Luc Pabeuf, président du CESER d’Aquitaine: des voeux en manière de quadruple A


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Luc Pabeuf, président du CESER d'Aquitaine: des voeux en manière de quadruple A

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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 07/01/2012 PAR Joël AUBERT

« Pour des esprits rationnels tels que les nôtres, la persistance de l’usage des vœux peut sembler anachronique. En effet, nous savons bien qu’aucune incantation n’est de nature à concrétiser un objectif, quel qu’il soit. Et l’objectif du bonheur n’échappe pas à cette règle. Satisfaire notre quête du bonheur ne tient pas du miracle, mais de l’effort entrepris pour le réaliser.

Alors, puisque nous savons bien qu’il ne suffit pas de souhaiter une année heureuse pour l’obtenir, à quoi bon perpétuer un tel usage s’il est totalement dépourvu d’effet ? Un usage qui fait figure de véritable rite répété chaque année aux premiers jours de janvier. Bien sûr, après les discours, il y a le buffet, et nous savons bien, surtout ici en Aquitaine, que la table, qui fut récemment à l’ordre du jour des travaux du CESER, pourrait justifier à elle seule un tel rendez-vous…

Mais je persiste à penser que le buffet ne constitue pas le seul intérêt d’une telle cérémonie. Je considère que former des vœux n’est pas tout à fait vain. Ou plus exactement, adresser ses vœux n’est pas tout à fait vain. Car en réalité, s’ils ont un sens, c’est uniquement parce qu’ils s’adressent aux autres.

Souhaiter du bonheur à autrui…
L’intérêt des vœux ne réside pas dans le fait de souhaiter que l’année soit heureuse dans la mesure où chacun espère bien qu’il en soit ainsi au moins pour lui-même. L’intérêt des vœux réside bien davantage dans l’intention qu’ils expriment à l’égard d’autrui. En l’occurrence, en adressant à autrui le souhait de son bonheur, c’est bien sa liberté de sujet que nous lui reconnaissons. Le bonheur est un état subjectif que personne ne peut décréter en lieu et place de celui qui en fait l’expérience. Il y a dans cette expérience une part d’indicible et le bonheur auquel chacun aspire lui est propre et demeure incommensurable avec le bonheur des autres. Souhaiter du bonheur à autrui, comme nous le faisons au moment des vœux, c’est donc reconnaître à l’autre toute la liberté nécessaire à sa quête du bonheur, liberté sans laquelle l’accès au bonheur lui serait tout simplement impossible.

Ainsi, pour que mon souhait de bonne et heureuse année que j’adresse à autrui soit sincère, il me faut faire mienne cette autre exigence, son corollaire : la reconnaissance de la liberté de l’autre. « Je veux que ta liberté soit », disait Paul Ricœur. Mais une liberté qui n’est pas absolue au point de menacer la mienne. Il s’agit, précise le philosophe, de « faire advenir la liberté de l’autre comme semblable à la mienne ». C’est cette intention éthique qui fonde la morale d’une société laïque. Ainsi, c’est bien la référence à des valeurs communes, des principes et des normes contenus dans les institutions, qui rend possible le compromis entre des désirs individuels de liberté potentiellement contradictoires.

C’est pourquoi il me semble qu’une cérémonie des vœux organisée au sein d’une institution telle que la nôtre peut avoir du sens et ne pas être tout à fait vaine. Souhaiter sincèrement du bonheur à tous les Aquitains lorsque l’on est en charge d’une responsabilité publique régionale, c’est une manière de réaffirmer une conception du politique qui demeure avant tout guidée par cette intention éthique que je viens d’évoquer. C’est-à-dire une conception du politique qui ancre l’intérêt général dans la prise en compte de l’intérêt de chacun. Ce qui ne signifie pas que tous les intérêts puissent être également satisfaits par les décisions politiques. Mais que tous sont entendus.

L’esprit même de la démocratie
Cette attention portée à chacun doit être l’esprit même de la démocratie. Celle-ci ne peut être réduite au seul moment du vote et à la constitution d’une majorité à laquelle reviendrait, de façon exclusive, la légitimité à déterminer le contenu de l’action publique. L’esprit de la démocratie, c’est la délibération. C’est la reconnaissance de la légitimité de tout individu à prendre part à la définition du bien commun et à la construction de l’édifice républicain, en vertu de la liberté fondamentale qui lui est reconnue. C’est la conscience que l’intérêt général ne procède pas de l’application aveugle de lois définies par quelques-uns, fussent-ils des experts, mais au contraire d’une construction collective.

Bien sûr, dans cette construction, tous n’ont pas les mêmes atouts. Les atouts de chacun dépendent de son capital social, culturel et économique qui détermine à la fois son pouvoir d’intervention et la pertinence de ses points de vue. Il y a donc un risque en démocratie : que le point de vue qui s’impose, en raison du pouvoir d’intervention de ceux qui l’expriment, ne soit pas le plus pertinent ! Mais ce risque est limité par le fait même que, dans une démocratie, tout point de vue politique doit pouvoir être réfuté, et toute décision qui en découle doit pouvoir être contestée. C’est pour cette raison qu’une véritable démocratie n’est réalisable qu’à la condition que soient assurées au plus grand nombre une éducation de haut niveau, la liberté et la pluralité de la presse nécessaire au débat d’idées, des conditions d’existence matérielle décentes et une transparence des décisions politiques qui permette à chacun d’en apprécier la pertinence.

