Gilles Savary, le « macroniste historique »
Mercredi soir, dans la salle des fêtes de Saucats, le rassemblement entre le socialiste Gilles Savary et ses militants a tout l’air d’une réunion de crise. Dimanche dernier, le candidat sortant est arrivé second dans sa circonscription du Sud-Gironde avec 17,38%, sans risque de triangulaire avec le candidat républicain Michel Dufranc (14,35%). Face à la candidate MoDem investie par En Marche en mai dernier, il joue ses dernières cartes. Très actif sur les réseaux sociaux et via son site internet de campagne, il n’hésite pas à mettre en avant son bilan de député, mais son discours face à son équipe de campagne est lucide. « Je n’ai pas été battu par des gens plus à gauche, c’est parce que je suis au PS que nous en sommes là. Il reste encore une petite chance ici, comme sur la quatrième, pour qu’il n’y ait pas douze députés En Marche dimanche, mais c’était impossible de résister à cette vague », se résout à avouer Gilles Savary.
Ce dernier a changé de ligne de communication pendant la campagne. Dans l’urne lors des présidentielles, il a mis deux fois le nom d’Emmanuel Macron. On a un temps retrouvé le Président de la République sur ses tracts de campagne autant que sur son programme imprimé. Aujourd’hui, Gilles Savary est le « candidat du rassemblement républicain ». À la sortie de la réunion publique, alors que son équipe encore en train de planifier le déploiement des affiches et des appels téléphoniques pour convaincre, il justifie ce choix. « Au premier tour, j’ai voulu dire clairement que je n’étais pas un socialiste qui rentrerait en opposition systématique et que je donnerais sa chance à Macron. J’ai voté pour lui deux fois aux présidentielles, je ne vois pas pourquoi sur la législative j’allais dire que je rentrerai dans l’opposition. Je n’ai pas sollicité l’investiture En Marche et j’ai donc plus de libertés que la candidate macroniste. La première que j’exprime, c’est une liberté républicaine, j’ai peur du pouvoir personnel et de ses dérives et que l’Assemblée soit composée de figurants alimentaires. Je n’allais pas voter contre Macron alors que mon parti n’avait rien à présenter, ni une ligne nouvelle ni un leader suffisamment porteur. Si je privilégiais mon appareil politique, je savais qu’on allait dans le mur. Je n’aime pas les gens qui font trente ans de carrière quelque part et qui au moindre souffle de vent contraire, sautent du navire pour s’embarquer sur celui d’un autre. J’ai une identité politique, je ne me suis pas senti le courage de la renier », affirme-t-il. Il faut dire qu’être député majoritaire d’une Assemblée dont le gouvernement comportait (entre autres) Bruno Le Maire n’est pas non plus censé enchanter ce social-démocrate.
Au niveau du programme, on trouve quelques déclinaisons locales : contrats locaux de mobilité, co-voiturage périurbain, mise à niveau du réseau routier départemental ou service d’auto-partage collaboratif pour la question des transports, par exemple (il réitère ce format de cinq propositions sur les thèmes de la santé, de l’éducation, du logement, de l’emploi, de l’environnement et de la culture comme on peut le voir dans son programme en ligne, encore avec Macron). C’est ce qu’il met en avant dans sa communication, considérant que les idées de campagne sont déjà sur la table. « En réalité, les gens n’en ont rien à faire de savoir qui a un programme. Ni le bilan ni le programme n’ont été décisifs et je pense que la plupart des gens qui ont voté pour mon adversaire ne la connaissent même pas. Ils ne savent pas qu’elle était très opposée à Macron avant qu’il n’y ait un accord d’appareils et qu’elle est faite pour financer le MoDem. C’est le troisième tour d’Emmanuel Macron et le renflouement du radeau de la méduse de François Bayrou ». Comme la meilleure défense semble rester l’attaque, Gilles Savary met en avant, dans son discours comme dans ses « posts » sur les réseaux sociaux, un refus de débat médiatique provenant de la candidate En Marche. « Elle a fui le débat, elle en a fait un et puis ça a été terminé, elle a refusé d’en faire et à arrêté les réunions publiques. Elle ne savait pas défendre le programme de Macron et elle n’a aucun programme local. Elle a donc attendu que la machine automatique se mette en marche ». L’argument d’une Assemblée toute puissante, il le reprend à sa guise, tout en le nuançant quelque peu : « Si un jour je suis dans un groupe social-démocrate à l’Assemblée et que Macron en a besoin pour faire une coalition de gouvernement en négociant, non pas du fric comme Bayrou, mais des éléments de programme, je n’y verrai pas d’inconvénients ». La porte est ouverte, donc, mais si le socialiste n’arrivait pas à rattraper la course, il affirme qu’il pourrait prendre un peu de recul en politique. « Je ne vais pas faire le siège de la députée si elle est élue, elle fera son job et on verra bien. Cette vague, il faut qu’elle en profite parce que ça m’étonnerait que dans cinq ans ce soit aussi facile ».
