Talence : le projet BAHIA affine ses contours


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Temps de lecture 9 min

Publication PUBLIÉ LE 10/12/2018 PAR Romain Béteille

Changement de cap

Il est toujours prévu pour 2022 sur le site de Bagatelle, à Talence. Lui, c’est le nouvel ensemble hospitalier Bahia (acronyme de Bagatelle et HIA pour Hôpital d’Instruction des Armées), regroupement de l’établissement de santé privé à intérêt collectif Bagatelle et de l’hôpital militaire Robert Picqué. Cette fusion, actée officiellement en 2012 via la création d’un « groupement de coopération sanitaire de moyens », semble aujourd’hui définitive. Et si la pose de sa première pierre, qui devait être effectuée vendredi 7 décembre dernier, a été annulée (faute au contexte, à la veille de l’acte 4 des « gilets jaunes », les deux entités se sont montrées plus à même de détailler le projet dans sa version définitive.


Il faut d’abord savoir que ce projet ne sort pas de nulle-part. Il répond, pour ce qui est de Robert Picqué, aux objectifs du plan SSA 2020, dont le but est la réorientation des SSA (Services de Santé des Armées) vers la prise en charge des militaires en opérations extérieures. En septembre 2017, le projet BAHIA a reçu un avis favorable du Comité (interministériel) de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (COPERMO). Pour le président de la fondation Bagatelle, Gabriel Marly, cette opération profite à Bagatelle. « Le résultat d’exploitation de la fondation Bagatelle en 2010-2012 était très dangereux (on parle d’un déficit de plusieurs dizaines de millions d’euros). On avait une situation financière déséquilibrée au niveau de la trésorerie et des perspectives de résultats d’exploitation difficiles à maintenir à l’égalité. Il fallait que nous passions une voire deux marches à travers un partenariat pour avoir un hôpital en exploitation qui puisse répondre aux demandes de nos autorités de tutelle dans la gestion des tarifs qui nous sont alloués année après année. Ces progrès sur efficience ne pouvaient passer que par un nouveau dimensionnement ».

Sortie de terre contre mise en bière
Le nouveau dimensionnement, le voici donc. Un projet financé à hauteur de 90 millions d’euros abondés à 20% par la Maison de Santé Protestante Bagatelle (soit 18 millions d’euros), à 6% par la subvention COPERMO (cinq millions d’euros) et à 74% par l’emprunt bancaire (67 millions d’euros), dont une partie importante provient de la Banque Européenne d’Investissement (BEI). Ce détail a son importance dans la mesure où il s’agit de la première opération de financement réalisé dans le domaine de la santé dans le cadre du plan Juncker. Tanguy Derousseau, porte-parole de la BEI, en précise les modalités :  « nous allons nous financer sur les marchés mais dans la mesure où nous n’avons pas vocation à faire du profit, les avantages financiers que nous tirons sont mis à disposition des porteurs de projet ». En termes de structure, le projet Bahia est réparti sur deux bâtiments. Le premier, d’une surface de 5000 mètres carrés, sera dédié aux consultations et aux bureaux administatifs. Sa livraison est prévue pour fin 2019. Le second, plus conséquent (17 000 mètres carrés), contiendra les pôles d’urgence, de réanimation, d’USC et de néonatalogie, la nouvelle maternité, un nouveau bloc opératoire, l’unité de traitement et de réhabilitation des bléssés, les soins de suite et de réadaptation, une pharmacie et des services médico-techniques. Il sera doté de 450 lits et places d’hospitalisation conventionelle, de 350 places d’hospitalisation à domicile et de 1400 salariés dont 250 personnels de la Défense et 180 médecins. Enfin, en termes de capacité d’accueil, il devrait permettre le passage annuel de 44 000 hospitalisations, 40 000 passages aux urgences (aujourd’hui, les urgences de Robert Picqué totalisent 29 000 entrées par an, dont plus de 90% de patients civils), 240 000 consultations externes (contre 170 000 actuellement), 15 000 interventions chirurgicals (contre 12 500) et enfin 3000 accouchements. Le projet a également obtenu l’aval de l’Agence Régionale de santé, qui dans le cadre de son nouveau Plan Régional de Santé, opère un « virage ambulatoire » avec une priorité claire orientée vers des prises en charge de patients dans un délai court. Trois autres ensembles hospitaliers civils et militaires sont prévus en France (à Metz, Brest et Lyon), mais BAHIA est le seul des quatre à être en collaboration avec un établissement privé, d’où sa spécificité
Cela en ferait, en 2022, le deuxième établissement hospitalier de la métropole, derrière le CHU de Bordeaux. Le projet n’a toutefois pas bénéficié que d’un accueil bienveillant. En 2014, déjà, une pétition avait été lancée par une intersyndicale (CGT, CFDT, FO et UNSA) et 450 agents civils avaient manifesté pour défendre leur statut face à cette fusion, aux atours alors incertains. Une autre grève avait eu lieu en 2015 et en 2017, le doute avait même atteint les rangs des élus de Bordeaux Métropole. Lors des réunions publiques, le passage de 250 membres du personnel de Robert Picqué (27 hectares) au sein de la MSP Bagatelle (sept hectares) n’était pas vraiment passé. Plus récemment, les élus d’opposition des communes de Bègles, Talence et Villenave d’Ornon ont déposé un recours devant le tribunal administratif de Bordeaux contre la délibération ayant autorisé Bordeaux Métropole à garantir un emprunt pour la construction d’un bâtiment du projet BAHIA. Une association, baptisée RIHO (pour Résistons pour notre Institution Hospitalière), fondée en novembre 2017, dénonce l' »opacité » du projet. A la tête de cette fronde, le co-président de Riho Patrick Bouillot, élu d’opposition du Front de Gauche à Villenave d’Ornon et ancien maire de la commune, le tout sous la bénédiction de l’actuel député France Insoumise de la troisième circonscription de Gironde, Loïc Prud’homme. Riho a lancé, peu de temps après sa création, une « consultation citoyenne » et une pétition, qui a à ce jour recueilli (selon les informations diffusées sur le site internet de l’association) 209 signatures. Et leur fronde continue. Le vendredi 7 décembre dernier, jour supposé de la pose de la première pierre, une quarantaine d’opposants étaient bien présents devant l’entrée de Bagatelle pour manifester contre ce projet de fusion. Le 15 décembre (soit ce vendredi), une action symbolique sera effectuée par les opposants au projet : une « mise en bière » de l’hôpital Robert-Picqué.

