Franck Selsis, l’autre chercheur d’or


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Temps de lecture 19 min

Publication PUBLIÉ LE 10/04/2017 PAR Romain Béteille

Depuis quelques années, la science-fiction est partout. Avec Avatar, Interstellar, Gravity et consorts, le cinéma s’est emparé du genre de manière florissante comme jamais auparavant. Les rayons science-fiction des librairies se sont considérablement agrandis et font face au polar comme un genre toujours plus prolifique. Même le jeu-vidéo propose de découvrir d’autres planètes et imagine un futur hypothétique d’exploration interstellaire pour l’humanité. D’un autre côté, au fur et à mesure de l’avancée des recherches scientifiques et les projets se multipliant (le télescope Hubble a tout récemment observé la disparition d’un gigantesque trou noir du centre d’une galaxie), la question de la potentialité d’une vie ailleurs dans l’univers s’éloigne toujours plus du modèle terrestre pour se rapprocher des anticipations des auteurs de Hard SF, qui imaginaient déjà il y a cinquante ans que nous étions les uniques extraterrestres à nous y penser seuls.

Opération Selsis-1

La question, néanmoins, est loin d’être récente. Et la recherche scientifique avance pas à pas, toujours plus loin dans l’exploration, sans jamais être convaincue de ce qu’elle va découvrir. En février dernier, le Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux, intégré à une équipe internationale (chercheurs du CNRS, du CEA et de l’Université Pierre et Marie Curie), a mené à une découverte majeure dans le domaine. Par le biais du télescope spatial Spitzer de la NASA, on a réussi à identifier sept exoplanètes (situées en dehors du système solaire) gravitant autour d’une étoile naine, Trappist-1. Extrêmement froide, très petite (à peine douze fois le rayon de la terre), elle abriterait au moins trois planètes situées dans une « zone habitable », c’est à dire à une distance favorable de leur étoile permettant aux températures moyennes de se rapprocher de notre « planète bleue ». Les recherches sont évidemment loin d’être terminées concernant Trappist-1, et le futur télescope spatial James Webb devrait permettre de mettre en évidence l’éventuelle présence d’atmosphère et de les caractériser, une étape essentielle pour y chercher d’éventuelles traces de vie.

Le LAB (Laboratoire d’Astrophysique de Bordeaux) est à la pointe de la technologie spatiale : c’est notamment lui qui a conçu la caméra du premier Rover, envoyé sur Mars en août 2012. Franck Selsis, astrophysicien officiant en son sein, est cosignataire d’un article publié dans la revue Nature relayant la découverte de Trappist-1, il y est donc directement relié pour y avoir effectué des recherches. Il a également été intégré à des travaux sur l’habitabilité potentielle de Proxima-B, planète intégrée à l’étoile la plus proche du soleil, découverte par un consortium américain (Pale Red Dot). Quelle part a pris l’astrophysicien de 44 ans dans les avancées bordelaises ? C’est une question que nous avions, comme tout explorateur digne de ce nom, envie de percer à jour. S’il a souvent la tête dans les étoiles, Franck Selsis garde tout de même les pieds sur Terre. La preuve : s’il est difficile à trouver (au troisième étage d’un bâtiment numéroté du campus de Pessac), on sait tout de suite en rentrant dans son bureau que nous ne sommes pas venus pour rien. On y trouve un poster de l’étoile noire, quelques romans et films de SF parmi les plus célèbres (l’Alien de Ridley Scott y côtoie ainsi la chose de John Carpenter), des données et des calculs (indéchiffrables pour tout néophyte) posées sur un tableau blanc, et une citation du Petit Prince à la porte : « Pour les uns qui voyagent les étoiles sont des guides ». Approchez donc, explorateurs des étoiles, passionnés d’astronomie où d’études des systèmes planétaires, nous embarquons pour un voyage très réel, à l’intérieur même des souvenirs d’un rêveur que le quotidien rattrape. 

La base de départ

Comme toute observation préalable, nous sommes souvent tributaires d’une certaine marge d’erreur. La nôtre a été de penser que le métier d’astrophysicien s’était imposé dans l’esprit de ce chercheur comme une évidence. Issu d’une mère enseignante et d’un père officiant dans l’Éducation Nationale, le jeune Franck, qui a grandi en Gironde jusqu’à l’âge de dix ans, est un peu plus indécis que ça. Alors même que notre long voyage commence, nous nous trouvons déjà confrontés à une croisée des chemins. « On essaie souvent de raccorder les professions comme la mienne à des motivations très précoces. Ce n’est pas que l’astronomie ne m’intéressait pas étant jeune, mais tout m’intéressait. C’est difficile de faire la part des choses. Je me suis toujours posé des questions sur ce que j’allais faire et j’ai toujours été un peu perdu par rapport à ça. J’aimais les sciences mais aussi la littérature » raconte le Franck aux cheveux gris se battant au-dessus d’un front haut et à la chemise turquoise lui donnant parfois un faux air d’infirmier.

