Depuis un mandat, on est quasiment sans président ; la métropole a signé un mois avant les élections plus de 800 millions d’euros d’infrastructures qui vont multiplier son endettement (récemment évalué) alors qu’elles ne servent à rien voire sont contreproductive. La ligne de tramway vers Saint-Médard, tout le monde sait que ça ne sert à rien, mais on le fait quand même parce qu’on l’a promis au maire…

@qui.fr – En janvier dernier, le bureau de la métropole a acté la création future d’une nouvelle Opération d’Intérêt Métropolitain sur la rive droite, notamment tournée vers une stratégie économique ciblée. Qu’en pensez-vous ?

E.P – Lors de nos réflexions dans le cadre du GPV, on avait aussi travaillé sur cette hypothèse. Dans les documents qu’on avait publiés, il y avait déjà l’idée de cette OIM qui était une opération avec des entrées fortes sur l’économique et la nature. Aujourd’hui, on ressort l’idée. J’ai regardé la délibération récente qui en parle, il n’y a rien dedans : pas un sou, aucun projet stratégique concret. On ne parle pas du port alors qu’on est en train de penser à sa régionalisation ni de l’opération Europan à Floirac, ni même des opérations de reconversion des anciennes zones franches qui sont aujourd’hui usées et grignotées pour faire du logement. Depuis cinq ans, les emplois décrochent sur la rive droite alors qu’on avait réussi à recoller en termes d’emplois par habitant, notamment grâce à la zone franche. S’il y a vraiment un sujet sur lequel il fallait avoir une vision métropolitaine, c’est l’écologie et l’économie. Personne n’a parlé de la métropole dans cette campagne…

@qui.fr – Pour revenir sur les municipales, quels sont pour vous les enjeux politiques communs principaux des quatre communes du GPV ? Pèse-t-il suffisamment dans la métropole dont la cogestion est régulièrement remise en cause par les différents candidats ? Le GPV a-t-il encore son mot à dire ?

E.P – L’enjeu, c’est clairement la mobilité, et on ne peut pas être rassuré. L’emploi, aussi mais les deux sont liés. Sur la culture et le social, je suis moins inquiet. Il faut régler le problème des trajets domicile-travail sur la rive droite. On éloigne de plus en plus le domicile du travail, or les gens vont toujours bosser sur la métropole. Il faut utiliser les atouts de chaque territoire, ça ne sert à rien de faire des nouvelles infrastructures, de mettre une quatrième voie sur la rocade ou de faire un métro. Il faut travailler sur ce qu’on a, voir comment on utiliser différemment les infrastructures, les cadences des bus, des TER, et comment on organise le travail. Il ne faut réfléchir à la rive droite comme on a réfléchi à l’Aéroparc en faisant un contre-Aéroparc. Pour réussir à inverser la courbe, il faut faire de l’emploi diffus comme ça avait été réfléchi sur la zone franche. On arrivera à faire travailler les gens plus efficacement sans qu’ils aient à se déplacer, ce qui n’a pas de raison d’être si ce n’est que c’est une habitude. C’est d’un problème qu’on fait un atout. Si on fait un OIM, ça ne doit pas passer par de grandes infrastructures mais de l’innovation diffuse.

Darwin est un bébé « zone franche », Philippe Barre (co-créateur de l’écosystème Darwin) a commencé dans un garage à Cenon. Ce territoire a une capacité d’anticonformisme positif, comme Darwin, la fabrique Pola ou d’autres demain. Le GPV a marché parce qu’il y avait une communauté de problèmes et une communauté de solutions entre quatre villes. Quand je suis parti (en 2016, il a été remplacé par Florence Caussou), la rive droit était assimilée aux quatres communes du GPV et on commençait à penser à créer la « grande rive droite » avec les onze communes de la rive droite sur la métropole. Sauf que ça n’existe pas, ça ne se crée pas et en plus ça contredirait l’organisation métropolitaine en déstabilisant le GPV et en reniant l’existence du pôle territorial rive droite de la métropole. Quitte à vouloir créer un outil, il faut le créer en fonction de l’enjeu territorial. Le GPV n’est pas une fin en soi, le projet si. Si on fait une OIM, il faut d’abord définir son périmètre et ses objectifs avant de créer l’outil en lui-même. La solution, c’est l’intercommunalité, mais pas molle. Il faut une structure chargée d’étudier tous ensembles ce qu’on va mettre dans l’OIM, quitte à perdre un an s’il faut. Le syndicat mixte des transports est parlant parce qu’on voit que quand il y a un enjeu et qu’on sait de quoi on parle, c’est plus facile d’embarquer tout le monde. Je crois en l’intelligence collective et je pense que les maires de la rive droite seront les premiers à remonter dans le train.

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Laissez vos commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

On en parle ! Gironde
À lire ! MÉTROPOLE > Nos derniers articles