Quand Bordeaux veut labelliser ses nuits


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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 12/06/2019 PAR Romain Béteille

Les heures creuses ne le sont pas pour tout le monde. Ce mardi, la ville de Bordeaux a présenté de nouveaux éléments sur son « conseil de la nuit » créé en janvier dernier et composé d’élus et de responsables de la ville et de 150 partenaires institutionnels, économiques et associatifs. Il faut dire que la vie nocturne bordelaise est tout sauf anecdotique : près d’1,5 millions de déplacements en bus à partir de 21h tous les ans, 69% des déplacements entre 21h et minuit, 30 discothèques, 143 bars (Bordeaux étant aussi la ville au plus grand nombre de restaurants par habitant), 90 000 étudiants et plusieurs millions de touristes qui défilent chaque année dans le centre. L’économie de la nuit, elle, représente pas moins de 10 000 emplois direct (7% des emplois de la ville et 15% de l’emploi salarié), dont près de la moitié sont situés dans l’hypercentre. L’objectif de la politique de nuit est donc clair : permettre aux noctambules de bien s’entendre avec les riverains, ce qui n’est pas forcément choses faciles si l’on en croit la hausse de 75% des verbalisations pour tapage nocturne constatés entre 2014 et 2016, malgré une baisse des verbalisations de 38% sur les tapages liés aux commerces à la même période.

Répression VS Médiation

L’idée de Bordeaux n’est plus d’aborder la vie nocturne uniquement sous les prismes de la sécurité, de l’alcoolisation et de la verbalisation mais d’y ajouter de la médiation, au travers de plusieurs initiatives. Festiv’Attitude, par exemple, est une initiative visant à lutter contre la consommation excessive d’alcool, en particulier chez les jeunes : brigade nautique sillonnant la Garonne, renforcement des effectifs policiers autour des lieux festifs, contrôle des bars et épiceries de nuit, vidéosurveillance, stands de prévention, « charte des soirées étudiantes » ou encore modification des arrêtés préfectoraux sur l’arrêt des débits de boissons font notamment partie de ses actions. Le Soul Tram, lui, est dirigé par des jeunes en service civique et fait office de dispositif de prévention pour réduire les risques de se retrouver, quelques heures après la fête, avec une gueule de bois un peu trop sévère. Le Hangover Café, dans le prolongement du Soul Tram, est un minibus mobile pour les fêtards qui souhaiteraient trouver « refuge », trois nuits par semaine (jeudi, vendredi et samedi), dans différents quartiers de Bordeaux. Héritier du Somn’en bus (dans lequel les fêtards pouvaient dormir), cette initiative, unique en France, a récemment obtenu le prix national « Prévention de la délinquance » dans la catégorie « vie nocturne », prix créé par le Forum Français de la Sécurité Urbaine (FFSU). 

Tir groupé

Pour poursuivre sur sa lancée, la politique nocturne municipale va mener une expérimentation jusqu’en avril 2020 (pendant un an) : un label, sobrement intitulé « Bordeaux La Nuit », qui permettra de distinguer les établissements (bars, restaurants, boîtes de nuit) ou festivals engagés dans une démarche qui va plus loin que la législation déjà en vigueur. Alexandra Siarri, adjointe à la mairie de Bordeaux en charge de la cohésion sociale, précise qu’il est ici moins question de distribuer des bons points que de fédérer autour d’un objectif commun. « On n’est pas dans une compétition mais dans un vrai travail de coopération ». Neuf « dossiers » ont été retenus pour mener cette expérimentation, ayant pour la plupart des profils et des attentes très différents les uns des autres : la discothèque le Theatro, par exemple, n’a évidemment pas les mêmes problématiques que la Base sous-marine ou le festival Ahoy, tous deux également retenus. « On va commencer par ces 9 là, notre idée c’est que ça puisse se dégager dans toute la ville. On a élaboré des critères qui nous paraissaient acceptables, monté une équipe d’appui pluridisciplinaire pour aider les établissements à pouvoir grimper les différentes marches, tout ça en accord avec la préfecture qui voit ça d’un très bon œil. On parle moins de contraintes que d’une série de nouveaux services pour la population nocturne », assure l’adjointe. Pour Fabien Robert, 1er adjoint au maire en charge de la culture, l’idée du label est aussi de fournir une « référence » pour les habitants et la collectivité. « La loi est la même pour tous, mais quand vous faites l’effort de vous engager, vous n’êtes plus perçus de la même manière par les partenaires publics ». 

