La basilique Saint-Seurin veut renaître


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La basilique Saint-Seurin veut renaître

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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 14/06/2019 PAR Romain Béteille

Le 12 juin dernier, le Loto du Patrimoine a désigné officiellement la liste des monuments sélectionnés pour son édition 2019. Au total, 121 monuments vont donc bénéficier d’une aide financière pour leur restauration (sur 1300 candidatures) dont 13 en Nouvelle-Aquitaine. Celui dont nous allons parler ici ne fait ni partie des heureux lauréats de 2019, ni d’ailleurs de ceux de 2018. Pourtant, il a son importance car il est l’un des plus anciens de la ville de Bordeaux. On le situe aux environs du Vème siècle. En juin dernier, il a été frappé par un incendie. La bibliothèque, datant de 1734 et classée aux bâtiments historiques, a été particulièrement touchée, tout comme la sacristie. Un an après cet épisode, la basilique Saint-Seurin se remet encore très doucement de cet évènement. Ce jeudi, l’association des Amis de la Basilique ont inauguré une statue de Saint-Seurin en bois, librement inspirée de la statue en pierre hébergée au sein du musée d’Aquitaine. « L’idée a germé il y a environ un an et demie », confie Luc Bonin, président de l’association. « On a constaté qu’il n’y avait pas de statue de Saint-Seurin dans la basilique, il n’y a que son tombeau sous l’autel. La véritable statue en pierre est au Musée d’Aquitaine, elle a été enlevée mais il lui manque beaucoup d’attributs. On a travaillé avec un groupe de chercheurs du CNRS pour retrouver les bons attributs, on a sélectionné des artisans en Anjou pour la partie sculpture et polychromie. Elle a mis à peu près un an à être construite ». Le résultat, les visiteurs vont pouvoir l’admirer à loisir. Mais il faut qu’ils sachent que cette statue n’est que la première étape d’un renouveau attendu pour 2028, année du trentième anniversaire de l’inscription du bâtiment au patrimoine de l’Unesco. 

Le patrimoine chevillé au corps

Un an après avoir été incendiée, la sacristie de la basilique Saint-Seurin a encore du chemin à faire avant de retrouver un semblant d’allure. Ca sent encore la fumée, et la pièce a toujours des allures de sinistre, portant les stigmates d’un feu dont la suie a su faire des ravages. Le frère Jean-Clément Guez, entouré des pièces de métal et des chasubles entreposés là au milieu des cartons et des câbles pendants, donne quelques précisions. À la suite de l’incendie, l’association a lancé une campagne de dons par le biais de la plateforme Hello Asso. On a reçu environ 40 000 euros de dons tout de suite, d’autres dons sont arrivés ensuite. Au niveau du sinistre, on a un chiffrage global : il y en a pour un peu plus de 600 000 euros. Il y a 120 000 euros de dégâts que la paroisse a décidé de prendre en charge, le reste étant à la charge de la ville de Bordeaux. L’assurance ne va pas tout couvrir, les dons sont donc là pour permettre que ce qui soit fait soit mieux fait qu’avant. Il va y avoir de l’éclairage, du mobilier à refaire, c’est là que vont servir les dons que nous avons récoltés et que nous continuons à recevoir aujourd’hui ». En enveloppe globale, ce dernier estime d’ailleurs la totalité des dons effectués depuis l’incendie à environ 60 000 euros. « Ils viennent de bordelais attachés au monument, de paroissiens, de gens du quartier ou même de gens extérieurs à Bordeaux ». 

Basilique Saint-Seurin

Une petite partie demeure donc au sein de la sacristie endommagée, mais où est le reste ? « Le matériel qui a été abîmé pendant l’incendie est en partie stocké chez des artisans. Les boiseries sont chez un menuisier, l’orfèvrerie dans un atelier en dehors de Bordeaux. Ce qui devrait déclencher les choses, c’est la fin du traitement administratif du dossier et les expertises », affirme Jean-Clément Guez. C’est qu’entre temps, un autre incendie, bien plus important et emblématique, a frappé la ville de Paris le 15 avril dernier. Au moment de savoir si l’incendie qui a touché Notre-Dame de Paris a impacté Saint-Seurin, Jean-Clément Guez est lucide sans être tendre. « Il y a un véritable effet de l’incendie de Notre-Dame de Paris sur le patrimoine en général. Le patrimoine ne vote pas, ne manifeste pas. Quand des collectivités choisissent volontairement de mettre des crédits insuffisants pour l’entretenir, les effets sont visibles vingt ou trente ans plus tard. Aujourd’hui, l’effet de Notre Dame nous permet de crier « ca suffit ». La France est en train de voir une partie de son patrimoine détérioré, nous avons des entreprises qui ont une réputation internationale et n’ont pas les moyens de travailler en France parce qu’on va réparer par petits bouts. Nos métiers sont en train de crever, et les entreprises qui vont avec aussi. Nous sommes en train de perdre, par irresponsabilité, tout le savoir-faire de ces gens qui sont des champions mondiaux de la restauration et de la valorisation du patrimoine. C’est quand même fou de se dire qu’il y a quelques mois, j’accueillais un étudiant chinois dans la crypte qui venait voir comment elle était restaurée et vivable aujourd’hui. Nous qui vivons au contact de cette sacristie et de cette crypte, on s’en fout ». Les effets de ce drame sur les dons à l’association ont, cependant, été plutôt mesurés, et ce pour une raison simple. « Nous avons fait le choix de ne pas communiquer suite au choc qu’à constitué l’incendie de Notre-Dame. On est un monument important sur Bordeaux, c’est vrai, mais il ne faut pas se prendre pour ce que l’on n’est pas, même si Saint-Seurin est plus ancien puisqu’il concentre plus de 1400 ans d’Histoire. Nous avons un patrimoine au plus proche de chez nous, à nous de le faire vivre, c’est ce qu’on essaie de faire avec l’association ». 