« J’ai longtemps pensé que je travaillerais dans le cinéma, plutôt sur les aspects techniques. Je suis entré dedans plutôt par le fantastique, la science-fiction, l’aventure. J’ai toujours été attiré par le fantastique, l’exploration et très intéressé par les sciences, mais sans que cela ressorte du reste. Si on m’avait demandé ce que je voulais faire plus tard quand j’étais enfant, j’aurais sûrement dit paléontologue ». On ne trouvera d’ailleurs trace d’intérêt pour l’espace qu’à partir des premières années de Fac, par le biais d’un classique « club d’astronomie » qu’il n’est pas très difficile d’imaginer. D’une voix douce et un brin timide, Franck avoue n’avoir jamais eu beaucoup de problèmes avec les études. « J’étais plutôt bon élève, je faisais pas mal de sport aussi. L’orientation a vraiment été une grande question pour moi. Le conseil que j’ai toujours obtenu dans ma scolarité, c’était de ne me fermer aucune porte. Quand on vous dit ça, on ne vous dit rien, juste de continuer vers, typiquement, une école d’ingénieur ». 

Premier virage

Naviguant à vue, il choisira pourtant l’Institut National des Sciences Appliquées de Villeurbanne, attiré qu’il était par son volet sport-études, qu’il quittera rapidement, jugeant la charge de travail incompatible avec la pratique sportive. « Je suis revenu à la Fac en ayant l’impression de faire un faux pas, de revenir un peu en arrière par rapport à ce que j’aurais pu faire. J’avais eu mon bac mention très bien, je pouvais aller un peu où je voulais. J’ai vite réalisé qu’à la fac, quand on était vraiment intéressé, on faisait partie d’une toute petite fraction de gens et ça se passait finalement très facilement. J’ai alors commencé à suivre mon propre parcours, plutôt tourné vers la physique pure. J’y allais quand j’étais certain d’apprendre des choses, sinon je restais chez moi avec un bouquin », explique-t-il. Une licence, une maîtrise et un DEA de physique théorique plus tard, Franck se pose toujours des questions légitimes. « Je ne pensais pas forcément travailler un jour en France, je pensais que ma destination était internationale. C’est bien quand on est chercheur en France mais c’est très difficile de le devenir. Il faut avoir le concours au bon moment, à un bon âge, et un parcours très particulier. Par exemple, il y a actuellement cinq postes de chargés de recherches en astrophysique au CNRS proposés sur tout le pays. On est recruté entre trois et six ans après la thèse. Après cela, c’est fini, il n’y a plus d’opportunités pour rentrer dans le monde de la recherche. Je n’avais pas forcément l’intention de me battre pour arriver dans ces circonstances-là ». En rencontrant sa future femme, évoluant dans le même circuit (aujourd’hui directrice adjointe du laboratoire bordelais), l’exportation devient d’autant plus compliquée pour lui. Mais un tournant, par le biais de son sujet de thèse, va déterminer tout le reste du voyage. 

