Le Grand Entretien – Pierre Dartout Préfet de la Nouvelle Aquitaine: la réforme a voulu un Etat stratège


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Le Grand Entretien - Pierre Dartout Préfet de la Nouvelle Aquitaine: la réforme a voulu un Etat stratège

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Temps de lecture 12 min

Publication PUBLIÉ LE 18/01/2017 PAR Joël Aubert et Solène Méric

@qui ! Quand on a connu, comme vous, autant de responsabilités préfectorales dans plusieurs départements et régions de France et que l’on se trouve en charge d’un ensemble qui réunit 12 départements à la tête de l’appareil d’Etat, y compris de la zone de défense, comment vit-on cela ?

Pierre Dartout – C’est un grand honneur de se voir confier une mission aussi importante, aussi ambitieuse. Le hasard fait aussi que mon expérience personnelle ou familiale m’a aussi aidé ; je suis limousin, j’ai épousé une charentaise, j’ai été aussi en poste dans les Pyrénées-Atlantiques. Je connais bien la majorité des départements de la région ; j’essaie de faire connaissance avec tous: c’est une mission exaltante, passionnante mais qui est difficile et pas seulement parce qu’il faut faire beaucoup de kilomètres mais parce que cela conduit à appréhender beaucoup plus de dossiers qu’avant. C’est un effort certes important pour le préfet, pour le Secrétariat Général des Affaires Régionales et toute l’équipe autour du préfet, y compris pour Sophie Billa en charge de la communication que je vais voir, le matin, pour savoir ce que dit la presse ; avant je l’interrogeais, outre Sud Ouest sur la République des Pyrénées, maintenant, il faut suivre, aussi, la Nouvelle République, le Populaire du centre, la Montagne ou la Charente libre. La majorité de la préfecture a changé de dimension, les directions régionales aussi.

Visioconférences et minibus

@qui!  La visioconférence, est-ce un « bond en avant » pour  la réorganisation administrative de l’Etat dans le contexte de la Grande région ?

Pierre Dartout – Il est incontestable que depuis deux ans, depuis que je suis arrivé ici et qu’on travaille au niveau de la grande région, on fait beaucoup plus de visioconférences qu’avant. Par exemple, un Comité de l’Administration Régionale, à Bordeaux, devait avoir lieu demain. Or demain, je suis convoqué à Paris, donc j’ai du annuler ce CAR, mais pour compenser, nous avons décidé de faire une visioconférence à 8 heures ce matin. On n’est pas encore totalement à l’aise. Moi le premier d’ailleurs. C’est mieux en terme de bilan carbone, mais c’est moins bien en terme de convivialité d’échange … ! C’est plus court d’ailleurs que lorsque l’on est ensemble autour de la table, mais ça reste une méthode de travail efficace, avec des échanges constructifs et utiles.

@qui! ! : C’est une part d’investissements, financièrement parlant ?

Pierre Dartout –  Oui, mais ce n’est pas énorme. J’ai deux exemples à vous donner. Auparavant, nous avions à la Préfecture deux salles de visioconférence, une très grande à côté, et une autre toute petite, pas très pratique d’ailleurs. Désormais on a rajouté un autre équipement de visioconférence dans une troisième salle de réunion. Deuxième exemple, les Préfets, Directeurs départementaux, Directeurs régionaux vont avoir maintenant sur leur ordinateur une application qui nous permettra de faire des conférences à plusieurs, depuis notre propre bureau. Pour autant, le contact humain est indispensable. Mais c’est vrai qu’on ne peut pas faire des réunions trop fréquentes, nécessitant des déplacements physiques. On est obligé de travailler autrement. Autre exemple : comme on se déplace à plusieurs, on part souvent en minibus. C’est certes source de carbone mais moins que de partir à deux ou trois voitures…Des solutions de covoiturage ont aussi été ouvertes en interne, ce qui incite les gens à « covoiturer » pour des déplacements dans la région.

@qui ! : Cette réforme a, plus globalement, pour objectif de faire des économies. Au bout d’un an, on n’en est pas encore là mais comment ça se passe, où en est-on ? Et à quel terme ces économies seront-elles mesurables?