Combat temporel

Comment, alors, parler d’un « effet Notre-Dame » ? Assez simplement, en fait. « Désormais, on peut aller frapper à la porte d’un élu et lui dire qu’il pleut à l’intérieur du bâtiment, que le grand orgue tombe en rade, que les contacteurs électriques des années 60 vont prendre feu. On se sent plus forts, d’autant plus que la mobilisation des français autour de Notre-Dame, forte mais aussi symbolique, montre qu’on est attachés à des pierres qui racontent notre Histoire, indépendamment de la foi. Je ne me bats pas pour que la sacristie soit belle et que je sois tranquille quand je suis dedans. Je me bats pour que dans deux ou trois générations, ces pierres soient toujours là ». Espérons qu’il ne faille pas attendre si longtemps pour une restauration éventuelle.  « Le calendrier est entre les mains du propriétaire qui est la Ville de Bordeaux », affirme Jean-Clément Guez. « Normalement, les travaux de maçonnerie à l’intérieur de la sacristie devraient commencer en septembre. Reste à savoir combien de temps ils vont durer, ça on ne le sait pas trop. Ensuite, il y aura le bois et l’électricité. Avec l’association et la paroisse, on se tient aux côtés de la municipalité pour faire en sorte que ce qui est fait soit mieux fait en apportant des dons et de la compétence ». 

Basilique Saint-Seurin

L’association n’a en tout cas pas attendu la mairie pour enclencher une grande phase de réflexion pour moderniser le parcours du bâtiment. C’est dans cette optique là qu’elle a créé un projet « Saint-Seurin 2028 ». « L’association vient élargir le rayonnement de la basilique en affirmant sa dimension historique et culturelle et en essayant de la valoriser. C’est une ambassadrice mais aussi un laboratoire de créativité, on n’est pas là que pour restaurer. En 2019, on a donné des heures de travail à des artisans qui ont accepté parce que le propos les intéresse. Si vous demandez à des politiques quel est leur plan patrimoine pour cinq à dix ans, personne ne vous répondra. Il n’y a pas de possibilité de penser une politique au-delà d’un mandat. C’est pour ça qu’on est là, au plus proche du monument. On essaie de voir à plus long terme pour identifier ses besoins », poursuit Jean-Clément Guez. 

Ambition 2028

Ce « plan 2028 », c’est Luc Bonnin qui nous le détaille, avec ses mots. L’association, créée en 2014, a également pour but d’enrichir l’édifice avec des créations contemporaines, comme elle l’a déjà fait pour la statue en bois de Saint-Seurin et la réouverture de la crypte en 2015, intégralement financée par la mairie de Bordeaux. Les projets et les ambitions, à entendre le responsable, ne manquent pas. « On est en train de travailler sur un plan lumière dont l’objectif est de créer l’éclairage architectural, culturel et liturgique de la basilique. Aujourd’hui, les 50 000 visiteurs qui viennent chaque année tombent, surtout en hiver en pleine journée, dans un grand trou noir. L’enjeu, c’est de mettre en valeur le bâtiment et de l’histoire qui nous raconte. On étudie aussi les différents scénarios d’usage du lieu, la lumière ne va pas être la même en fonction des moments. On a déjà commencé à lever des fonds en organisant le premier escape game dans une basilique en France, en octobre et en décembre dernier. On a fait venir des entreprises, ce qui a permis de récolter les premiers dons ».

Les besoins financiers sont réels face au coût des projets de modernisation : 38 000 euros pour la statue et environ 200 000 pour le « plan lumière », sans compter la suite. « On réfléchit à un parcours de visite innovant sur les pas des premiers chrétiens. On va inviter les visiteurs à se questionner plutôt qu’à lire de simples panneaux, ce sera plus interactif. On peut imaginer une dynamique de lumières en téléchargeant une application avec son smartphone, par exemple. On ne veut pas maintenir les vieilles pierres, on est dans une démarche de modernité et de création vivante. L’un de nos projets les plus ambitieux serait se recréer le cloître de Saint-Seurin qui est aujourd’hui une cour dans laquelle les enfants jouent au basket. On pourrait imaginer un chantier-école pour le reconstruire. Ça permettrait de faire de cet édifice un lieu vivant. On essaie de s’inspirer de ce qui avait été mis en place pour Notre-Dame à la fin du quinquennat de François Hollande, avec cet équilibre entre argent privé et public ». Un euro d’argent privé = un euro d’argent public. Interrogé sur la question, Luc Bonnin affirme que la mairie est, sur le principe, assez largement favorable. Même si elle ne fait pas partie du grand « loto du patrimoine », la basilique Saint-Seurin a donc une carte à jouer. 

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