Aqui.fr.- Emmanuel Macron vient de vous confier la création d’un Observatoire européen de l’Histoire que vous appeliez de vos vœux -aqui.fr s’en était fait l’écho déjà- comme député européen. Que souhaitez-vous qu’apporte un observatoire européen de l’Histoire à l’école primaire et secondaire?
Alain Lamassoure.- Après avoir sillonné toutes les routes européennes pendant une bonne quarantaine d’années, je me suis rendu compte que l’interprétation différente du passé compliquait beaucoup les relations entre les pays européens, parfois à l’intérieur du même pays. Mon diagnostic est qu’une des raisons sous estimée de l’apparition et la réapparition dans tous les pays européens de partis extrémistes, populistes, que ce soit de l’extrême droite ou de l’extrême gauche souvent racistes, en faisait son terreau. Et l’enseignement de l’Histoire à l’école pouvait en être une des causes.
En 2019, c’est la France qui a présidé l’organisation internationale du Conseil de l’Europe, à ne pas confondre avec le Conseil européen, le sommet des chefs d’Etat de l’Union. Le Conseil de l’Europe est lui une institution ancienne, basée à Strasbourg qui rassemble les 47 pays de tout le continent et qui est chargé de faire connaître et de défendre les valeurs de la civilisation européenne y compris à travers l’enseignement.
« Une vingtaine de pays ont proposé d’en être les membres fondateurs »
@aqui.fr – Comment se sont articulées sa création et son organisation?
A L . L’année dernière, j’avais proposé au président Macron de faire de ce sujet la priorité de la présence française de ce Conseil de l’Europe. Ce que le président a accepté et présenté comme tel et j’ai été chargé d’une mission pour préciser, négocier et finaliser le projet. Malgré les confinements successifs, nous sommes parvenus dans le délai prévu, qui était d’un an, à faire accepter à la fois le principe, l’objectif et les statuts d’un observatoire européen de l’enseignement scolaire de l’Histoire, à l’unanimité des quarante-sept pays. Dans le contexte actuel exceptionnellement difficile une vingtaine de pays se sont proposés d’en être les membres fondateurs et des moindres tels que, outre la France évidemment, l’Espagne, l’Irlande, l’Italie, la Grèce, la Russie et même la Turquie et l’Arménie qui étaient quasiment en guerre il y a un mois.
@qui.fr – Pourriez-vous nous donner deux exemples concrets des malentendus historiques à dépasser…
A L – Ce sont les deux armistices des deux dernières guerres mondiales. Par exemple le 11 novembre 1918. En France dans les livres d’Histoire, c’est présenté comme une grande victoire française, évidemment très douloureuse et qui a exigé beaucoup de sacrifices et qui est un exemple de l’unité du peuple français. En Allemagne, le 11 novembre a été vécu comme une défaite non méritée de l’armée allemande puisque, à cette date, il y avait encore 2 millions de soldats allemands occupant le sol français et il n’y avait pas un seul soldat français en Allemagne. Le peuple allemand n’a pas compris l’Armistice du 11 novembre et cette défaite mal assumée a été le début d’un enchaîneent d’événements qui s’est achevée par l’arrivée d’Hitler au pouvoir. En Pologne, le 11 novembre est une fête nationale de l’Indépendance polonaise retrouvée. Par contre à Budapest c’est vécu comme un drame national parce que la Hongrie qui a fait partie des Pays vaincus a perdu les deux tiers de son territoire et de sa population. Dans la ville de Vienne en Autriche, le 11 novembre 1918 voit l’effondrement de l’Empire autrichien millénaire et, du coup, les Autrichiens avec humour ne commémorent pas ce jour mais annoncent le début de leur Carnaval. Certes il est important d’expliquer ce qu’ont vécu les grands parents mais il faut aussi montrer que les enfants européens des pays voisins ont eu une expérience, une mémoire différente.
