L’Actualité du Roman : Lettre à mes fantômes


Plutôt que d’un roman, il faudrait parler ici d’un récit ; il mêle éléments vrais et fiction à propos d’un épisode particulièrement tragique de la guerre d’Algérie auquel participa un soldat d’origine corse, Ferracci.

Gilles Zerlini : Lettre à mes fantômes-Maurice Nadeau éditeur -septembre 2022- 121 pages-La Machine à Lire

Gilles Zerlini : Lettre à mes fantômes-Maurice Nadeau éditeur -septembre 2022- 121 pages-

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Publication PUBLIÉ LE 31/01/2023 PAR Bernard Daguerre

l fut confronté à ces évènements, qui se déroulèrent dans la ville de Philipeville, en août 1955. Ils le marquèrent à jamais.

Ça commence comme les souvenirs d’un appelé, jeté dans le chaudron de la guerre, et peu motivé pour la faire. D’ailleurs, il ironise sur cette « Mission maintien de l’ordre. L’Algérie c’est la France. C’est pas la guerre, puisque c’est la France, la guerre c’est avec l’étranger. Si on te le dit. C’est rassurant. Finalement on est des espèces de policiers, des gardiens de la paix en quelque sorte, des pompiers si l’on peut dire, mais déguisés en soldats. Encore un carnaval qui démarre, une drôle de guerre qui commence ? comme en 40 ? C’est quoi cette mascarade ? ».

Le voilà débarqué à Philippeville, une ville de la côte algérienne, ainsi appelée en hommage au roi Louis-Philippe, cité qui prendra après l’indépendance, le nom de Skikda. Ferracci intègre le 1er RCP (Premier régiment de chasseurs parachutistes), commandé par un certain Bigeard… C’est le quotidien un peu désœuvré d’un militaire qui nous est d’abord raconté, avec des commentaires originaux sur le monde méditerranéen. Et alors que le lecteur se demande où veut donc l’emmener l’auteur, voilà qu’il se dévoile. Le « vrai » narrateur appartient à la famille du conscrit ; il a découvert, enfant, des bribes d’un passé de guerre soigneusement caché.

Tu te désagrèges un peu plus à chaque balle, à chaque cri. Oui, c’est ça tu te désagrèges… Comme si l’âme de chaque mort te prenait une infime partie de vie, un morceau de peau, jusqu’à te retrouver nu

Le livre est riche du mélange, de l’articulation et du passage entre cette double dimension dont on parlait plus haut : la cruauté inouïe des exactions guerrières d’un côté et la force littéraire, la charge poétique et l’élan de vie de tant de passages. De la première, on retiendra la terreur instituée contre la population civile : aux actions armées menées par les Algériens, aux massacres de civils européens dans les campagnes alentour, répond une répression considérable menée par des civils et des militaires. Sans parler de la torture et des méthodes d’enfermement et de liquidation des prisonniers qui inspirèrent des dictatures militaires en Amérique latine, deux décennies plus tard.

Et ce n’est pas sans conséquence pour le soldat Ferracci : « Tu te désagrèges un peu plus à chaque balle, à chaque cri. Oui, c’est ça tu te désagrèges… Comme si l’âme de chaque mort te prenait une infime partie de vie, un morceau de peau, jusqu’à te retrouver nu ». S’intercalent des pages sur la géographie de cet espace méditerranéen qui comprendrait Toulon, où il est né, l’Algérie et l’espace corse, d’où vient sa famille ; et qu’il place à la pliure d’une feuille où se situerait, à l’une de ses extrémités l’Algérie, à l’autre la France.

On y parle de la force des mythes littéraires qui déchirent ce passé colonial autant qu’elle tente d’en sublimer la souffrance. On y médite sur la couleur de l’écriture le long d’une page blanche, noire comme le sang oxydé des victimes. Ainsi de la masse des mots s’extrait le texte, qui lui-même s’arrache du silence tapi entre les lettres : « L’espace entre les mots est plus grave que ce qui est imprimé. Comme tout silence, comme en amour. Je crois que c’est cela qu’autrefois on appelait fantômes ».

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