L’art du rebond
Que reprochent les opposants au projet (hormis un « gaspillage d’argent public ») ? La disparition de plusieurs services existants, notamment le service « Santé Voyage Vaccination » (centre de consultations de conseils aux voyageurs et de vaccinations internationales, notamment contre la fièvre jaune), un service d’urgence transféré mais sans l’héliport qui va avec, et la structure départementale pour faire face aux catastrophes (notamment nucléaires ou chimiques). Pour les différents porte-paroles du projet, interrogés en amont du premier coup de truelle, ces arguments ne semblaient pas peser bien lourd. Pour Gabriel Marly, « il est possible de remettre en place la vaccination contre la fièvre jaune en très peu de temps. Si l’ARS nous le demande, on peut tout à fait aménager un local adapté pour ça ». Selon lui, « les services de sécurité de la préfecture ont décidé qu’un héliport qui recevait une dizaine de posés par an alors que le CHU en reçoit dix par jour n’était plus nécessaire, d’autant que le coût de maintenance d’un héliport est élevé. En cas de grosses catastrophes, des réquisitions de terrains de foot ou de stades avoisinants sont possibles ». Enfin, « le service de santé des armées a acquis une réelle expérience dans les situations sanitaires exceptionnelles, par exemple un accident nucléaire, un attentat ou une catastrophe naturelle », affirme Geneviève Fidelle, médecin général inspecteur et directrice des hôpitaux SSA. « Il est évident que nous conservons ces compétences et nous les partageons avec les partenaires (…) le but de BAHIA, c’est qu’il y ait moins de services supports et plus de médecins aux lits des patients ».