Au départ, c’est un travail sur l’atmosphère de Titan (le plus grand satellite de Saturne) auquel il doit se plier. Rapidement, les choses vont évoluer. « J’ai fait un stage de master sur la question de l’atmosphère terrestre : pourquoi elle est riche en oxygène et est-ce qu’on pourrait avoir ça sur une autre planète sans l’intervention du vivant. J’ai accepté un peu à contrecœur la thèse sur Titan. L’été suivant, c’est la période où a été découverte la première exoplanète. J’étais tout seul au laboratoire quand c’est arrivé, avant que ça ne soit rendu public. Je me suis retrouvé à être une des seules personnes sur Terre à savoir qu’on avait trouvé une planète sur un autre système, à travailler dessus et à réaliser qu’on entrait dans quelque chose qui allait devenir un sujet fort ». La thèse se réoriente donc vers les atmosphères d’exoplanètes. Avec le statut d’avancement du sujet au moment où Franck s’en empare, ce dernier fait un peu figure d’exception à une règle qui restait encore à définir. « J’arrivais avec des questions théoriques alors que les développements étaient plutôt sur l’instrumentation. C’était une situation un peu confortable où tout restait encore à faire. J’ai eu aussi de la chance d’arriver dans ce contexte-là. Je pense que j’avais un état d’esprit et une propension à aller vers l’exploration et des territoires un peu vierges qui tombaient bien pour faire ça. J’étais un physicien attiré par les étoiles mais qui ne savait pas trop par quel bout prendre les choses. Ce qui m’a vraiment fait basculer, c’était de me dire qu’on vit sur une planète dont l’atmosphère a été transformée par la vie depuis plus de deux milliards d’années. Elle a un drapeau qui dit au reste de la galaxie qu’il s’y passe quelque chose de bizarre. Le fait de partir explorer à partir de cet exemple, peut-être unique, c’était avoir un début de démarche scientifique pour s’emparer de questions vieilles de 3000 ans, dont celle de savoir si nous sommes vraiment seuls dans l’univers. La motivation qui m’avait toujours manqué, je l’ai trouvé par le biais de cette question ». 

Le vaisseau est alors lancé à plein régime. Franck se spécialise dans la physico-chimie des atmosphères, au moment où la question de l’exobiologie (étude des facteurs pouvant mener à l’apparition de la vie) prend une part prépondérante au sein de la communauté scientifique. « Quand j’ai commencé ma thèse, il y a avait des spécialistes de Vénus, de la Terre, c’était un peu chacun sa planète et chacun son modèle. Pour l’étude des exoplanètes, j’avais besoin d’un modèle versatile, flexible. J’ai dû apprendre un peu partout ». Franck Selsis investit également un territoire où beaucoup d’avancées restent encore à venir. « Jusqu’au milieu des années 2000, on trouvait des exoplanètes, mais surtout des grosses planètes très chaudes. Ça a été un grand bouleversement, mais on n’avait pas beaucoup d’informations à en tirer. C’était très difficile d’aller vers les petites planètes, on ne pouvait pas avoir d’info sur les compositions atmosphériques ». En étudiant l’habitabilité de ces exoplanètes géantes, il détecte au sein d’une équipe de recherche la première molécule d’eau dans l’atmosphère d’une exoplanète avec le télescope spatial Hubble, en 2007. C’est ici que notre voyage arrive un peu à son premier terme. Pour arriver à comprendre à quoi Franck a participé ces dernières années, il faudrait d’abord expliquer ce qu’il fait au quotidien, de la manière la plus claire possible. Entre deux destinations, laissons-lui donc le temps de s’expliquer. « Je suis théoricien, donc je fais beaucoup de travaux de modélisation des atmosphères. C’est un peu comme les simulations 3D d’atmosphères qui donnent les prévisions météo, mais avec moins de détails. On dégrossit un peu, en gros, on simule des climats d’exoplanètes et on les adapte à des cas précis pour se poser des questions sur leur observabilité. On fait beaucoup de théorie sur la formation des planètes, leur dynamique. On décrypte aussi le signal quand on fait des observations ». Et de manière encore plus claire ? « Ce qu’on fait essentiellement dans la journée, c’est du code, de la programmation, que ce soit pour traiter des signaux ou pour faire des simulations numériques ». 

Règle de trois

Voilà qui nous amène à 2014. Poursuivons donc notre périple par le biais de trois directions formant autant de découvertes importantes auxquelles Franck Selsis a, directement ou non, été associé. Pour tenter de vulgariser la suite, citons d’abord le télescope spatial Kepler appartenant à la NASA. Kepler 186-f, c’est le petit nom scientifique donné à la toute première exoplanète découverte dans la « zone habitable » de son étoile, située entre 490 et 500 années lumières de la Terre. En quoi cette étape est-elle historique ? Les journaux spécialisés vous l’expliqueront bien mieux que nous. Ce qui nous intéresse, c’est la manière dont Franck Selsis y a participé et l’a vécu de l’intérieur. « L’objectif, c’était de trouver des planètes de taille et de température terrestre. Des planètes qui soient donc telluriques, rocheuses, qui se trouvent dans ce qu’on appelle la « zone habitable ». J’avais une expertise sur la définition de cette zone habitable, je pouvais donc avoir un diagnostic sur la position de la planète. Je faisais partie d’un groupe de travail dans le cadre du télescope spatial Kepler. Je suis ensuite intervenu pour positionner cette planète et expliquer quel type d’atmosphère elle possédait. C’était un cas passionnant à vivre. Quelques mois après, on a publié une liste des planètes similaires, on en a trouvé une trentaine. Mais ce n’était pas les premières… La donnée importante était statistique, cette analyse plus globale de toutes les détections faites par Kepler de petites planètes en zone habitable est beaucoup plus importante que le reste. Kepler observe des étoiles très lointaines sur lesquelles on n’a pas vraiment de perspectives de caractérisation à moyen terme, ce qui était très frustrant. On savait que la planète était là, mais que l’on en saurait pas grand-chose. Par contre, ça donnait une information statistique qui a pu nous faire dire que ces planètes-là étaient très communes, et ça a rendu la probabilité de trouver une planète sur une étoile proche très élevée ». 