Pierre Dartout –  Oui, un objectif d’économie au titre de la réduction de la dépense publique, et à terme les moyens vont l’être. Mais il faut que les services de l’Etat continuent à fonctionner tout en étant aussi efficaces et performants. Le regroupement des régions doit permettre plus de mutualisation et donc de faire des économies en moyens humains. On n’a pas encore comptabilisé l’effet que cela pouvait avoir, mais il est sûr qu’à terme il y aura des effets positifs. On a besoin globalement de moins de moyens au niveau régional que la somme des moyens cumulés des trois anciennes régions. Et avec ça, ça peut nous permettre aussi de mieux stabiliser l’administration de l’Etat dans certains petits départements où elle s’exerçait dans des conditions qui se révélaient difficiles. Là, il y a un seuil minimum ; pour un département comme la Creuse par exemple, et cela est permis par les économies que l’on peut faire par ailleurs.

@qui ! Région-Département : comment de fait se répartissent les missions ?

Pierre Dartout  – Le choix qui a été fait au niveau de l’Etat a consisté à renforcer l’échelon départemental. On a de plus grandes régions parce que l’Etat, au niveau régional, se consacre aux missions les plus stratégiques : la définition et la conception des politiques. La mise en œuvre est de l’échelon départemental qui est privilégié ; il existe donc moins de raisons, aujourd’hui, de rencontrer des risques de confusion, de conflits de compétences entre l’échelon régional et l’échelon départemental. L’échelon régional est un peu plus loin mais c’est lui qui a la mission stratégique. L’évolution fait que le préfet de région a des préfets de départements qui travaillent avec lui, sous sa coordination, sous son autorité. De ce fait, le préfet de région voit moins dans le détail les dossiers des départements qu’il ne les voyait avant. Il conserve les grandes orientations mais, ici, en l’occurrence il est aussi préfet de la Gironde

Outre l’effort que nous avons fait de mieux connaître les dossiers et enjeux de la Région nous nous sommes organisés : au lieu de trois Directions régionales, aujourd’hui, autour de cinq grands réseaux: affaires culturelles- environnement, aménagement, logement – agriculture, forêt – jeunesse, sport, cohésion sociale,- entreprises, concurrence, consommation, travail, emploi- donc, au lieu d’avoir trois directions régionales pour chacun de ces grands réseaux il n’y en a plus qu’une. Mais la réforme, pour être acceptée, doit reposer sur la notion d’équilibre territorial. Il faut que les deux autres villes qui ne sont plus capitales régionales, Poitiers et Limoges ne perdent pas dans cette réforme.

La réorganisation fait désormais qu’il y a le siège dans une ville et une organisation de chaque direction régionale sur les trois sites. Chacun des ces trois sites est spécialisé: en agriculture, par exemple, le siège de la DRAAF est à Limoges mais les spécialisations sur l’élevage sont à Limoges, sur les grandes cultures à Poitiers et à Bordeaux sur le vin et la viticulture. Il en va de même pour les cinq grands réseaux; ils ont chacun leur implantation ; Limoges, Poitiers et Bordeaux. La DREAL est à Poitiers, les trois autres sont à Bordeaux. Pour le SGAR, le Secrétariat général des Affaires Régionales, lui, est sur Bordeaux il est normal qu’il y soit… Nous avons tenu au maintien de l’équilibre en termes d’emplois publics. Il faut bien voir qu’en arrière plan, en année pleine, les effectifs de la fonction publique d’Etat baissent du fait des exigences budgétaires mais cela se fait de façon égale entre les trois villes, si bien qu’il n’y a pas creusement d’écart en terme de nombre d’emplois entre Bordeaux et les deux autres.

@qui ! Est-ce qu’il ya des demandes  de mobilités ?

Pierre Dartout – Il y en a : elles ont été acceptées si elles ont été demandées mais il n’y a jamais eu de mobilités géographiques imposées. Par exemple quelqu’un qui est à Poitiers ou Limoges y possède son logement, y a son conjoint qui travaille sur la ville et n’a pas envie de partir. Et le prix du logement et du foncier est beaucoup plus élevé à Bordeaux que dans les deux autres villes. En revanche, au sein des directions régionales réorganisées il y a eu ce qu’on appelle de la mobilité fonctionnelle et les personnes ont été accompagnées par des actions de formation. Pour ce qui concerne les services de l’Etat il n’y a pas eu de déséquilibre, de pertes de cadre A, de la fonction publique d’Etat, de Limoges vers Bordeaux et même chose pour Poitiers.