Autre reproche des opposants : ce rapprochement entre public et privé, au détriment de Robert-Picqué dont l’avenir n’est, pour l’instant, pas encore acté. Sur ce point, la direction dénonce un « dogmatisme. Nous sommes une fondation à but non-lucratif, nous n’avons pas d’actionnaires ni de dividences… », rappelle-t-on dans les rangs de Bagatelle et de la fondation John Bost, qui a prévu d’ouvrir un nouvel établissement sur Talence dans le cadre de BAHIA et d’entamer une collaboration avec la MSP, notamment en se partageant un nouveau centre de consultation favorisant l’accès aux soins somatiques (pour les personnes en situation de handicap). De son côté, Geneviève Fidelle précise les contours et les objectifs finaux de cette « fusion ». « En travaillant ensemble, on aura beaucoup plus de facilités à laisser partir nos personnels en opérations extérieures. L’hôpital militaire a toujours été ouvert à la population, nous soignons environ 80% de la population civile, ce regroupement va continuer cette prise en charge. Nous aurons toutes les activités à Bahia : des urgences beaucoup plus modernes qui vont permettre d’accepter un plus grand nombre de passages, une offre de soins renforcés sur un même site pour fluidifier les parcours de soins, le tout avec une coordination et une cohérence des soins plus importante, des plateaux techniques neufs et plus développés. Surtout, nous gardons les mêmes valeurs : il n’y aura pas de dépassements d’honoraires. « Les tarifs de Bahia resteront ceux d’un service public. Les médecins sont conventionnés en secteur un, c’est à dire sans dépassements d’honoraires », insiste Gabriel Marly.

Enfin, les principaux opposants au projet dénoncent les problèmes de circulation et de transports à venir sur la route de Toulouse et les rues adjacentes que va causer le projet. Les responsables admettent que la situation risque d’être un peu compliquée entre le premier coup de pioche et la livraison, même si la fondation Bagatelle affirme avoir rajouté « à sa charge la nomination d’un OPCI (Organisation Planification Contrôle Interchantier) qui va avoir autorité sur la médiation entre les soucis que pourrait augurer le chantier et les riverains. Nous avons déjà mis en place une maison du chantier et des ateliers riverains sont organisés régulièrement, d’autres restent à venir ». Enfin, on a signé la charte de chantier propre à la ville de Talence ». Le stationnement dans le secteur, depuis le 1er décembre dernier, est par ailleurs règlementé en zone bleue (une heure trente gratuite), ce qui n’est pas pour arranger les choses. Coté parking, BAHIA prévoit un nombre de places de parking étendu (à 700 places). 200 places de parking ont été mis à disposition par l’Hôpital Robert Picqué et une navette a été mise en place entre les deux établissements « pour privilégier le stationnement pour les patients ». Enfin, et c’est l’un des reproches majeurs faits au projet, toujours dans le cadre des problèmes de circulation, la création de logements sociaux sur un terrain cédé à la Cogedim (environ 250 logements avec les places de parking qui leur correspondent). Là-dessus, Gabriel Marly a été plutôt clair : « Nous n’avons pas pu boucler le projet sans vendre deux bouts de terrains. Mais ne vous méprenez pas sur le plaisir que j’ai eu à signer. J’ai fait le tour de tout le monde pendant des mois pour trouver des financements à la hauteur de l’apport de Cogedim, je n’ai pas trouvé ».

Orientations publiques
La dernière question qui reste en suspens, c’est donc l’avenir de Robert-Picqué. Et il faut l’avouer, là-dessus, les choses sont encore floues. On sait, par exemple, que les services d’hospitalisation et d’infirmerie à domicile demeureront sur place. Quant au devenir du terrain entier, une fois vendu par l’armée, il devrait évidemment être regardé de près par les collectivités locales. « Je n’en sais pas plus que ça », avoue Geneviève Fidelle. Un groupe de travail, dans le cadre d’un comité de suivi, a été monté par le préfet pour « trouver un avenir à ce site ». Il devrait servir pour monter des « projets d’intérêt général », mais rien ne semble encore arrêté, même si le groupe de travail en question s’est réuni une deuxième fois il y a quelques jours. Pour le maire de Villenave d’Ornon, Patrick Pujol, des activités de santé ou sociales, des formations sur les métiers de la santé et des logements étudiants semblaient en tout cas constituer une priorité. Et même si la responsable SSA a confirmé que le personnel militaire resterait bien sur le site, impossible de savoir jusqu’à quand. « On est aussi soumis à un engagement avec les militaires, le contrat passé avec eux nous maintient dans cette situation, c’est le choix du conseil d’administration. Cela dit, il n’y a pas pas de clause de maintien parce que les conditions militaires (retrait possible en cas de « nécessité extrême ou raisons d’Etat ») ne le permettent pas », avoue Blandine Fillet, directrice générale de la MSP Bagatelle. Pour BAHIA, donc, l’avenir semble déjà scellé. Pour Robert-Picqué, en revanche, c’est encore une autre histoire…

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