La responsabilité des institutions
Certes, dans la pratique, la responsabilité de décider est souvent confiée, au terme d’une élection, à un élu. Mais un élu avisé sait bien qu’une décision sera d’autant plus acceptée, partagée, qu’elle aura été précédée de consultations, de discussions, voire de concertations qui auront nourri la délibération finale. Et de ce point de vue, les Régions, dotées aux côtés de l’assemblée élue, d’une assemblée consultative, incarnent cette conception délibérative de la démocratie moderne qui implique la société civile organisée.

Vous le voyez, vous souhaiter sincèrement du bonheur, ce n’est pas une parole en l’air : c’est implicitement formuler un certain nombre d’exigences qui appellent la responsabilité de chacun et plus encore celle des institutions !

En ces temps de crise qui plongent nombre de nos concitoyens dans les difficultés matérielles et le désarroi, il s’agit plus que jamais d’ouvrir des perspectives qui permettent à chacun d’espérer avec raison des jours meilleurs. Plus que jamais de telles perspectives passent par le dialogue, par le débat nécessaire à la définition de la société dans laquelle nous souhaitons vivre ensemble afin que celle-ci n’oublie personne. Plus que jamais, la question politique requiert donc cette intention éthique qui accorde à autrui, c’est à dire à la prise en compte de la diversité humaine dans toute sa réalité sensible, cette importance primordiale. Comme le dit Ricœur dans le sillage d’Emmanuel Lévinas : « le visage de l’autre me requiert ; il me demande de l’aimer comme moi-même ».

Face à la crise globale que connaissent nos sociétés, crise à la fois économique, sociale et morale, cette sensibilité à l’autre, à ses souffrances, à son humanité, doit plus que jamais éclairer la décision politique. Cette sensibilité se nourrit du dialogue, de la rencontre, de l’écoute, du débat. « Avec le dialogue », nous dit Hannah Arendt, « se manifeste l’importance politique de l’amitié, et de son humanité propre ». Plus que d’injonctions prononcées par des experts dont la pertinence, au vu de leurs erreurs passées, apparaît bien discutable, c’est de débat démocratique dont nous avons besoin. Aucune urgence ne saurait justifier que les peuples soient tenus à l’écart de décisions qui les concernent au premier chef, et je trouve à cet égard choquant que le débat politique puisse être placé sous la surveillance des agences de notations. Je trouve choquant que le pouvoir d’arbitrer les politiques soit ainsi transféré du citoyen à des acteurs privés du monde de la finance, confisquant ainsi, insidieusement et sans l’avouer, la démocratie.

Comment rendre possible une politique soucieuse de chaque être humain, du territoire où il vit, de son bien-être durable, et donc soucieuse du bonheur de chacun, si nous n’interrogeons pas les effets pervers de la prise de pouvoir sur nos vies que constitue la financiarisation de l’économie et la concentration des pouvoirs à laquelle celle-ci aboutit ?

Un risque systémique redoutable
Selon une étude récente réalisée par trois chercheurs de l’école polytechnique de Zurich, 147 firmes, dont les trois quarts appartiennent au secteur financier, détiennent 40% des 43 000 entreprises multinationales de la planète. Et l’encours des actifs confiés aux vingt plus grands gestionnaires de fonds dépassait, à la fin 2010, 26 300 milliards de dollars (soit un peu plus de 20 000 milliards d’euros…).

Une telle concentration confronte nos économies à un risque systémique redoutable et doit inquiéter au pays de Montesquieu qui nous a enseigné la séparation des pouvoirs comme condition nécessaire à la préservation de la liberté.

Au moment de vous souhaiter à tous une bonne année, en ma qualité de Président d’une assemblée au service du dialogue entre acteurs de la société civile, il me semblait nécessaire de rappeler ces limites auxquelles se trouve aujourd’hui confrontée l’ambition démocratique et l’intention éthique qui nous anime.

J’aurais pu me contenter d’évoquer nos travaux en cours, consacrés aux enjeux énergétiques en Aquitaine et à la filière industrielle de production d’énergie, ou à la question de l'(in)égalité professionnelle hommes-femmes, ou encore me limiter à annoncer les études à paraître, comme celles sur les espaces ruraux en Aquitaine, ou celles à venir, comme celle sur les risques naturels dans notre région. J’aurai pu aussi mentionner notre pleine mobilisation pour l’élaboration, dans le cadre de l’Union européenne, d’une stratégie maritime atlantique au service de nos territoires. Mais il m’a semblé nécessaire de rappeler que ce dialogue que nous nourrissons avec enthousiasme et conviction au service de l’Aquitaine peut vite apparaître vain s’il n’est pas possible de débattre à toutes les échelles de notre citoyenneté. Du local au mondial, la concrétisation de notre espérance de bonheur appelle à chaque étage une gouvernance démocratique nourrie de dialogue et d’attention à l’autre.

Aussi, pour atteindre cet objectif en 2012, ma recette tient non pas en un triple A mais en 4 : de l’Audace et de l’Amour, des Autres… et de l’Aquitaine. »

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