Le « cluster ruralité » veut être un levier territorial


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Le "cluster ruralité" veut être un levier territorial

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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 27/06/2019 PAR Romain Béteille

Ce jeudi 27 juin s’est déroulée une réunion qui, par bien des aspects (notamment ses témoignages), ressemblait fortement à un cri du coeur pour la ruralité, avec un slogan scandé volontiers par Laurent Rieutort, professeur à l’université Clermont-Auvergne et directeur de l’Institut d’Auvergne du développement des territoires. Réunis au sein d’une séance de réflexion et de débats à l’Hôtel de Région de Bordeaux, de nombreux maires ruraux de Nouvelle-Aquitaine ont ainsi pu témoigner de leurs avancées et de leurs freins quotidiens dans le développement de leurs territoires. Cette réflexion fait partie d’un « cluster ruralité », qui a pour but de dégager un « programme d’investissements stratégiques dans les secteurs innovants en matière de cohésion sociale et territoriale ». Il faut dire que les clichés, qui ont décidément la vie dure, entre métropole et campagne, ont été un peu balayés d’un revers de main par l’agrégé de géographie clermontois : les résultats d’une thèse ont appris que 94% du territoire régional était composé de zones peu ou très peu denses, qui représentaient en 2015 plus de la moitié (53,5%) de la population totale et 38% des emplois (contre 21% pour le reste des territoires ruraux de France).

La Nouvelle-Aquitaine rurale est attractive : entre 1999 et 2010, elle a gagné plus de population (+1%) que les communes denses (+0,6%), malgré une déprise évidente des villes et villages les moins densément peuplés. Bien qu’en baisse, le solde migratoire reste présent (1,1% entre 1999 et 2010, 0,7% entre 2010 et 2015). Autrement dit : « les communes peu denses ont plus attiré de monde dans cette période que les zones urbaines, ce qui modifie quelque peu le paysage. L’emploi, souvent lié à l’arrivée de nouvelles populations et malgré l’affaibilissement de la croissance depuis la crise de 2008, est aujourd’hui quasiment au même niveau entre urbain et rural, malgré le problème des zones très peu denses qui en perdent. En ruralité », poursuit Laurent Rieutort, « un emploi sur dix est lié à l’agriculture, et plus du tiers dans les zones très peu denses. L’industrie, elle, représente 27% de l’emploi, ce qui prouve qu’elle est toujours présente malgré la tertiarisation de l’emploi (plus de la moitié aujourd’hui en milieu rural). 

Volontaires et résignés

Face à ce panorama plus que contrasté, ce sont certainement les témoignages qui ont fait office de véritable déclencheur des débats et des échanges. Certains sont plus forts que d’autres : ils ont été choisis pour leur capacité à montrer qu’il est possible d’innover, même lorsqu’on est maire d’une commune de 420 habitants. C’est le cas de Catherine Moulin, maire de Faux-la-Montagne, une des communes les moins denses de France située dans la Creuse : huit habitants au kilomètre carré. « Nous sommes situés dans ce qu’un rapport parlementaire de 2014 a baptisé l’hyper-ruralité : Limoges est à 65 kilomètres et nous n’avons aucune métropole à moins de 300 kilomètres ». Catherine Moulin y est maire depuis 2008 mais y vit depuis le début des années 80. Elle a fait partie du groupe à l’origine de la création de la scierie du coin, qui fait aujourd’hui travailler 27 coopératives et a fêté ses trente ans il y a quinze jours. « Nous avons gagné 57 habitants ces cinq dernières années. Pourtant, notre avantage est paradoxal : nous sommes loin de tout. Je pense que la spirale du déclin n’est pas irréversible et que c’est à la commune de prendre les choses en main », témoigne l’élue.

Mettre les mains dans le cambouis, on peut dire que Gilbert Chabaud s’y est attelé dès son arrivée dans le fauteuil de maire à Saint-Pierre-de-Frugie, en Dordogne, en 2008. « Je suis arrivé dans une commune en déclin dans laquelle il n’y avait plus d’école, le service de cantine était fermé, il n’y avait aucun commerce, aucune animation et la mairie était un local de quinze mètres carrés avec un hygiaphone », présente-t-il aux maires et responsables locaux présents dans la salle. « J’ai pensé qu’on n’allait pas tenir longtemps comme ça. Il y avait un projet pour refaire la mairie qui a été avorté alors que les subventions étaient prêtes, c’est la première chose qu’on a fait pour créer du lien avec la population. On souhaitait que les gens viennent et restent, on a donc fait l’inventaire de notre potentiel : pas de bâti disponible, un peu de petit patrimoine et près de la moitié de la commune était boisée. On a rénové les croix, les lavoirs, les outils agricoles et reproduit une chapelle qui avait disparu après une tempête. Depuis 2009, on a supprimé tous les produits phytosanitaires et les intrants, on a mis des nichoirs et des hôtels à insecte partout. On a également fait un jardin partagé à vocation pédagogique sur la permaculture et les paysages, toutes les écoles sont venues pour participer à des ateliers. On a ouvert huit chemins de randonnée tout en levant des conflits avec les agriculteurs, rouvert un restaurant qui était propriété de la commune et monté un projet de restauration avec des produits locaux. On a eu la chance d’être retenus pour la création d’un pôle d’excellence rural, la salle commune de l’école sert de lieu d’accueil, notamment pour des producteurs locaux. Désormais, ils ont un local neuf et le succès de désemplit pas, on voit revenir les personnges âgées sur les marchés avec leurs paniers alors qu’avant elles ne se rencontraient plus. Enfin, l’école a réouvert et elle est passée en quelques années de 5 à 25 élèves, un nouveau collège d’une douzaine d’élèves va également ouvrir à la rentrée prochaine. Le résultat est visible sur la population puisque nous avons gagné 80 nouveaux habitants l’année dernière et quasiment une trentaine de plus depuis le début de l’année. Aujourd’hui, on a quasiment plus d’habitations et plus de terrains disponibles, il nous en reste un seul qu’on est en train d’acheter avec l’établissement public foncier pour en faire un éco-lotissement de 12 ou 13 places, cinq sont déjà vendus. Ce sont des jeunes de 35 à 40 ans qui viennent du milieu médical ou agricole (notamment trois maraîchers). On a joué sur la qualité de vie et ça a payé mais c’est une action globale ». 

