Interview: Chantal Séguillon, responsable de la nouvelle mission régionale viticulture, veut bâtir un véritable plan d’action


Simon Cassol

Interview: Chantal Séguillon, responsable de la nouvelle mission régionale viticulture, veut bâtir un véritable plan d'action

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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 18/05/2010 PAR Solène MÉRIC

@qui! : Pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte est née cette Mission Vin, et avec quelles motivations ?
Chantal Séguillon :
Alain Rousset qui m’a confié la responsabilité de cette mission, met l’accent sur le besoin de proximité de cette filière viticole. Avec ses moyens, la Région peut répondre aux préoccupations des viticulteurs à travers un accompagnement vers une mutation inévitable, un renfort de moyens pour restructurer la filière, pour les jeunes désireux de s’implanter… Et ce n’est pas nouveau: cette motivation de la Région à agir pour la viticulture d’Aquitaine était déjà présente avant les élections régionales. Puis, pendant la campagne, Alain Rousset et son équipe électorale, à laquelle j’appartenais, sont allés sur le terrain, prendre le pouls économique de la viticulture régionale. Nous en sommes ressortis assez inquiets de voir que la situation est dans une impasse qu’il n’existe pas de stratégie à court terme ni de vision, de lisibilité pour demain. De ce constat est née la mission : mettre tous les acteurs autour d’une table ; « une grand messe » vitivinicole rassemblant les viticulteurs mais aussi, le CIVB, les chambres consulaires, l’enseignement, la recherche, l’innovation, les grandes surfaces, les consommateurs, etc…. C’est seulement à partir de cette réflexion commune que nous pourrons mettre les moyens en place. Un vrai plan d’actions concret destiné à retrouver le consommateur et le faire adhérer à l’offre Bordeaux Aquitaine. Parce qu’après tout, que risque-t-on à chausser des lunettes, excepté d’être aveuglée par la réalité ?

@! : Quels vont être les objectifs et méthodes de travail de cette mission ?
C.S. :
Aujourd’hui Bordeaux est un vin AOC, qui répond à un véritable label, avec qui plus est un millésime 2009 magnifique… Alors, pourquoi Bordeaux reste à quai ? Ce sera à la mission de le découvrir, et d’être force de proposition pour que ce ne soit plus le cas. Il nous faudra établir un constat objectif du positionnement actuel des vins de Bordeaux et de leurs évolutions prévisibles, à court et moyen terme, en recueillant une analyse de terrain des responsables.
Beaucoup de questions doivent trouver réponses : est-ce que ce produit correspond toujours aux consommateurs ? L’image de Bordeaux a-t-elle changé depuis ces dernières années ? Avec un prix au tonneau (900 litres) de 600 à 800 €, Bordeaux est en « chute libre » en sortie chai et en valeur, pourquoi ?…Et qu’on ne mette pas ça sur le seul dos de la crise. Le vin de Bordeaux a commencé à perdre des marchés après 2000, c’est-à-dire bien avant la crise. Autres questions, vers le consommateur cette fois : quelles sont ses attentes ? Comment « redonner » l’envie aux consommateurs de choisir Bordeaux ? Qu’est-ce qui fait que demain il choisira un Bordeaux plutôt qu’un autre ? Si l’on excépte les grands crus, est-ce un manque de communication sur Bordeaux, un manque de lisibilité du produit ? Ce qui est sûr, ce n’est pas le prix qui fait que Bordeaux reste à quai. On le voit sur le terrain, le consommateur est prêt à payer plus, et paradoxalement les ventes ne se font pas.

Un coeur de gamme identifiable par le cépage

@! : Les questions étant clairement posées, et nombreuses, quelles sont les premières pistes à explorer ?
C.S. :
Il ne faut pas craindre une réelle remise en question. Une définition du goût Bordeaux s’impose, mais il faudra savoir intégrer des variantes. J’ai fait hurler le CIVB lorsque j’ai dit que Bordeaux était « has been »… et pourtant j’ai bien quelques exemples en tête. On n’a pas su s’adapter à la demande, notamment sur l’étiquette et la communication. Déjà, dans les années 80 les pays de l’UE étaient tous en demande de nom de cépages sur l’étiquette. Or il n’y a pas eu de réponse, ou alors négative, de nos instances ; et nous avons perdu rapidement des marchés, du fait de cette non identification du cépage ! Ce qu’il faudrait c’est un cœur de gamme de Bordeaux qui réponde à cette demande, qui soit tout de suite identifiable par la couleur et le cépage. Les marchés du nouveau monde l’ont bien compris eux… Sur les marchés extérieurs, le consommateur achète un nom de cépage, il boit du merlot, du cabernet, du sauvignon. Bref, il déguste un cépage, il commande un cépage…

Donner de l’âme à la bouteille

En outre, sur ces marchés l’étiquette renseigne et accroche par un symbole qui signale bien souvent une histoire en rapport avec le domaine : le chien de la maison, l’arbre que la tempête vient d’arracher… Et ça marche parce que ce détail donne de l’âme à la bouteille. Mais ce n’est pas encore dans « l’esprit Bordeaux » tout cela ! L’interprofession reste figée sur des notes de « traditionalisme », on peut se demander pourquoi d’ailleurs… Les vins de Château au nom prestigieux n’ont pas besoin de marque, car bien souvent ils l’ont : Margaux est une marque, comme Pomerol, Saint-Emilion… Mais pour tous les autres, qui n’ont pas ce « prestige », faut-il faire semblant de ne pas voir… ou bien ont-ils déjà disparu du décor ? L’Etat se fait fort de montrer que les agriculteurs sont des assistés et qu’il leur donne assez de subventions… Mais ce n’est pas ce que veulent ces agriculteurs; eux ils veulent vivre de leur travail. Il faut désormais savoir le mettre en valeur.

@! : Pourquoi cette mission est-elle si importante pour vous qui travaillez, justement, sur une exploitation en Saint-Emilion ? N’avez-vous pas peur des critiques ?
C.S. : Sur ma situation, il faut que les choses soient claires. En fait, je suis en phase avec tous les viticulteurs qui ne sont pas des grands crus classés parce que je suis dans une situation semblable à la leur. Je ne suis pas riche. Sur « mon » exploitation, je paie un fermage, je fais tout moi-même. Pour compléter, j’ai 1 ha32 de Bordeaux dont la moitié appartient encore à la banque. Je suis au carrefour des « sans grade » qui n’ont pas de marque, je peux dire que je sais de quoi je parle.
Quant à l’importance de la mission… Le vin, est une culture ancestrale et dont on ne peut pas imaginer qu’elle disparaisse au profit d’un outil financier. Il est la seule chose où l’on peut mettre le temps en bouteille. Il est convivial et créateur de lien, et s’adapte à toutes les situations, de la grillade d’été au moment le plus solennel… Mais le vin, c’est aussi tout un pan socio/économique de la région, qui draine des milliers d’emplois. Cette mission doit aussi permettre de faire que la voix des filières monte au niveau européen, car même si on peut régler certaines choses ici, il manque un maillon aussi à l’échelon européen.

Propos recuelllis par Solène Méric 

Photo: Simon Cassol

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