La Région est forte économiquement dans les secteurs où l’est la France

@qui ! : Avec votre connaissance des Pyrénées-Atlantiques où vous avez été en poste, vos liens personnels avec cette grande région et, désormais, votre présence à la tête de la préfecture régionale depuis bientôt deux ans, comment vous, personnellement, vivez-vous cette grande région, la plus grande, tournée vers l’avenir mais aussi avec ses orientations sur le développement… ?

Pierre Dartout – D’un point de vue très personnel, je trouve que c’est une région qui a vraiment beaucoup d’atouts et qui est attractive dans sa globalité ; pas seulement du fait de la métropole bordelaise qui est objectivement une des métropoles les plus attractives, aujourd’hui, en France. Cette région a beaucoup d’atouts pour plusieurs raisons.

D’abord parce qu’elle est forte sur un plan économique dans des secteurs ou la France est forte : l’aéronautique, le luxe, l’agro-alimentaire, le tourisme… Ensuite c’est une région qui a un cadre de vie très recherché, un peu partout, que ce soit en ex-Aquitaine, en ex-Limousin, en ex Poitou-Charentes. Et pas seulement sur le littoral… Il y a aussi une tradition de modération et de convivialité qui fait que les relations peuvent être beaucoup moins conflictuelles que dans d’autres régions ; ça tient à la culture, à la tradition locale. Ce sont des atouts importants. Il y a aussi de belles universités, des centres de recherches extrêmement intéressants ; beaucoup à Bordeaux, mais là encore pas seulement à Bordeaux. Je pense à des recherches très intéressantes à Limoges sur les matériaux, à Poitiers sur la santé et la recherche médicale, à La Rochelle sur l’océanographie… C’est une région qui dispose à mon avis aujourd’hui de nombreux atouts pour des raisons liées à son passé, à sa tradition mais également aux efforts menés par les uns et par les autres.

Infrastructures: le problème c’est la route Poitiers-Limoges

@qui ! : Quand on regarde les priorités de l’action de l’Etat dans les territoires, la question des infrastructures est centrale. Notamment sur des liaisons telles qu’ Angoulême-Limoges, les problèmes sont bien là, et il y a encore du travail en la matière…

Pierre Dartout – Il y a encore du travail mais les choses s’améliorent, et parfois c’est vrai on part de très loin. Mais sur la route entre Angoulême et Limoges, à la fin du contrat de Plan en cours (c’est à dire 2020, ndlr) et après la mise en route de l’avenant que l’on s’apprête à signer, il n’y aura plus que 10 km à faire pour qu’entre Angoulême et Limoges, la route soit en permanence en 2×2 voies. Donc les choses avancent. En revanche, le problème c’est plus la RN 147, la liaison routière entre Poitiers et Limoges, et là on n’en est qu’au début. Pendant très longtemps les deux régions, n’ont pas eu besoin, pour leur propre intérêt, de renforcer leur lien entre elles, et c’est vrai que là elles se sont un peu tournées le dos sur cette liaison.

@qui !: C’est ce qui explique aussi d’une certaine manière la mise en avant du projet LGV entre Poitiers et Limoges, soutenu par le Président puis abandonné, et qui aujourd’hui fait que finalement, le problème perdure ente les deux villes ?

Pierre Dartout : Limoges traverse peut être, aujourd’hui une période d’interrogation : ce n’est pas lié à la réforme régionale mais à un certain nombre de dossiers comme par exemple l’annulation de la ligne a grande vitesse entre Poitiers et Limoges; je sais qu’il y a une grande sensibilité à cela à Limoges. C’est vrai que pour la ville et une très grande partie du Limousin, la Corrèze, la Haute-Vienne, la Creuse, une partie de la Dordogne, voire du Lot en dehors de la région, il y a un problème de desserte ferroviaire. Les Limousins y sont très sensibles, et cela explique le choix qui avait été fait de faire une LGV entre Poitiers et Limoges. Une ligne qui avait fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique que le Gouvernement a signée mais qui a été annulée par le Conseil d’Etat. Maintenant, une nouvelle réflexion va naître autour du parlementaire Michel Delebarre, missionné pour réfléchir à des propositions pour améliorer cette desserte.
Dans la région, il y a plusieurs questions autour des infrastructures, mais il faut bien avoir en tête qu’aujourd’hui faire une infrastructure, c’est beaucoup plus difficile qu’avant. Pas seulement pour des raisons budgétaires mais parce que si les gens, c’est vrai, veulent des routes ou des liaisons ferroviaires, les questions d’implantation de ces infrastructures posent beaucoup plus de problèmes qu’avant et la législation est bien sûr plus contraignante, parce qu’il y a un certain nombre de précautions qui doivent être prises notamment sur la préservation de la biodiversité. Créer aujourd’hui une infrastructure, c’est quelque chose de plus complexe qu’avant. On a intégré des dimensions de compensation et d’évitement. On évite, et si on ne peut pas éviter on compense, c’est la règle pour les principales infrastructures.