Sophie Mette, portée par la vague
Jeudi matin, sur le marché de Salles, Sophie Mette est sur le terrain depuis l’aube avec son suppléant, Jean-Pierre Martinez. Cette mère de famille de 57 ans est, depuis huit ans, gérante d’un cinéma associatif dans sa commune. Elle effectue aussi actuellement son deuxième mandat de conseillère municipale (sans étiquette mais chef de file de l’opposition), est élue à la Communauté de communes du Bazadais et ancienne conseillère régionale centriste. Pour elle, la question du débat ne se pose pas. « Il y en a eu un avant le premier tour. À son issue, les électeurs ont apporté un jugement. L’entre-deux tours est très court. J’ai été sollicitée par plusieurs chaînes pour faire des débats mais je considère que c’est du temps que je préfère consacrer à faire campagne. Le débat doit être fait avec les électeurs sur le terrain. Il faut expliquer, rassurer, argumenter. Gilles Savary peut aussi venir débattre sur les marchés, je ne l’en empêche pas ». À son calendrier, on ne trouve trace que d’une réunion publique à la mairie de Bazas, le 23 mai dernier. Pour elle, la campagne semble se dérouler ailleurs, et ce jugement, largement commenté de tous bords par l’argument massue du monopole En Marche et de l’absence d’opposition n’est qu’une critique malvenue, il y a déjà eu des assemblées avant qui ont eu tous les pouvoirs. Le pouvoir sera partagé, cette majorité est quand même diverse, ce sont des gens qui arrivent d’horizons différents, et la moitié sont des femmes ce qui va changer complètement la nature de l’Assemblée ».
Pour cette dernière, la dichotomie électorale affichée par Gilles Savary est surtout celle qui lui a permis de se maintenir face à ses 31,14% au premier tour, rien d’autre. « J’ai été investie par En Marche, pas lui. Au lendemain du premier tour, les panneaux d’affichage ont changé. Au premier tour, Gilles Savary était à la fois Macron et PS, aujourd’hui il forme un groupe socialiste à lui tout seul. Peut-être qu’en utilisant cette marque, il espérait être en tête. Ca lui a effectivement permis de ne pas être éliminé au premier tour mais je me pose des questions sur ses changements de ligne par rapport à ses propres électeurs », nous dit-t-elle. Sur la route, on a quand même croisé de nombreuses affiches aux couleurs rose pétard du candidat socialiste. En revanche, Sophie Mette était moins présente. Reste que les circonstances lui sont évidemment favorables, du fait du mouvement national de « dégagisme » des partis traditionnels autant que du rapprochement entre le patron du MoDem et Emmanuel Macron. Elle n’est pour autant pas une marcheuse de la première heure si l’on en croit ces articles publiés sur son compte facebook entre fin 2016 et début 2017, dans lesquels on dénonçait déjà la proximité de Macron avec le patron de presse Patrick Drahi ou les interrogations de la CGT à propos des « bus Macron ». « J’ai partagé des articles sans faire de commentaires. Je me suis interrogée sur la question des bus Macron et sur ses relations avec les milieux financiers. Il peut y avoir tout un tas de sujets ou on se pose des questions. Ce n’est pas parce qu’on est étiqueté « En Marche » qu’on a pas le droit de s’en poser », justifie-t-elle encore aujourd’hui.
