Tribunes de la Presse : le débat sans frontières


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Tribunes de la Presse : le débat sans frontières

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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 22/11/2018 PAR Romain Béteille

Ce mardi 20 novembre, une nouvelle étape a été franchie dans le processus de rapprochement entre les deux Corées : Pyongyang a en effet détruit une dizaines de postes-frontières à l’explosif dans une zone démilitarisée divisant la péninsule coréenne. Une mesure décidée en septembre dernier lors d’un sommet baptisé du nom de la capitale de la Corée du Nord. Dans le même temps, le nombre de personnes autorisées à entrer légalement sur le territoire américain pour y demander l’asile a été drastiquement réduit depuis plusieurs semaines. La notion de frontière, qu’elle soit politique, religieuse ou simplement symbolique, a quasiment chaque jour droit à son actualité. C’est donc assez naturellement qu’elles se sont retrouvées en thème principal de la huitième édition des Tribunes de la Presse, qui se sont ouvertes ce jeudi 22 novembre et qui, jusqu’au samedi 24, convoquent de nombreux experts autour d’ateliers, de tables rondes et de rencontres pour débattre autour d’elles. Lors de l’ouverture des tribunes, qui s’est tenue ce matin au TnBA à Bordeaux, le journaliste Bernard Guetta, président de l’association Les rencontres d’Aquitaine (organisatrice, aux côtés de la région, de cet évènement depuis ses débuts), en a d’ailleurs rappelé la teneur actuelle : « la peur de l’autre qui traverse nos sociétés induit un désir de frontières et de limites. Cette notion domine aujourd’hui tous les grands débats politiques, mais l’Histoire est là pour nous apprendre ce qu’amène la peur de l’autre », a souligné l’ancien correspondant du Monde à Moscou et Washington.

Ces mots d’introduction ont visiblement été aussi soigneusement choisis que les invités du premier débat, baptisé « le retour des frontières » : Valerio Vincenzo, photographe italien auteur d’une exposition baptisée Borderline, les frontières de la paix (présentée dans le cadre des Tribunes de la Presse) centrée sur la réalité des frontières européennes; la philosophe et ancienne directrice de l’Ecole normale supérieure Monique Canto-Sperber et l’ancien ambassadeur et géographe spécialiste des frontières Michel Foucher. Trois témoins pour trois visions assez différentes de cette notion au passé fourni qui finiront par se rejoindre mais qui ont pu en défricher quelques aspects (qui seront d’ailleurs repris au travers de plusieurs débats spécifiques organisés pendant ces trois jours). Pour le photographe, qui a parcouru les frontières de vingt-six pays européens pendant douze ans (après avoir connu quelques déboires entre son permis de séjour et les accords de Schengen), les exemples de la transformation des frontières parlent d’eux-mêmes : dans l’ensemble ses clichés sont paisibles, bucoliques et même parfois reconvertis (en une assez surprenante boutique de chocolats), loin des barrières anxiogènes des quelques 65 murs construits et planifiés de la planète. « On nous a amené à pensé qu’elles avaient disparu alors qu’elles étaient seulement moins visibles. Cette nouvelle visibilité, cette réaffirmation s’explique par des menaces externes, une concurrence économique forcée et déloyale dans cette exception européenne. Ce qui se passe au Japon avec le propriétaire de Renault peut être interprété comme un réflexe protectionniste, 150 ans après l’ouverture du Japon, même s’il ne faut pas exclure tout le reste. Les pays ont besoin de réaffirmer ce périmètre de souveraineté car il est pour eux un paramètre de l’identité », a affirmé pour sa part Michel Foucher.

Pour Monique Canto-Sperber, le retour des frontières dans le discours politique (et donc, du protectionnisme) s’explique aussi par l’Histoire de ces dernières. « La frontière, c’est l’altérité. Il y a autour de cette notion une aspiration de liberté pour échapper à la terreur mais elles sont aussi une condition de la pluralité et de la différenciation. Un Etat responsable préempte la violence mais le lien entre délimitation et solidarité n’est pas à ignorer. Bénéficier d’une individualité intellectuelle, c’est aussi moins d’oppression sociale. En Chine se pose aussi la question de la frontière séparant l’individu de la société, et donc du concept même de la vie privée » (la philosophe fait ici référence à l’immense base de données que sont en train de construire les autorités chinoises). « C’est une source de liberté fondamentale pour ceux qui en sont privés ». La montée des populismes européens et mondiaux a également été évoquée comme une facile solution de repli et de renforcement de la notion frontalière. « Le populisme, c’est l’homogénéisation d’un peuple puisque qu’elle partage la peur et l’inquiétude. Rien ne se partage mieux. C’est un gouvernement autoritaire qui fait face au peuple et qui nie la pluralité sociale des opinions et des intérêts ». Le débat entre vie privée et vie publique, entre France des villes et France des champs sera d’ailleurs exploité dans d’autres débats tout au long de cette huitième édition, sujet résonnant d’autant plus avec l’actuel mouvement des gilets jaunes. Valerio Vincenzo, s’il donne à voir des frontières apaisées, s’est toutefois défendu de travailler sur l’absence de frontière, lui préférant une réflexion sur « une autre interprétation de celle-ci qui ne soit pas une barrière. On n’a pas besoin de mettre des barrières pour marquer les différences, notre identité ne peut pas être associée à un lieu physique, parce qu’alors elle encourt le risque d’une instrumentalisation politique qui ne correspond pas à la réalité du terrain. Les frontaliers partagent les mêmes problèmes où qu’ils soient sans forcément le savoir ».

Elle est « une ressource » pour Michel Foucher, qui voit dans la promesse de campagne de Donald Trump de construire un mur entre les Etats-Unis et le Mexique « une transformation de la frontière en scène politique absurde. L’histoire des frontières, c’est aussi celle des contournements ». La transgression des murs a en effet l’air d’avoir un passé tout aussi riche que leur construction, comme en témoignent les quelques 150 tunnels sous la frontière mexicano-américaine ou les contournements exercés par les divers trafics illégaux. Enfin, la frontière est aussi profondément bouleversée par l’espace symboliquement sans limite du web, dans lequel le respect des frontières de la vie privée est largement discuté (le scandale Cambridge Analytica n’en étant qu’un des nombreux exemples). « Si, du point de vue de la sécurité des Etats, des mesures d’intrusion peuvent être justifiées, il faut que leur efficacité soit prouvée et qu’un équilibre optimal soit défini. La première des sécurités, c’est la certitude de ne jamais être arrêté, jugé et condamné à propos de quelque chose dont on ignore la nature, or tout individu est un suspect potentiel », termine Monique Canto-Sperber. « Rien ne nous permet d’affirmer que les Etats de droit seront toujours bienveillants. Ce n’est pas nous qui décidons de ce que nous avons à cacher mais c’est l’Etat qui a le pouvoir de nous le reprocher ». Cet échange, décidément très éclectique, ne sera que l’un des nombreux rendez-vous tenus tout au long de ces trois jours et répartis entre le TnBA, la librairie Mollat (station Ausone), le Grand-Théâtre et l’IJBA (Institut de Journalisme Bordeaux-Aquitaine). Vous pouvez dès à présent en retrouver le programme sur le site www.tribunesdelapresse.org.

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