Ce triptyque se poursuit avec la découverte de l’exoplanète Proxima B par le biais du consortium Pale Red Dot. « Souvent, les projets en astrophysique sont un peu de longue haleine », explique Franck. « On voulait trouver des planètes dont on puisse dire quelque chose. Il y avait deux voies pour ça, dont l’une était d’aller chercher la présence de planètes sur les étoiles les plus proches de nous pour les visualiser par imagerie, ce qu’on n’arrive pas à faire sur la plupart des exoplanètes. Proxima était la cible la plus proche, faisant partie du système Alpha du Centaure. Pale Red Dot a sollicité le LAB. On n’a clairement pas voulu être associés directement à la découverte de la planète parce que ce n’était pas notre expertise. Sur Kepler, on l’a été parce qu’on avait travaillé sur tous les aspects. Sur Proxima B, on était dans le consortium dans le cas où une planète serait découverte. Quand une planète s’est manifestée, elle a été trouvée par la méthode des vitesses radiales. Ça ne faisait pas partie de notre expertise, sans compter que ce n’était pas une mesure dans laquelle j’avais une confiance extrême. C’était en revanche un objet fascinant sur lequel s’interroger, ça nous motivait pour aller dans un questionnement sur le type d’histoire et de climat d’une planète autour d’une petite étoile comme celle-ci. Avait-elle pu, en étant une planète froide, garder une atmosphère ? En fait, on a plutôt fait des études complémentaires autour de la détection ». Et apparemment, la marge de manœuvre, environ un an et demi après l’annonce de sa découverte, est encore vaste. « Son histoire n’est pas finie, il va y avoir des observations complémentaires. On ne connaît ni sa masse, ni son rayon, juste sa période orbitale. Ce qui est étonnant, en revanche, c’est de ne trouver qu’une planète sur cette étoile. Il y aura beaucoup d’observations complémentaires, j’ai deux trois idées sur des questions à éclaircir ». 

Comme une sorte de boucle narrative, nous avions déjà la dernière destination au moment d’amorcer notre plan de vol. La dernière découverte en date n’est pas composée d’une planète mais de sept. Considéré par Franck comme un « éventuel énorme coup de chance », la découverte de Trappist-1 est d’abord partie d’un constat. « Même en regardant au niveau des étoiles les plus proches (comme Proxima, vous suivez ?), ça restait frustrant parce que les possibilités d’imagerie sont restreintes. Pour l’instant, on n’a que deux façons d’espérer arriver à la composition atmosphérique avec l’instrumentation actuelle où à venir : soit par l’imagerie (séparer l’étoile de la planète et prendre des photos), soit par un transit ». Pour celui qui n’a pris aucun cours d’astrophysique, un transit astronomique, c’est lorsqu’un objet céleste se poste entre l’observateur et un autre objet. Exemple le plus connu ? Une éclipse. L’objectif est alors, selon une idée défendue par différents théoriciens (dont celui que l’on a en face de nous), de trouver des planètes autour de toutes petites étoiles pour pouvoir les observer plus facilement. « Il y a eu deux courants dans la communauté : ceux qui suivaient cette idée là et un autre courant qui pensait que ça revenait à chercher ses clefs sous un lampadaire et à trop s’éloigner du modèle Terre-soleil. Ce n’est pas comme ça que je vois les choses. En astronomie, si tous les systèmes planétaires étaient comme le système solaire, on en aurait trouvé aucun, ce dernier étant bien trop difficile à détecter avec les moyens actuels. Je pense que l’approche la plus riche, c’est aussi celle des extrêmes ».  

