Qui a peur de la représentation? Ce Liban mutilé au TnBA


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Qui a peur de la représentation? Ce Liban mutilé au TnBA

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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 21/11/2007 PAR Joël AUBERT

Qui a peur de la représentation? Une réflexion brute, menée par deux activistes de la scène libanaise, sur la vacuité et les conséquences de la guerre civile au Liban, mise en parallèle avec des performances menées par des body artistes entre les années 1960 et 1970. Lorsque le théâtre redevient un enjeu politique…

Du groupe à l’individu : un véritable chemin de croix

« Ca va, tu es prêt ? » demande Linah Saneh à son compagnon de scène avant de débuter. Une question rituelle, prononcée avant chaque ouverture du livre « Body Art », ouvrage contenant les anecdotes des « performers » auxquels elle fera allusion pendant la représentation. Dissimulée derrière un écran vidéo, elle raconte, décrit avec le temps qui lui est imparti, 45 secondes de l’œuvre de Gina Pane,une minutes et deux secondes de celle d’Orlan. Elle dit avec lucidité et une distance calculée, quels types de violence ces artistes ont exercé contre leur corps, allant crescendo dans le physiquement insoutenable. Pourquoi ils ont fait ça, on ne le saura pas. Juste des faits et des dates, des mises en perspective de leurs œuvres avec des moments clés de l’histoire du Liban de ces années 1970. Et, avant tout l’affirmation d’individualités fortes et libres, délivrées du joug de la censure et de la bien pensance. . De l’autre côté de l’écran, Hassan Mamoun (Rabih Mroué) raconte son crime. Comment il a tué huit de ses collègues par déshonneur d’abord, pour défendre l’islam ensuite, et, finalement par folie meurtrière. Douze ans engagé dans l’armée aux côtés du Amal et un souvenir tenace des opérations militaires barbares menées derrière sa maison auront eu raison de son humanité. Hassan Mamoun, c’est la figure paradoxale et ambigüe d’un personnage qui cristallise la situation actuelle au Liban ; un pays où règnent le communautarisme, le confessionnalisme, les contradictions sociales, idéologiques, économiques. Un véritable brasier selon les metteurs en scène qui redoutent une nouvelle guerre civile. « C’est une accalmie, pas une paix » nous dit Lina Saneh « et si nous ne discutons pas nous courrons vers une nouvelle guerre. » C’est donc un théâtre de mots qu’ils nous proposent, avec la force d’un discours cru et politique qui défie toute censure et interroge le public européen ou maghrebin. Une façon également de repousser leurs propres limites, innées ou acquises et de porter sur scène leurs inhibitions : « On ne cherche pas le grand public, nous menons un travail de réflexion et de provocation pour nous. Ce qui est dangereux c’est l’autocensure; donc pour la combattre il faut éliminer la censure » confie Rabih Mroué à la fin de la représentation. Même s’il faut en payer le prix et devenir « personna non grata » des circuits officiels…

Ecouter puis digérer

Qui a peur de la représentation ? est une pièce qui s’écoute et qui se digère après coup, en reconstituant le puzzle des évènements et en y associant un contexte culturel difficile, étranger à notre système de référence européen. C’est un acte de résistance au Liban et une leçon de vie et de courage en France. C’est un rappel de nos droits fondamentaux et un étourdissant constat de scission entre deux frontières pourtant proches, mais où pour l’une d’ elles, il est interdit de prononcer les mots Hezbollah ou sexe. C’est une vision dichotomique de l’artiste dans le monde arabe, à l’image de cet écran sur lequel ils tentent d’imprimer leur double identité, cette « peau » qui sépare les deux personnages et les lie en même temps. On aimerait posséder toutes les clés du discours mais on ne distinguera que les grandes lignes de ce spectacle aux mille anecdotes. Mais qu’importe ? Elles suffiront, ici, à nous faire sentir le malaise toujours présent au Liban, insidieusement disséminé dans chaque pan de la société et qui semble empêcher pour l’heure (et pour combien de temps) d’exercer en toute impunité le simple métier de metteur en scène.

Hélène Fiszpan



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