Formations : des résultats inédits


@qui !: Quelles sont les autres priorités pour la grande région ?

Pierre Dartout : L’Etat en région, a quatre grands objectifs prioritaires.

Premièrement la sécurité. c’est un sujet sur lequel l’Etat est très impliqué, surtout en ce moment puisqu’on est toujours dans le cadre de l’état d’urgence. Là dessus je coordonne l’action de mes collègues en tant que préfet de zone de défense. Une zone de défense qui correspond aujourd’hui intégralement à la région, ce qui n’était pas le cas avant. Sur ce point la coordination se fait bien, notamment sur le plan de la lutte anti-terroriste et la lutte contre la radicalisation.


Deuxièmement, les politiques en faveur de l’emploi, sur trois aspects principaux : la politique en faveur des emplois aidés qui vise les publics les plus en difficultés, et par ailleurs nous sommes attachés à ce que les politiques de l’emploi de l’Etat se déclinent de façon assez pragmatique. Il faut que les mesures soient adaptées aux besoins des territoires : dans un territoire il faut faire plus pour les chômeurs de longue durée, dans un autre, il faut faire plus pour les jeunes, dans un autre encore, plus pour les seniors.

Toujours pour l’emploi, le partenariat avec la Région sur le plan « 500 000 formations » a permis de donner des formations à des demandeurs d’emplois dans des proportions qui sont inédites, au sein de notre pays. L’Allemagne et l’Autriche par exemple, étaient beaucoup plus performantes que nous quant aux nombre de demandeurs d’emploi que l’on réussissait à former. Cette opération est très bien avancée grâce à l’action de Pôle emploi et du Conseil régional. En Nouvelle-Aquitaine, on a 87 825 entrées, ce qui est un peu plus que ce qui était prévu.

Nous enregistrons d’ailleurs de bons résultats en terme d’emplois, variables selon territoires de la région. Il y a des territoires qui ont un certain dynamisme sur le plan économique, mais où l’amélioration des choses se voit moins bien parce qu’il y a aussi un grand dynamisme démographique. C’est le cas par exemple sur la Métropole bordelaise. En revanche, il y en a d’autres où l’on pourrait croire que la situation de l’emploi est meilleure, mais en fait ce n’est pas forcément vrai, car ce sont des territoires où il y a une baisse de la population active et de ce fait certains postes sont désoccupés. La politique de l’emploi c’est un objectif fondamental pour nous.


Troisième politique prioritaire : le logement et notamment le logement social auquel la grande majorité des français est éligible. Là, bien sûr il s’agit de concilier à la fois l’objectif social, c’est à dire faire en sorte que les familles aient un logement de qualité satisfaisant, mais également d’éviter les situations où la pression démographique et le prix du logement sont tels que les actifs ne peuvent plus habiter sur ces territoires. Je pense notamment à certaines communes du littoral sur l’ensemble de la région.
Et puis enfin, bien sûr, la transition énergétique. J’ai comme objectif de promouvoir la création de certaines énergies. Par exemple, en Aquitaine, aujourd’hui nous n’avons aucune éolienne ; il faut que l’on arrive à installer des éoliennes parce qu’il faut que tous les territoires du pays soient concernés par cet objectif de réalisation d’un taux de fourniture en électricité par les énergies renouvelables. L’ex-Aquitaine fait très bien en matière solaire, mais en matière éolienne non seulement il y a beaucoup d’efforts à mener mais on en n’a pas pour l’instant. Donc c’est à l’Etat de s’assurer que les projets sont respectueux du droit environnemental, mais aussi de faire en sorte que ces dossiers puissent naître.

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