C’est à partir de cette dernière constatation que le processus conduisant à la découverte de Trappist-1 a réellement débuté. « Sur cette idée là et sans apriori, on a fait des observations avec Spitzer en regardant plein de naines brunes sans rien trouver. Michaël Gillon (un astrophysicien belge) a développé son propre télescope robotique pour observer les étoiles depuis le sol. Kepler observait la luminosité d’une étoile en permanence pendant quatre ans. Là, on avait des tronçons qui correspondaient aux nuits et aux saisons où l’on a pu observer. Il fallait donc un peu de bol où être patient… Un jour, après environ un an d’observations dans son télescope, il nous a contacté en nous disant qu’il avait trouvé une étoile avec des planètes. On avait quand même trouvé un premier système avec au moins deux planètes, assez proches et chaudes. On a obtenu 21 jours d’observation en continu avec le télescope spatial Spitzer. Ce n’était pas comme pour Kepler où il fallait faire des algorithmes compliqués. Là, quand les données étaient propres, on les voyait à l’œil nu. Quand les données complètes sont arrivées, on s’est aperçus qu’il y avait des transits partout, c’est à dire qu’il y avait beaucoup plus que trois planètes. On a pu reconstituer un système à sept planètes avec des résonances entre elles, ce sont des orbites stables comme dans les satellites de Jupiter ».

Vous nous direz : c’est bien beau, mais en quoi cette phase fait-elle avancer la recherche ? Là encore, visiblement toujours réellement passionné par la question, Franck a une réponse. « Bientôt, probablement dans quelques mois, on va avoir pour la première fois des planètes telluriques dont on pourra déterminer le rayon et la masse, donc la densité. Pour l’instant, on a l’impression que certaines d’entre elles ont de très faibles densités, beaucoup plus faibles que celles de la Terre, similaires à des satellites glacés, auquel cas elles auraient beaucoup d’eau. Si jamais il s’avérait que c’était confirmé, comme elles se trouvent dans une position idéale, si elles étaient riches en eau, elles auraient forcément de l’eau liquide à la surface et donc une atmosphère. Si ce n’est pas le cas, on n’aura pas grand-chose, ça peut aussi arriver. Si on devait expliquer pourquoi ce système-là est si fascinant alors que l’on a déjà quelques 3000 exoplanètes détectées, c’est parce que, comme Proxima B, on va avoir à termes des informations sur la présence d’atmosphères et leur composition, et faire de la planétologie comparée aux trois planètes telluriques du système solaire que sont Vénus, la Terre et Mars. Tout ce que l’on sait sur ce qui fait une planète habitable, c’est en comparant la Terre à Vénus et à Mars. Ce n’est rien du tout, notre connaissance est donc monstrueusement biaisée et primitive. On a là un laboratoire extraordinaire pour faire de la planétologie ». Une récente observation de Kepler est bien plus pessimiste sur la question.  

La fin d’un songe

Au moment de rentrer à la base, lorsque Franck retrouve un peu de la gravité terrestre, on s’aperçoit que lui et ses équipes ont encore du travail pour quelques années. On se rend aussi compte que l’état d’esprit de l’astrophysicien est d’avantage celui d’un ignorant que d’un « je-sais tout ». « J’ai un peu l’impression que le temps passe très vite et qu’à force d’être aspiré vers l’avant, on ne prend jamais vraiment le temps de se poser et de revoir le parcours ». Aujourd’hui, il partage son temps entre sa vie de famille, ses articles de recherches et de vulgarisation et des conférences qu’il donne parfois, souvent à des étudiants. « Une des grandes incompréhensions dans la vulgarisation scientifique, c’est que le grand public voit souvent le scientifique comme quelqu’un d’un peu prétentieux qui pensent tout connaître. Or, beaucoup d’entre eux font ce métier parce qu’ils goûtent aussi le frisson de l’inconnu, le bord d’un précipice. Ils ont cette chance incroyable de goûter le mystère de ce que l’on ne connaît pas. Le mystère dans la vie de tous les jours, est difficile à trouver. C’est un des gros problèmes de la société actuelle : on va aller le chercher dans des choses un peu ésotériques comme les ovnis. Ce besoin de mystère est là, il faut juste faire un effort de compréhension de ce que l’on sait pour réaliser ce que l’on ne sait pas ».