Mais que s’engagent donc à faire cette nouvelle « académie des neuf » ? D’abord des formations à destination de leur personnel. Elles seront assurées à partir de septembre dans un objectif de « réduction des risques » et d’inclusion. Ces formations, assurées par Bordeaux Métropole Médiation (Groupement d’intérêt public spécialisé dans la médiation de voisinage), l’ANPAA (centre de soin en addictologie) et le CEID Addiction (Comité d’Étude et d’Information sur la Drogue et les Addictions), ces « formations » ont déjà été dispensées de manière sporadiques dans différents établissements bordelais. Désormais, tout candidat au label devra la dispenser à son personnel pour pouvoir prétendre au sésame. D’autres actions y seront incluses : une mise à disposition de matériel de prévention (éthylotest, bouchons d’oreille, préservatifs), l’expérimentation de « lieux refuges » (à l’image du Hangover Café) ou la mise en place de « client mystère » dont la tâche sera de faire des retours au « conseil de la nuit » sur « les pratiques observées ». Enfin, les établissements sous label pourraient bénéficier de « critères bonus (alimentation, espace de repos) pour accueillir le public dans de bonnes conditions ».

Label endormi ?

« C’est  vraiment une expérimentation, il sera possible de monter le niveau d’exigence ou d’abandonner des idées qu’on ne jugera pas pertinentes », continue Alexandra Siarri. Au niveau urbain aussi, la ville réfléchit à l’implantation de ses nouveaux établissements. « Nous ciblons nos politiques sur les métiers en tension comme les transporteurs officiant au MIN (Marché d’Intérêt National), on évite d’implanter des logements à proximité des lieux de fête, notamment sur de nouveaux quartiers comme Euratlantique ou Brazza. Enfin, on cible aussi la médiation à l’attention des clients temporaires comme les touristes. On va appliquer l’arrêt à la demande sur les transports de nuit (sur les lignes « flexo de soirée »), la ligne de bus 58 sera prolongée en septembre jusqu’aux Bassins à flot, on essaie de favoriser le co-piétonnage solidaire et on réfléchit également au développement d’un « plan de mobilité inter-entreprises » nocturne », précise ainsi Elizabeth Touton, adjointe chargée de l’urbanisme. Enfin, Bordeaux participe à la création d’un « guide la gouvernance de la nuit » aux côtés de Paris, Nantes et Liège, à paraître prochainement. 

Mais alors, qu’en pensent les principaux intéressés ? On a demandé son avis à Benoît Guérinault, programmateur barbu de l’IBoat. « Il y a un vrai décalage entre les institutions et ce qu’on fait. C’est rassurant pour eux de savoir qu’il y a ce travail en cours. On est opérateur depuis dix ans, on est tous dans ce métier depuis 25 ans, on sait comment gérer. C’est plus pour avoir des échanges très directs avec la collectivité. On ne fonctionne pas tout à fait de la même manière qu’une boîte de nuit classique, mais le dialogue permet aux opérateurs de comparer leurs profils. Nous, on a surtout une problématique au niveau des transports et de l’accessibilité à nos établissements. Quand on créé un évènement qui finit à deux heures du matin et que les lieux sont mal desservis, ça nous pose de vrais problèmes de laisser les gens sortir, on préfère les garder jusqu’à quatre heures. Ces amplitudes sont un peu complexes pour nous. Dans les discussions qu’il y a eu, on était tous d’accord sur le principe d’une charte ou d’un label, chaque établissement la signe ou pas. Si on respecte toutes les règles et qu’on se concerte, c’est une bonne idée. Le fait de choisir différents établissements aux profils très différents va permettre à chacun de voir comment il pourrait s’y adapter. Tous vont pouvoir se baser sur ces premières expériences pour décider ou non de s’y intégrer ». En attendant d’avoir les premiers retours sur cette première « phase test », Bordeaux a choisi d’ouvrir la nuit aux habitants en réitérant l’initiative « Un jour Une nuit » (après une première édition le 18 mai aux Bassins à Flot) dans le quartier Bastide, ce samedi 15 juin. Gratuite et ouverte à tous, l’opération pemettra de visiter des « lieux emblématiques du quartier » : les archives de la métropole, la Fabrique Pola, la Guinguette Alriq, Darwin mais aussi les équipes de prévention nocturnes pour découvrir (notamment) le Hangover Café.

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