On l’a vu, pour le candidat socialiste, la faiblesse de Sophie Mette, c’est une « absence de programme local ». En vérifiant dans son catalogue de campagne, on constate en effet que, comme beaucoup de candidats, elle a repris une feuille de route nationale. Elle explique ce choix. « Un député n’est pas un super conseiller général. On est sur le terrain parce qu’on doit être en capacité de voir quelles sont les nécessités des gens qui vous interpellent sur tout un tas de choses. Au départ, on est là au niveau national pour voter des lois. Ici, je dirais que sur la mobilité, j’ai vraiment constaté qu’il y avait des soucis. J’étais ce matin à la gare de Langon et j’ai vu des gens qui se plaignaient des retards, des problèmes de cadencements, ect. Le programme national peut se décliner de manière locale sur tout ce qui est abordé. Concernant la question de l’emploi, nous ne sommes pas dans une circonscription qui a un plus fort taux de chômage qu’ailleurs et je pense qu’elle a un grand potentiel. Il y a des propositions qui sont remontées en amont des comités locaux mais on sait bien que les deux se recoupent ». Pour Sophie Mette, l’absence d’ancrage local est aussi affaire d’expérience. « Gilles Savary est député depuis cinq ans et était député européen avant, il a eu du temps pour travailler ses dossiers. Moi j’arrive, j’ai été investie le 11 mai dernier, je ne maîtrise pas les dossiers de la même façon. J’ai mon regard de terrain, c’est pour ça que je continue d’y aller pour m’enrichir de ce que j’y vois. On ne peut pas se comparer, mais je travaillerai les dossiers après ». Arrivée en tête dans 83 mairies sur 88, Sophie Mette semble, à priori, bien partie pour l’emporter, si le fameux « chassé-croisé d’électeurs » n’en décide pas autrement. En tout cas, on peut dire que le mouvement de Macron lui a largement profité : lors des dernières législatives, elle s’était présentée titulaire sur une liste MoDem et avait obtenu un score de 4%.
« Si l’un des deux prenait position contre les ordonnances… »
Du côté des candidats sortants, le score honorable de Jean-Luc Mélenchon lors des présidentielles sur la neuvième circonscription n’a visiblement pas bénéficié à son candidat France Insoumise, François Papiau, élu de l’opposition à la mairie de Cadaujac. Avec 14,35%, il arrive tout de même en troisième position devant l’avocat et maire de La Brède, Michel Dufranc pour les Républicains (13%). Contrairement au soutien affiché sur certaines circonscriptions de Gironde (comme par exemple dans la troisième où la candidate PS Naïma Charaï, qui a donné sa consigne de vote pour France Insoumise), ici, pas question, ni d’un côté ni de l’autre, de soutenir quiconque. « Les insoumis ne sauraient choisir entre deux macronistes. Si l’un des deux devaient prendre position contre les ordonnances sur la nouvelle loi travail, on réviserait peut-être notre jugement, mais pour l’instant ça n’est pas le cas », nous souffle François Papiau. « Nous ne donnons aucune consigne à l’heure actuelle. On a perdu, on ne va pas nous refaire le coup du deuxième tour à chaque fois, d’autant plus qu’aucun des deux ne nous conviennent. Les militants en sont conscients, ils sont avertis. Personnellement, je voterai blanc ».
Du côté des « Républicains », le suppléant de Sophie Mette, Jean-Pierre Martinez, affirmait ce matin avoir reçu un signe, « un contact chaleureux avec la suppléante de Mr Dufranc. S’il l’a été, c’est sans doute qu’il a donné des indications ». Malheureusement pour ce dernier, le candidat LR Michel Dufranc n’a pas vraiment l’air de partager cet avis. « Je n’ai pas à les départager car je n’entends pas soutenir la majorité et leur faire la courte échelle », nous-a-t-il indiqué dans la journée par téléphone. Il apporte même un contrepied total aux propos du suppléant de la candidate MoDem. « Je rajouterai un bémol en disant que, même si Gilles Savary est co-responsable du bilan de François Hollande, je ne prononce pas de condamnation car il a montré des qualités personnelles à intervenir sur des sujets locaux. Sophie Mette n’a jusqu’à présent montré aucune expérience à faire une campagne électorale et n’a pas été capable de porter quelque dossier que ce soit ». Les bleus voteront donc tout aussi blanc que les rouges. Mais si la vague jaune se confirme, l’écart risque d’être difficile à rattraper pour le député sortant sans aucune aide apparente. Dans les deux cas de figure, les résultats ne se règleront ni sur les réseaux sociaux ni sur les marchés, mais bien dans les urnes.