Arrimé à sa base de départ, notre vaisseau spatial fait alors un rapport de voyage assez inattendu. Franck est un rêveur, certes, mais il a perdu en route un peu de son illusion. « Je ne me suis jamais senti professeur face à des élèves, mon regard a tendance à se plonger davantage vers ce que j’ignore. Le moment où l’on découvre quelque chose, c’est quelque chose de fascinant. Mais il est très vite mis dans le tiroir des choses que l’on sait. La démarche scientifique n’est jamais de défendre une théorie, c’est plutôt de l’attaquer pour voir si elle résiste. Je m’intéresse à la perspective de chercher la vie ailleurs, mais le jour où j’ai une conviction là-dessus, il faudra que quelqu’un d’autre fasse mon travail parce que je ne serai plus objectif. Une découverte aussi importante doit être indiscutable. Mon but, c’est vraiment l’exploration. Quelque chose a un peu changé pour moi au cours de ces vingt dernières années. Quand je faisais ma thèse, je me disais que j’allais peut-être réellement participer à cette découverte de la vie extraterrestre. J’étais un peu enthousiaste, je pensais que les choses iraient plus vite. Aujourd’hui, je pense que je serai peut-être un maillon au sein d’une communauté de l’initiation d’une démarche qui aurait eu lieu de toute façon, que je sois là ou pas ». 

Frustré par des questions qui ne trouveront peut-être jamais de réponses ? C’est bien ce que l’on pourrait croire. Mais ce serait oublier un hobby singulier : Franck est aussi en contact avec des écrivains de Hard SF pour apporter un peu plus de « réalisme » à leurs histoires. Lui qui lisait facilement plusieurs bouquins du genre dans la semaine, le voilà de l’autre côté du miroir, utilisant parfois la science-fiction pour ses propres travaux de vulgarisation scientifique. Une manière pour nous d’explorer une dernière fois une nouvelle facette de sa personnalité. « J’aime bien montrer qu’avant que les scientifiques découvrent des exoplanètes, les auteurs de science-fiction en avaient déjà peuplé leurs univers. Souvent, ils ont assez bien anticipé ce que l’on trouve, simplement parce que la nature est composée d’une telle diversité qu’à peu près tout ce qu’ils ont imaginé existe alors que les scientifiques qui étaient un peu calés sur cet « étalon système solaire » ont été bien plus bousculés par la réalité de la diversité des exoplanètes. L’idée, c’est de faire réfléchir les gens sur des cas particuliers ». Lorsqu’il n’a pas la tête tournée vers le ciel, Franck est soudain beaucoup plus pessimiste sur l’avenir, formant ainsi un assez fascinant paradoxe.

« À la base, je suis quelqu’un qui rêve beaucoup, et ça aurait pu me jouer bien plus de tours au début de ma carrière. On se rend compte qu’à un moment donné, il faut concrétiser des choses, publier même si on n’est pas complètement satisfaits. Mais si vous ne fournissez rien à la communauté, vous ne méritez pas votre salaire, personne ne saura ce que vous faites et vous finirez complètement isolé. Je suis très inquiet de l’évolution de la société, de notre gestion du patrimoine planétaire. La Terre est devenue un vaisseau sans capitaine, tous les signaux sont au rouge mais personne n’a la capacité de faire quoi que ce soit. C’est assez dramatique de voir une civilisation s’autodétruire à l’échelle d’une planète de façon totalement consciente et documentée, surtout quand on a des enfants. J’espère qu’on va rapidement recruter un capitaine, peut-être par les futures générations. Ne pas avoir les réponses à mes questions sur notre place dans l’univers participe au piquant, mais j’ai plus de mal à apprécier l’incertitude dans l’élan négatif que la question de la Terre représente. Il faudrait voir aujourd’hui toutes les pistes ouvertes vers une meilleure gestion, une meilleure vie en commun plutôt que le rôle prépondérant des religions extrémistes, l’incapacité des politiques à intégrer les données qui leur arrivent sur l’état de la planète dans un système qui n’est pas contrôlé ». Inquiet plutôt que révolté, Franck ressemble un peu à ces anti-héros Bradburiens, s’installant sur un nouveau monde pour échapper au leur. Il est un petit bout de chaîne d’un bien plus immense maillon. Un maillon qui décrypte dans des données réelles les secrets encore bien cachés d’une éternelle ruée vers cet or que constitue la vie ailleurs dans l’univers. « Rêver n’est pas trop en phase avec la vie de famille ni avec le fait de gérer une équipe. La part de rêve se concrétise. Cette exploration des exoplanètes, c’en est un qui a lieu. On finit toujours par s’habituer à l’extraordinaire et il devient très vite banal, mais j’ai quand même ma dose ». 

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