Grand Entretien: Alain Lamassoure: nous devons trouver de nouvelles ressources pour le budget de l’Union Européenne


Guillaume Paumier
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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 27/11/2011 PAR Joël AUBERT

Aqui.fr – En ces temps de crise, de dérégulation comment va-t-ondemain gérer les marchés des produits agricoles ? L’Europe au-delà de2013, va-t-elle pouvoir  conserver les moyens et les outils  quipermettent de maintenir une agriculture à la fois productive,  vivanteet assurant un revenu aux agriculteurs ?

Alain Lamassoure.L’agriculture est  relativement protégée de la crise financière. Il esttrès important pour les agriculteurs que depuis quelques années seproduise un renversement, au niveau mondial, du rapport entre l’offre deproduits agroalimentaires et la demande. Nous avons connu, pendantpresque un demi-siècle, une situation dans laquelle la production avaittendance à devancer sans cesse la demande. C’est la raison pour laquellela Politique Agricole Commune a été conçue, depuis l’origine, commeétant destinée à soutenir le revenu des agriculteurs.

Dans unpremier temps, elle a été carrément protectionniste, les cours du marchémondial ayant tendance a être systématiquement très bas. Ongarantissait que les cours auxquels les producteurs français, européens,pourraient vendre leurs produits sur le marché européen, seraientrémunérateurs. C’était le prix indicatif, le prix d’orientation. Unsystème de droits de douanes mobiles, dont le taux changeaitquotidiennement, avait été conçu pour s’assurer et ce quel que soit leprix mondial, que le prix de la tonne de blé rendue à Hambourg, et venue de laBeauce, serait systématiquement plus élevée que le blé venu de Chicago.

Dansun second temps quand on a démantelé  ce système, dans le cadre duGATT, devenu l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), on a garanti lerevenu des agriculteurs par des paiements directs à l’hectare.

Adapter la PAC à un renversement mondial

Pendant cinquante ans la PAC a été conçue, principalement pour soutenir le revenu desagriculteurs dans une situation globale qui connaissait des aléasconsidérables, d’une année à l’autre, mais dont la toile de fond étaitune offre supérieure à la demande. Avec des prix qui avaient tendance às’effondrer. Or depuis plusieurs années nous assistons à unrenversement. Du coté de la demande… Les pays émergents voient leur niveau de vie augmenter ; ils se nourrissent mieux, mangent  plus deviande, des volailles du porc, du bœuf. Or, il faut 10 kilos de céréalespour faire un kilo de bœuf …Du coup, avec les accidents climatiqueset l’épuisement de sols, le développement, aux Etats-Unis notamment, deproductions végétales à usage industriel comme les bio-carburants, noussommes entrés dans une période où la demande de produits agricoles tend àprécéder l’offre. C’est une bonne nouvelle pours les producteurs car lemarché va être plus rémunérateur qu’auparavant. Mais, cependant, avecdeux sources d’inquiétude.

D’une part, au sein même del’agriculture, les produits végétaux sont une matière première et leurprix est un prix de revient pour les éleveurs. D’autre part, lavolatilité des prix est beaucoup plus grande : on l’a vu pour lescéréales, pour le lait parce que nous n’avons pas encore d’organisationau niveau mondial.
Nous avons donc besoin d’adapter la PAC à cettesituation, très différente de celle que nous avons connue. La Commissioneuropéenne a fait des propositions qui devraient y répondre.


Aqui.fr -Mais justement comment seront réparties les aides, alors que serontsupprimées les « références historiques »  qu’il s’agisse surfacesirriguées, d’un système de production intensif…?

AL – Ilfaut une redistribution des aides sur la base des situations régionales,du potentiel région par région. La France en a admis le principe. Deuxévolutions se précisent qui sont essentielles.

D’une part,la mise en place de mécanismes d’assurance sur la volatilité des prix;c’est fondamental. Quand, a l’été dernier, le prix du maïs a dépassécelui du blé (200 euros/tonne), quand on a vu ce qui est arrivé en2009 pour  le cours du lait, lorsque les producteurs ont connu l’année laplus noire du siècle, quand on a vu les paniques alimentaires qui sesont produites dans certains pays, la première fois en 2007-2008 et l’andernier de nouveau…. Songeons que  des pays traditionnellementexportateurs de riz  ou de blé interdisent les exportations. Pournos producteurs le risque existe que leur revenu varie considérablementd’une année sur l’autre. Mais, à partir du moment où la tendance defond va être à l’augmentation des prix des produits alimentaires, ilfaut  développer des mécanismes d’assurance ; on a commencé à  titreexpérimental en France mais il faut développer, non seulementl’assurance climatique mais aussi une assurance de caractère économique.

