Etre Basque aujourd’hui – L’attachement à la langue


Editions Michalon
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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 06/11/2008 PAR Jean-Baptiste Rey

Une découverte fondamentale

Près d’une centaine de mots en langue basque y sont dénombrés, la plupart en lettres peintes. Très lisibles, ces inscriptions en lettres majuscules de l’alphabet latin reflètent à la fois des préoccupations religieuses et quotidiennes. Il y est question de Jésus, de Joseph, le père, et de Marie, la mère, mais aussi de contingences plus pratiques comme la boisson et la nourriture. La curiosité est grande. Qui a pu écrire cela ? Et à quelle époque ? Les indices sont minces mais quelques pistes sont d’ores et déjà irréfutables. Il s’agit bien de langue basque. Le scripteur était déjà en contact avec la civilisation chrétienne. L’enquête commence. Quoique prudents, les chercheurs, qui ont confié ces fragments à l’analyse au carbone 14, font remonter ces inscriptions entre le IIIe et le Ve siècle.
Si cette datation s’avère juste, la découverte est fondamentale car elle fait reculer de huit cents ans notre connaissance physique des textes basques.
Des gens auraient bel et bien écrit en basque dès le bas Empire romain. Le basque ne serait donc pas une langue exclusivement orale comme on l’a toujours dit. À partir de là, c’est toute une série de postulats qui s’effondrent et de perspectives qui s’ouvrent. Jusqu’ici, les premiers textes en basque connus ne dataient que du XIe siècle. Et encore, quelques phrases d’un moine bénédictin, annotées dans la marge d’un codex latin, pour faciliter la compréhension du texte. Outre l’ancienneté de la langue, cette découverte de Veleia apporte deux autres preuves incontestables. D’une part, que les Basques, en tout cas ceux qui vivaient dans les plaines, auraient embrassé le christianisme beaucoup plus tôt qu’on ne le pensait, et, d’autre part, que la langue basque a subi très peu de modifications au cours des siècles. Ce qui n’est pas le moins surprenant pour cette langue à la survivance millénaire.

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Cette découverte est à ce point importante pour les Basques que l’analyse de ces fragments a été envoyée à pas moins de quatre laboratoires de recherche de renommée internationale dont le CNRS en France, l’université de Louvain en Belgique et le MIT aux États-Unis. Tout en permettant d’arrêter avec certitude une datation, cette précaution permettra d’asseoir les résultats sur un consensus d’expertises incontestables.

Des survivants de la population pré-indo-européenne ?

D’où vient le peuple basque ? Personne ne le sait. Il n’existe aucune preuve anthropologique, archéologique ou linguistique qui permette de déterminer d’une manière incontestable l’origine des Basques, ni quand ou comment ils se sont implantés de part et d’autre des Pyrénées occidentales. Les recherches archéologiques contemporaines montrent assez clairement l’existence d’une certaine continuité de la population dans cette zone des Pyrénées depuis le néolithique (environ 4 000 ans avant J.-C.) en passant par les âges de bronze et de fer pour arriver à l’époque des premiers documents écrits mentionnant spécifiquement les Vascons et qui datent du début de l’ère chrétienne. La première hypothèse évidente est de faire de ces Vascons, dont les Basques actuels sont les héritiers directs, les descendants de cette population néolithique. Ils seraient alors les seuls (ou les très rares ?) survivants de la population pré-indo-européenne de l’Europe. Ils auraient ainsi survécu à la période des émigrations indo-européennes de l’âge de bronze (2 500 à 1 000 ans avant J.-C.) qui ont progressivement submergé la « civilisation » technique et linguistique de l’âge de pierre, laissant « les Basques comme une île d’antiquité dans la mer des peuples nouveaux1». Mais comment les Basques auraient-ils survécu, et pourquoi auraient-ils été les seuls à survivre ? Certains ont essayé d’expliquer cette survivance par l’isolement et le refuge du ou des peuples basques dans les profondes vallées pyrénéennes. Mais l’histoire a montré que, loin d’être isolé, ce passage de l’ouest des Pyrénées a toujours été une brèche où se sont engouffrées de nombreuses invasions du Nord et du Sud. Alors ? Un mystère de plus. Si l’on pense que cette survie multimillénaire n’est pas une hypothèse réaliste, quelle peut être l’alternative ? Certains ont imaginé la venue d’un élément étranger arrivant au Ier ou IIe millénaire avant J.-C. dans les Pyrénées occidentales pendant la phase de migration indo-européenne. Ces peuplades (Phéniciens, Caucasiens ?) d’origine non-indo-européenne auraient pu, par exemple, traverser la Méditerranée et remonter le cours de l’Èbre jusqu’à ce qu’il soit non-navigable. Ils auraient ensuite rayonné à partir de ce point et se seraient réfugiés dans les Pyrénées toutes proches pour résister aux Indo-Européens.
Si l’origine des Basques reste énigmatique, il est un fait incontestable, c’est que, malgré toutes les vicissitudes de l’histoire, les Basques ont réussi à conserver leur langue, l’euskara, très ancienne et unique.

