Alors que s’ouvre le salon international de l’agriculture à Paris qui va promouvoir les plus belles productions de nos territoires auprès d’un public majoritairement urbain, la France rurale butte sur un obstacle majeur : 30 000 agriculteurs vont partir en retraite d’ici 2030. Qui pour les remplacer ?
Defi démograhique colossal
Le responsable du syndicat des jeunes agriculteurs pour la Nouvelle-Aquitaine, Gaëtan Bodin, lui-même jeune installé en Charente-Maritime, ne cherche pas à minimiser le problème. « Nous faisons face à un défi démographique colossal ! Nous avons besoin de rendre notre métier plus sexy et de mettre au point un modèle gagnant-gagnant pour que tous s’y retrouvent : le cédant qui veut transmettre son exploitation et le jeune qui aspire à s’installer.»
Face à l’érosion de la population agricole, c’est avec les candidats non issus du milieu agricole qu’il faut envisager les reprises d’exploitations. Mais pour un agriculteur qui arrive en fin de carrière, passer la main à un de ses enfants ou vendre à un inconnu, cela ne relève pas du même état d’esprit.
Récupérer une manne financière
« Un agriculteur ne vend qu’une seule fois. Il veut récupérer une manne financière, » reconnaît Gaëtan Bodin. Entre les hectares de terres, les bâtiments d’exploitation, le matériel, le cheptel, l’habitation qui a hébergé une vie de famille et les immobilisations financières liées aux cultures qui demandent du temps, le prix peut s’envoler.
Sans compter une grosse part d’affect au regard des efforts fournis pendant une vie entière, parfois avec un conjoint, qui va venir constituer un capital retraite. « Si c’est dans un cadre familial ça peut se dérouler progressivement en plusieurs étapes, décode Gaëtan Bodin. Dans le cas d’une cession hors cadre familial, le jeune candidat à l’installation peine à trouver un partenaire bancaire. Pour autant, un jeune doit pouvoir se dégager un revenu suffisant pour vivre dignement dès la première année. Mais c’est utopique de penser qu’un agriculteur va baisser son prix juste pour favoriser l’installation d’un jeune.»
Des outils, un pacte et une loi
La solution alternative c’est parfois de vendre à un voisin déjà installé et qui va s’agrandir. Une solution de dernier recours pour le jeune professionnel: « La priorité c’est l’installation d’un jeune. On ne veut pas d’une généralisation de l’agrandissement des exploitations existantes. » Un agrandissement des surfaces synonyme d’investissements plus lourds encore pour les candidats à l’installation de la génération suivante.
Un certain nombre d’outils existent, articulés autour du point accueil installation transmission (PAIT) de la Chambre d’agriculture. Les conseillers dédiés de la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) rapprochent les cédants des candidats à l’installation. Le Conseil régional joue sa partition en défendant une politique de cohérence et de moindre consommation des surfaces. Il existe aussi des initiatives associatives comme Terre de liens. Certains départements et même des communes tentent de faciliter une politique du foncier favorable aux repreneurs. Le Crédit agricole mène des réflexions sur le sujet. Tout comme les coopératives agricoles. Illustrations d’une large prise de conscience et de la hauteur des inquiétudes pour l’avenir des campagnes.
Il manque un cap fixé au niveau national, un cadre robuste autour de la transmission installation.
Pas suffisant pour Gaëtan Bodin. « Les boîtes à outils manquent. Le véritable enjeu c’est d’inciter les cédants à vendre à un jeune qui va pouvoir bénéficier de dispositifs fiscaux et de solutions de portage du foncier pour alléger ses charges pendant les première années. Presque tout reste à faire. Ce qui nous manque c’est un cap fixé au niveau national, un cadre robuste autour de la transmission installation. Les cédants qui annoncent leur départ doivent être recensés sur une plateforme nationale et avoir un conseiller dédié. »
En principe, un exploitant agricole doit déclarer son intention de cesser son exploitation au moins trois ans avant son départ prévu en retraite. Il doit indiquer si elle va devenir disponible, en transmettant à la chambre d’agriculture une déclaration d’intention de cessation d’activité agricole (DICAA). Il existe aussi un répertoire départ-installation (RDI) géré par les chambres d’agriculture départementales qui favorise la mise en relation entre les exploitants et les candidats à l’installation. Il assure la diffusion de toutes les offres disponibles avec plus de 1 700 offres chaque année.
« Il faut redynamiser tous ces outils qui manquent d’ambition et ne fonctionnent pas super bien, martèle Gaëtan Bodin. On a besoin du gouvernement et des organisations agricoles pour définir une politique d’ampleur qui doit s’inscrire dans le pacte et la loi d’orientation et d’avenir agricoles, » poursuit le syndicaliste. La concertation lancée en décembre dernier par le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau est justement faite pour ça et doit déboucher sur une proposition de loi en juin prochain. La concertation régionale est ouverte aux contributions, via la chambre régionale d’agriculture. « Il faut avancer le plus rapidement possible.»
Et aussi garantir un revenu décent…
En marge des efforts sur la transmission des exploitations, se pose la question de l’attractivité du métier et notamment de sa juste rémunération. « Toutes les filières ne sont pas concernées de la même façon. Beaucoup de filières survivent avec des revenus insuffisants. Mais il y a aussi des filières de qualité qui rémunèrent justement le producteur, » analyse Gaëtan Bodin. Avant de concéder: « Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt. On peut faire tous les efforts du monde pour l’installation d’agriculteurs, si la production n’est pas porteuse économiquement ça ne sert à rien. La première motivation c’est de pouvoir compter sur un revenu correct. »