D’autre part, et la France, à ce sujet, s’est beaucoupbattue auprès de la Commission européenne et a fini par la convaincre etnous essayons de convaincre nos partenaires au sein du Parlementeuropéen : il s’agit de permettre aux producteurs, aux groupements de producteurs, de s’organiser enfilières de production avec des règles dérogatoires par rapport auxrègles de liberté de la concurrence, habituelles dans l’industrie. Pourl’agriculture, nous l’avons vérifié à propos de la crise du lait, pour les fruits etlégumes aussi, si nous n’avons pas une organisation de la filièreinterprofessionnelle dans certains contextes économiques la grandedistribution abuse de sa position dominante. Nous avons eu énormément demal à faire comprendre à la Commission européenne qu’il y avait unespécificité de la production agricole et des relations entre producteurset transformateurs, qu’ils soient coopérateurs ou non, et la grandedistribution. Cette pédagogie nous devons la continuer.

Le budget de la PAC, priorité francaise 

Aqui.fr – Les choses on quand même progressé avec l’acceptation de la contractualisation

A.L – Les choses évoluent favorablement. Je suis plus optimiste qu’il y a quelque temps.

Aqui.frEt si nous parlions maintenant du budget futur de l’agriculture européenne. Que deviendra-t-il après 2013 ?

A.L – C’est un problème sur le quel je suis en première ligne en tant queprésident des commissions du budget du Parlement européen. La Francecontinue d’avoir  comme première priorité, je suis tenté  de dire laseule, le maintien du budget actuel de la Politique Agricole Commune. Etceci sur la négociation du budget européen des sept années à venir.C’était, déjà, la seule priorité du président Chirac lors de lanégociation précédente pour la période 2007-2013; son successeur arepris cette priorité avec le soutien du Parlement européen. C’estimportant car le Parlement européen, en matière budgétaire, a le mêmepouvoir que le Conseil des ministres. Dans la nuit de vendredi à samedide la semaine passée, nous avons trouvé un accord sur le budget de 2012.Et nous avons commencé la négociation du cadre 2014-2020, le 12septembre dernier, entre une délégation du Parlement européen que jedirige et le trio des trois présidences successives du Conseil desministres  européens, actuellement présidé par la Pologne et qui le seraensuite par le Danemark et Chypre. Donc je négocie actuellement avecles ministres polonais, danois et chypriote…Cette négociation va durerentre un à deux ans et prendra effet au 1° janvier 2014. Le Parlementeuropéen aborde cette négociation avec la volonté de maintenir le budgetde la Politique agricole Commune. L’Allemagne soutient la position dela France.

Trouver de nouvelles ressources face aux Etats ruinés

Aqui.fr – C’est une donnée particulièrement importante de la négociation…

A.L – L’Allemagne mais aussi la Pologne, l’Italie, l’Espagne, plus leparlement européen… c’est une garantie assez forte mais dans lecontexte budgétaire actuel nous avons absolument besoin – et c’est moncombat personnel depuis de nombreuses années – de trouver un autre modede financement du budget européen global. Si nous ne le trouvons pasnous ne pourrons maintenir le budget de la PAC, et cela quelle que soit notrevolonté politique. Le problème du budget européen vient de ce qu’àl’origine, conformément à ce qui était prévu dans les traités, il étaitfinancé par des ressources propres, un peu comme le sont en partie lescollectivités locales. L’Union européenne avait ses ressources propres,les droits de douane, y compris sur les produits agricoles quirapportaient énormément d’argent, car nous étions protectionnistes. Unetaxe sur les entreprises métallurgiques et minières existait aussi, dutemps de la Communauté Economique Charbon Acier. Ces ressources se sont,petit à petit, épuisées. Il a fallu trouver un autre mode definancement. C’était à l’époque héroïque où cela se négociait entre lechancelier Kohl, le président Mitterrand et la redoutable Mme Thatcher.La solution qui avait été retenue, au lieu d’affecter une ressource aubudget européen, avait été de le compléter par des contributions desEtats nationaux, proportionnellement à la richesse des états membres, cequ’on fait par ailleurs pour les organisations internationales (Unesco,Fonds monétaire international…),  sauf que l’UE n’est pas uneorganisation internationale ordinaire. Elle a des politiques propres :l’inconvénient, c’est qu’aujourd’hui les contributions nationalesconçues pour être un complément provisoire sont devenues l’élémentdominant ; elles financent pratiquement 80% du budget européen.  Et comme nos Etats sont ruinés, nos budgets sont ruinés et que nous sommesdans l’obligation de faire des économies dramatiques, le budget européenne compte plus. Voilà deux ans que  nous connaissons uneaugmentation… zéro.