L’euskara, seul outil solide

L’euskara est le seul outil solide dont nous disposons pour approcher ce mystère de l’identité basque et de ses origines. C’est par et à travers la langue que se définit le Basque. En effet, euskaldun, le Basque, signifie « celui qui parle l’euskara » et le Pays basque, Euskal Herria, « le pays où l’on parle basque ».

Que peut nous apporter la langue dans la connaissance des Basques ?
Une première constatation. C’est une certitude, une des rares dans cet environnement : le basque n’appartient pas à la famille indo-européenne dont sont issues toutes les autres langues européennes : le grec, le latin et tous ses dérivés comme le français, l’espagnol, l’italien, le roumain, l’occitan, etc., et également le celte, le slave, les langues scandinaves. Mais aussi, en dehors de l’Europe, le sanskrit et le perse ancien parmi beaucoup d’autres. Toutes ces langues descendraient d’une sorte de languemère dont l’origine (peut-être les plateaux himalayens) se perd dans la nuit des temps.
Autre certitude, le basque est la seule langue non-indo-européenne en Europe occidentale. Les trois autres langues non-indo-européennes sont beaucoup plus au Nord et à l’Est : il s’agit du finnois et de son cousin l’estonien, et du magyar, venu d’Asie pendant le haut Moyen Âge. Il n’y a aucune relation significative entre ces langues et le basque.
Cet isolement linguistique démontre la grande ancienneté de la langue. En effet, il n’existe pas d’exemple de langue qui se développe isolément et n’appartient pas à une famille. Cette absence de cousinage suggère une grande longévité au cours de laquelle les autres membres voisins de la famille ont disparu.

Des origines mystérieuses mais…

Mais, quid de son origine ? Les recherches se poursuivent dans trois directions. Selon la thèse basco-ibérique, le basque serait issu de la langue ibérique largement parlée dans la péninsule du même nom avant la conquête romaine. Mais en affirmant cela, on n’explique rien et l’on ajoute du mystère au mystère. Car le peuple ibère et sa langue sont très mal connus, malgré l’importance considérable de leur civilisation dans la première moitié du Ier millénaire avant J.-C. et l’influence culturelle qu’ils ont exercée sur les Celtes, nouveaux immigrés. Au vu de la rareté des traces laissées par les Ibères, nous n’avons pas les moyens de vérifier la pertinence de cette hypothèse.
L’autre piste est celle des langues caucasiennes non-indo-européennes comme le géorgien : on trouve des similitudes intéressantes avec le basque mais aussi des contre-indications flagrantes. Là encore, l’hypothèse n’est pas convaincante. Faute de mieux, certains affirment que l’euskara, loin d’être une langue héritée d’hypothétiques immigrants, serait née là où elle se trouve aujourd’hui. Cette dernière hypothèse, appuyée par de nombreux spécialistes contemporains, semble recueillir aujourd’hui un certain consensus. Ni importée ni reliquat ou déformation d’une autre, le basque serait une langue à part entière, enrichie de nombreux apports extérieurs, mais conçue et enracinée dans le territoire qu’elle occupe aujourd’hui. Spécifique par son origine, la langue basque l’est aussi par sa construction. L’euskara est à ce titre aussi une langue unique. Sa grammaire est d’une singularité radicale et très résistante à toute modification comme le démontre les comparaisons entre les plus anciens textes connus et la langue actuelle. Cette résistance ne s’étend pas au vocabulaire qui s’est largement enrichi d’emprunts aux langues voisines. Le basque est une langue agglutinante composée de suffixes et de radicaux accolés les uns aux autres. Elle élabore des termes spécifiques, ou modifie le sens des mots par adjonction de suffixes aux termes originels. Le genre féminin/masculin n’existe pas sauf quand il se rattache au verbe en cas de tutoiement. Mais la particularité la plus significative réside dans la conjugaison et les accords. L’auxiliaire du verbe, qui est souvent le seul élément conjugué de la phrase, s’accorde non seulement avec le sujet mais également avec les compléments directs et indirects. Une complexité inouïe!

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