L’action globale, justement, était autant l’objet des attentions que des craintes de l’assistance. Un maire témoigne. « De notre côté, on a mis en place une politique d’accueil de nouveaux habitants et de services depuis plusieurs années, mais j’ai un peu l’impression qu’on a un peu tout fait et que ce n’est jamais fini. On a acheté 11 maisons pour en faire 25 logements communaux et 50 autres avec des offices HLM. J’ai mis des années à convaincre le conseil municipal de faire une chaufferie bois. Ce qui sauve les petits commerces de la commune, c’est qu’on les regroupe spatialement petit-à-petit mais malgré tout, nos professionnels de santé partent en retraite et il faut les réinstaller. Ce qui me tracasse, c’est qu’on a fait une maison de santé pour les accueillir mais que la communauté de communes en a fait d’autres dans des gros bourgs, les médecins ne vont plus vouloir venir dans la nôtre. Cette uniformisation va nous tuer ».

Retour à la terre 

« Il faut faire en sorte que nos intercommunalités reprennent des initiatives de développement local. Ca renvoie aussi à une notion de gouvernance, sans oublier l’importance croissante de la participation citoyenne », répond Laurent Rieutort. Pour Yves Attou, maire de Saint-Christophe-sur-Roc (dans les Deux-Sèvres), plusieurs indices laissent même à croire que la ruralité est en train de redevenir un élément central, et même qu’une forme de « désexode rural » pourrait bien s’enclencher dans les années à venir, pourvu que les maires sachent attirer de nouveaux administrés en leur proposant des services que ces « grosses machines » que sont les métropoles ont du mal à mettre en place. « Ces six tendances lourdes, c’est d’abord le développement du numérique qui représente pour nous un potentiel important de création de valeur, la demande croissante de produits en circuits courts, le développement endogène (ou l’essor du participatif), la transversalité et l’association commune de tous, l’accès à la propriété chez les jeunes et enfin le tourisme vert en pleine expansion. Enfin, il y a une demande très forte de convivialité ». 

cluster ruralité

Laurent Rieutort dévoile différentes approches qu’il appelle les « stratégies des maires ».

C’est ce que l’on pourrait presque appeler un « retour à la terre », mais le cluster est un peu plus ambitieux qu’une simple association de « lobbyistes de la campagne » souhaitant retourner les tendances. L’un de ses objectifs est d’étudier « en profondeur des espaces ruraux tant sur leurs potentialités d’innovation, que sur leurs faiblesses socio-économiques ». C’est ce qu’elle tente de faire avec un appel à projets dont les candidatures se sont clôturées le 7 juin dernier et sur lequel le jury du cluster a la charge de délibérer en juillet. 110 projets ont été proposés. Evidemment, tous ne seront pas sélectionnés, mais le budget régional prévoit une enveloppe de six millions d’euros répartis à raison de deux millions par an pendant trois ans (sur la période 2019-2020-2021) comme l’a rappelé Geneviève Barat la vice-présidente de la Région en charge de la ruralité. Composé d’une assemblée consultative, d’un comité de pilotage et d’un comité technique, le cluster ruralités compte aussi faciliter techniquement la mise en place de projets ou l’appel de la part des maires à des cabinets de conseil extérieurs qui, souvent, ne tiennent pas compte du nombre d’habitants pour poser leur facture… Il compte aussi faire avancer des réflexions concrètes, notamment en facilitant l’accès au droit des communes peu ou très peu denses (grâce au concours du Ministère de la Justice), en étudiant la possiblité de créer un campus « bâtiment/domotique/design », un projet de recherche autour de la laine et une « université territoriale des développements endogènes » ou même en organisant un grand « forum de la ruralité » en octobre prochain, le tout dans la Creuse, en invitant les fameux 94% de la Nouvelle-Aquitaine à y participer. La ruralité régionale pourrait bien y préparer sa contre attaque. Qu’on se le dise : après la lutte pour la décentralisation, celle sur la revitalisation pourrait bien prendre la place…

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