Dans la négociation du budget 2012, lasemaine dernière, en tant que dirigeant la délégation du parlementeuropéen, j’ai été obligé d’admettre que je ne demanderai ni un euro deplus aux malheureux grecs ni un euro de plus aux allemands qui en ontmarre de payer pour les autres. Je me bats depuis 2005 pour  que l’onrevienne à l’esprit d’origine, inscrit dans la lettre des traités maisque l’on ignore depuis quinze ou vingt ans. Pour que l’on trouve denouvelles ressources propres pour alimenter le budget européen. Aprèsavoir prêché dans le désert, l’indifférence voire la moquerie, leParlement Européen qui m’a suivi a obtenu, l’année dernière, que laCommission Européenne mette sur la table des propositions de ressourcesnouvelles.  Le traité de Lisbonne rend cela possible depuis décembre2009 . La Commission européenne l’a fait ; elle a mis eux propositionsconcrètes sur la table , des propositions de décisions, sur lesquellesnous travaillons. Nous allons engager la négociation  sur ce volet ducadre budgétaire à venir là le 5 décembre. Les Deux propositions sur latable sont, d’une part, l’affectation d’un point de TVA ce qui voudrait dire que dans le cas de la France où le taux de TVA est de 19,6%  18,6%seraient affectés au budget français et un point irait au budgeteuropéen. En contrepartie, on réduirait d’autant la contribution dubudget national au budget européen. A cela s’ajouteraient les ressourcestirées  de la création dans tous les pays d’Europe de la fameuse taxesur les transactions financières.

Pour sortir de la crise…


Aqui.frTout cela sera très lié aux évolutions des politiques nationales en cette période d’incertitude et de croissance plate.

A.L –  C’est une condition absolue pour que l’Europe puisse à la fois financerles politiques existantes dont la PAC, en maintenant le niveau dubudget agricole actuel, mais aussi les nouvelles politiques européennesdont l’Europe a absolument besoin pour sortir de la crise actuelle . Etretrouver un niveau de croissance raisonnable et de la compétitivité enmatière d’innovation, de recherche, d’énergies nouvelles…. La Région Aquitaine bénéficie, par exemple, énormémentdes programmes de recherches de l’Europe qui sont orientés, pour unepartie importante, sur tout ce qui est aéronautique et spatial. C’estainsi que le programme «  Clean sky », Ciel Propre, permet à toutes lesindustries aéronautiques de bénéficier d’aides pour la recherche detechnologies ou de procédés de fabrication permettant de réduire laconsommation de kérosène, l’idée étant de la réduire de 20% d’ici 2020.Cela concerne les motoristes, le groupe Safran en France mais égalementles avionneurs car, selon les matériaux utilisés, on peut réduire laconsommation de carburants. Un autre programme très important, c’estSESAR, une étude de la possibilité d’automatiser complètement lanavigation aérienne avec l’usage d’un système tel le GPS pour notrecirculation automobile.  Est ce que ce seront les Américains ou lesEuropéens qui seront prêts les premiers ?  Les premiers qui l’auront misau point le vendront dans le monde entier. C’est un enjeu essentiel  etla  plupart des laboratoires qui travaillent sont dans le sud ouest;pour nous c’est un enjeu considérable. Vous le voyez je défends donc, àla fois l’argent de la PAC et celui qui soutient les programmes de cegenre…

Propos recueillis par Joël Aubert


1.le budget européen est encadré dans une période de sept ans 


Photo: Guillaume Paumier

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