Les 8 et 9 mai 1945, pour nous Français, pour les Anglais et les Russes, c’est la fin de la deuxième guerre mondiale et ses atrocités mais, pour d’autres, ce la à correspondu à une bascule du nazisme vers le communisme stalinien
@qui.fr – Quelles sont, selon vous, les conséquences de ces interprétations différentes voire contradictoires?
A L – Il est évident qu’en choisissant dans l’Histoire certains moments, certains personnages et certaines interprétations, on peut enflammer très facilement les émotions populaires. À la base, fondamentalement, les Nationalistes se détestent, comme j’ai pu le constater au Parlement européen au sein même de l’extrême droite et de l’extrême gauche. Et aussi donc entre ces deux extrêmes. Pour donner un seul exemple des méfaits de l’histoire enseignée comme propagande nationaliste: l’Irlande du Nord. Celle-ci a connu une guerre civile qui a pris fin aux accords du Vendredi Saint 1998, il y a 22 ans. Et depuis, on a cru qu’elle était en paix. Puis avec le Brexit, on se rend compte que si une frontière physique devait être créée de nouveau entre Irlande du Nord et la République d’Irlande au sud, le conflit reprendrait. Pourquoi? Parce que depuis 22 ans, à Belfast, en Irlande du nord, les petits catholiques continuent d’aller à l’école catholique, les petits protestants continuent d’aller à l’école protestante et tous ces braves petits Chrétiens apprennent à se haïr réciproquement et donc l’Histoire, de cette manière, entretient la transmission des haines.
@qui – De nos jours, l’Histoire semble être écrite par les réseaux sociaux et une manipulation qui permet de se demander ce que chacun retiendra de la réalité historique…
A L – L’enseignement de l’Histoire est d’autant plus nécessaire que les réseaux sociaux donnent une caisse de résonance inimaginable et même mondiale aux nouvelles, aux informations les plus spectaculaires et déclenchent les plus fortes émotions. Très souvent au prix de la simple vérité. Nos enfants en sont nourris quotidiennement par les écrans, par les images et le plus souvent par des messages totalement contradictoires. Ils ont besoin d’apprendre, à réfléchir et à remettre en perspective, dialoguer, écouter l’autre, mais aussi trouver les vraies racines communes de notre vie en société. En société nationale, sociétés européennes et au niveau de la planète.
@qui – N’est-ce pas très compliqué, quand les mauvais exemples, qu’il s’agisse des Etats Unis, de la Turquie ou
de l’Angleterre viennent d’en haut?
A L – Oui bien sûr, c’est pourquoi il faut se réjouir de la sévère défaite de Donald Trump et du fait qu’en Europe, la France comme l’Allemagne sont dirigés par des personnalités qui portent haut les valeurs universelles.
@qui – Les bons scores d’audience des récentes émissions et séries sur le général de Gaulle n’ont-elles pas de quoi rassurer?
A L – Je dirais oui mais (1). Oui, parce que c’est une très belle leçon d’Histoire et parce que le général de Gaulle a gardé l’image d’un rassembleur dans les moments les plus difficiles de la vie nationale. Mais, car je souhaite que les Français et les Européens se rassemblent aussi, et même d’abord, sur le futur et non pas sur le passé. Il est temps que les partis politiques français donnent d’autres références que les grandes figures du passé, De Gaulle, Jaurès ou Jeanne d’Arc. Notre problème est de bâtir le XXIe siècle. La crise sanitaire, la crise économique qu’elle entraîne, la révolution numérique accélérée par les confinements, la lutte contre le terrorisme islamiste, la maîtrise et la lutte contre les changements climatiques. Aucun de ces défis n’est soluble, n’est possible, sans l’unité de l’Europe.
(1).- Une réponse qui rappelle qu’Alain Lamassoure (à Anglet sur notre photo) a été conseiller de Valéry Giscard d’Estaing pour lequel il a écrit de nombreux discours. « Mais ce n’est pas moi qui ait créé la fameuse formule du « Oui mais » « , précise-t-il. En ajoutant qu’il a rencontré l’ancien président de la République, avec lequel il a toujours conservé des liens fidèles, il y a un mois à peine.