Mois du Festival International du Film Indépendant de Bordeaux oblige, c’est donc à l’image qu’o2radio a choisi de s’intéresser pour cette nouvelle édition des 4 Médias ; une émission rassemblant autour de la radio cenonnaise, le site d’info régional Aqui.fr, le magazine de la rive droite l’Echo des Collines et le Blog d’Aïcha Chapelard, journaliste indépendante.
Reportage de terrain, documentaire ou pure fiction, l’image et plus particulièrement la vidéo, représente il est vrai, aujourd’hui, un mode de communication incontournable, permettant, comme aucun autre média, de restituer avec justesse la force des événements qui impactent la vie. Diffusé à l’occasion du FIFIB 2019, « Bulles d’air », court métrage signé Daouda Diakhaté, jeune réalisateur pessacais, en atteste. « Le film raconte l’histoire d’Omar, un jeune homme qui sort d’un long séjour en Hôpital Psychiatrique et qui, malgré l’aide de ses amis et de sa famille, finit par se suicider. C’est tiré d’un fait réel. Omar, je l’ai connu. J’ai grandi avec sa sœur », explique avec émotion Siham El Fahem, jeune comédienne qui a participé au tournage et également joué dans « Ramdam », du réalisateur bordelais Zangro. Un film qui évoque les nombreuses péripéties qui agitent une mosquée. « L’objectif était de dédramatiser l’Islam, précise Nouria Ferhati, également comédienne sur ce tournage », rappelant au passage, l’importance de ce cinéma-témoignage où apparaissent des gens du quotidien ; le réalisateur ayant fait le choix de ne pas prendre d’acteurs professionnels mais des gens sur le terrain et les seconds rôles ayant même été recrutés dans des lieux de prière. Un point de vue que partage Siham El Fahem : « C’est dur d’entendre des choses tous les jours à la radio ou la télévision sur la religion. Zangro nous a mis en avant avec un ton humoristique et démystifié. On a porté un message fort car le film a largement été diffusé et primé. J’en suis fière », poursuit-elle.
L’image à l’épreuve des faits
Un cinéma qu’Alexis Moreau qualifie de « thérapeutique », de libérateur…. Réalisateur ancré dans la réalité crue des affrontements sociétaux, il filme depuis plus de dix ans, les grands mouvements sociaux qui secouent le pays.
Un choix revendiqué. « En tant que réalisateur ayant travaillé au sein des systèmes broadcast de la TV -qui formatent beaucoup-, j’avais envie de prendre un angle différent, plus en lien avec mes premières amours de fac : le travail sur la sociologie et l’ethnologie contemporaine. D’où cette façon de tourner, un peu incongrue », précise ce professionnel qui, depuis 2008, a couvert tous les événements qui ont fait date : gréves, mouvements liées aux retraites, à la PMA, les mouvements LGBT…
« Tout comme Frederick Wiseman qui adopte une approche sociologique, il me semble que les films les plus intéressants sont ceux qui ne comportent ni propos, ni commentaire de l’auteur. Je fais oublier la caméra. Mon but est d’être un témoin. Je laisse les images et les propos parler d’eux-mêmes », précise-t-il, appréciant ainsi de laisser au spectateur la possibilité d’analyser et de se faire une idée par lui-même ; ces sujets étant « inscrits en chacun ». Un véritable « work in progress » qui témoigne des évolutions et parfois des dérives de la société mais qui, question de forme ou de fond et de l’avis même du réalisateur, n’a pas sa place dans un média classique. Des médias dont la finalité première est pourtant de rendre compte des faits. Alors, à une époque où les journalistes sont de plus en plus décriés, que reste-t-il aujourd’hui du rôle qui leur était dévolu? Une question qui amène aussi, par extension, à s’interroger sur l’évolution de ce métier.
Le journalisme : un métier au service de la parole citoyenne ?
Journaliste indépendante depuis plusieurs années, Anne-Sophie Novel a déjà eu l’occasion de mesurer la défiance dont fait l’objet la profession. « Globalement, je me suis rendue compte que c’était le fonctionnement même des médias qui posait problème. Il est primordial de nous emparer de notre hygiène informationnelle », précise-t-elle.
Un constat qui l’amène à se positionner en tant qu’observatrice et à réaliser « Les médias, le monde et moi »(1), film dont l’objet est précisément de trouver l’origine du problème. « Ce travail a demandé cinq ans et au moment du montage, en novembre dernier, les premières manifs des Gilets Jaunes ont éclaté et des journalistes ont été agressés. La violence est vraiment sortie des écrans. Je trouvais ça symbolique; et ce d’autant plus que ces faits n’ont pas été condamnés par tout le monde », poursuit-elle.
Fort de plusieurs récompenses, le film est diffusé dans les festivals et les écoles de journalisme, mais pas à la TV française (« alors que les belges l’ont immédiatement pris ! »).
La cause ? « Il semble compliqué de parler de journalisme à la télévision française et ce média prend peu de projets clé en main », note l’auteur qui précise que cela force aussi à être plus proche du public, à être innovant, créatif, à faire différemment. « A une heure où tout le monde fait de l’info, on doit apprendre à se poser d’autres questions et à revoir notre rôle de journaliste. Il ne s’agit plus seulement d’éclairer le présent mais d’avoir un rôle de médiateur pour éclairer l’avenir. Pour moi, c’est renouer un socle de valeurs, de la confiance autour de choses très affirmées mais qui permettent de savoir d’où on part et comment. On peut s’obliger à être le plus neutre possible mais c’est aussi une posture que de dire qu’on a une opinion, qu’on vient d’un milieu social ou culturel donné », concède-t-elle, avant de préciser qu’amener à réfléchir plutôt que d’imposer une idée devrait être la finalité du journalisme de demain. L’auteur rappelant au passage l’importance de l’engagement vis à vis du public, le fait d’échanger avec lui, comme dans les médias participatifs ou collaboratifs : « Un média, c’est aussi un lien, un outil. Le format n’a pas vraiment d’importance. Tout est dans la façon de mener une enquête, dans la façon d’impliquer les gens ».
Un ton décalé qu’elle adopte notamment pour créer la revue Far West : « L’idée était de proposer une info locale un peu différente des grands médias qu’on connaît ici. Quelque chose à mi-chemin entre la Revue XXI qui prend le temps long, l’utilisation de la vidéo et Médiapart qui va investiguer. L’objectif étant d’avoir cette approche éditoriale en pariant sur le fait qu’il n’y aurait pas de pub et qu’on obtiendrait le soutien du public. Le fait de mener l’enquête autour d’un documentaire et en même temps de créer un média local nous a permis de nourrir de nombreuses réflexions, mais aussi de réaliser que ce n’était pas facile et qu’il fallait s’accrocher ». Certains journalistes n’hésitant pas non plus à sauter le pas en passant à la fiction pour raconter une histoire.
Évoquant « Bulles d’air » et « Ramdam », Anne-Sophie Novel reconnaît, pour sa part, être persuadée de l’impact du fictionnel pour transmettre des messages forts : « ça passe (aussi) par des romanciers, des artistes et des professions autres que journaliste pour expliquer le monde qui vient ».
Faut-il pour autant en déduire que le journalisme de terrain n’a plus d’utilité ? « On est dans un monde très consumériste où les jeunes, avec le web, n’ont pas assez d’esprit d’analyse. Les journalistes sont importants. Ils portent la voix de toutes les personnes qui sont perdues dans ce monde de consommation à outrance, pour qu’on ne devienne pas de purs produits de cette consommation », conclut Alexis Moreau.
(1)A noter également un livre et une web série réalisée avec l’INA récemment diffusée.