L’Actualité du Roman : Ce que Majella n’aimait pas


Elle est irlandaise et habite non loin de la délimitation entre l’Ulster et l’État libre d’Irlande, dans un village au nom imprononçable (pour nous autres continentaux de France), Aghybogey...

Couverture du livre : Ce que n'aimait pas MajellaGallimard

Michelle Gallen : Ce que Majella n’aimait pas (Big girl, little city-2020 traduit par Carine Chichereau)- Collection Littérature étrangère/Joëlle Losfeld, Gallimard - 353 pages-24 €

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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 06/12/2023 PAR Bernard Daguerre

Majella, c’est son prénom sur l’origine duquel, petite, elle devait rendre des comptes à sa maîtresse d’école et donc en avait demandé à ses parents. Le résultat ne l’avait guère satisfait : c’était un prénom autant masculin que féminin avait expliqué son père, embarrassé. L’un des nombreux mystères de sa vie qu’elle n’avait pas éclaircis, en somme. Car elle n’arrive pas à en élucider d’autres, a priori d’une plus grande importance : la disparition de son père, peu après le décès de son frère, il y a longtemps déjà ; la mort de son oncle dans la manipulation d’une bombe et l’assassinat de sa grand-mère, tragédie par laquelle débute le roman. C’est que nous sommes en Irlande du Nord, quelques années après la fin de la guerre civile.

Mais ce n’est pas cela, l’ordinaire de l’existence de Majella. C’est plutôt son travail et les relations quotidiennes avec sa mère alcoolique, le plus souvent fourrée devant sa télé, quand elle ne se dégotte pas un poivrot qu’elle amène à la maison et que Majella doit ensuite évacuer avec pertes et fracas. Quant à son boulot dans une gargote du coin à l’enseigne alléchante « Salé, Pané, Frit ! -Fast food traditionnel », le décor n’en est pas terrible : les murs sont bleu pâle, avec des poissons peints au pochoir en rose fluo « Avec les néons, le soir où Majella était fatiguée, elle avait l’impression de nager avec les poissons ». Mais peu lui importe au fond : elle aime son travail et l’accomplit avec une grande conscience professionnelle, depuis neuf ans – elle en a vingt-sept. Elle porte une combinaison vert clair qui la serre un peu, car Marjella est forte, mais ça ne lui soucie guère. Côté cœur, il lui arrive de connaître son partenaire de travail, comme ça, en camarade, dans les réserves de la boutique. Et le dimanche soir, après un nombre respectable de pintes au pub, de passer un peu de temps avec une connaissance de bar sur la banquette arrière de sa voiture.

Une héroïne qui tient bien la barre de la fiction

En jeune femme méthodique, elle tient à faire la liste des choses qu’elle déteste et celles qu’elle aime. Ce grand livre des actifs et des passifs qui séquence ses jours constitue l’ordinaire du récit. Cette structuration la tient bien, elle qui est sujette depuis l’enfance à des gestes irrépressibles, claquer des doigts, se balancer, ce qu’elle a appris à maîtriser et à cacher soigneusement à son entourage. Les actes essentiels de sa vie courante sont ainsi détaillés dans un récit pourtant formidablement attachant. Elle ne dissimule pas seulement ses tics de comportement ; elle garde aussi pour elle l’analyse fine, le regard acéré mais plutôt empathique qu’elle porte sur son entourage, dans cette petite ville en totale déshérence : « Majella aimait que les choses soient claires. Mais à Aghybogey, rien n’était clair. C’était une ville où on ne pouvait se cacher nulle part, aussi les gens planquaient leurs secrets au grand jour. »  Et les rares fois où elle manifeste son sens de la répartie, elle sait faire mouche, même si souvent c’est en des termes que la décence pourrait réprouver. Entre l’amour perdu pour son père et celui, ravivé par son décès, pour sa grand-mère, en même temps que son combat pour assurer malgré tout, Majella tient bien la barre de la fiction. La teinte délicatement humoristique de son quotidien souvent pesant, les relations tendues et détachées à la fois avec sa mère, les rages maitrisées de son comportement évoquent comme un écho de fiction avec Ignatius, le personnage du roman culte La conjuration des imbéciles (John Kennedy Toole 10/18) : la même bizarrerie fondamentale d’une vie difficile intensément vécue et magnifiquement racontée.

Infos pratiques !

Ce que Majella n’aimait pas (Big girl, little city – 2020 traduit par Carine Chichereau)- 352 pages – 24 € – Janvier 2023- Collection Littérature étrangère/Joëlle Losfeld, Gallimard

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