Interview: Alain Rousset : le centralisme de Nicolas Sarkozy est une catastrophe.


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Interview: Alain Rousset : le centralisme de Nicolas Sarkozy est une catastrophe.

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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 01/04/2012 PAR Joël AUBERT

@qui.! –  S’il est un sujet ou le clivage est particulièrement fort entre un certain candidat président et François Hollande c’est certainement celui de la décentralisation. Si alternance politique il y a, en mai et en juin, on comprend qu’il devrait y avoir sur ce terrain une orientation radicalement différente de la politique suivie?…
Alain Rousset – 
Absolument.  C’est une des réformes de fond à engager. En résumé, elle se présente ainsi : comment je mobilise les forces de ce pays, comment j’organise les pouvoirs publics, comment je réponds aux deux préoccupations essentielles des français, l’emploi et le logement? La rupture voulue par François  Hollande est majeure et dépasse les clivages gauche-droite ; c’est une réforme de bon sens et un fabuleux moyen, d’une part d’assurer le redressement industriel et d’économiser l‘argent public et d’autre part de répondre aux deux questions essentielles que j’évoquais à l’instant. En d’autres termes ce qu’ont fait tous les pays européens démocratiques,  rapprocher le pouvoir du citoyen,  savoir qui fait quoi dans l’organisation administrative, dégager les priorités, raccourcir les délais de décision: c’est le discours de Dijon de François Hollande. C’est, je le répète, le bon sens et l’efficacité.

@! – S’agissant de l’industrie, si nous prenons l’exemple de l’annonce récente de l’investissement de Toray à Lacq pour lequel la Région avec les collectivités locales a été en première ligne de bonne heure, au contact de l’investisseur japonais, est-ce que ce dossier aurait abouti si l’Etat, seul, s’en était occupé ?
A.R
. – Mais l’Etat ne s’en est pas occupé !

L’exemple de Toray

@! – Pourtant il réagit, s’en félicite et semble aussi le revendiquer…
A.R
– L’Etat ne peut pas le revendiquer, il n’est pas à la manœuvre. Trois acteurs le sont:  l’acteur industriel Airbus : «  j’utilise les matériaux composites pour fabriquer mon avion » ; Total  «  j’ai besoin de reconvertir le site »; les collectivités territoriales: « Je veux  créer un cluster sur une « Composite Valley » dans le bassin de Lacq avec Toray, Arkema et les entreprises qui vont utiliser demain les matériaux composites. ».
Il ne faut pas reprocher à l’Etat de ne pas être dans le jeu. A la différence de l’Allemagne qui réindustrialise, les collectivités territoriales et singulièrement les régions ont, en France, des moyens bien inférieurs pour accompagner ce type d’ investissement qui aurait pu se localiser, par exemple, en Corée. C’était d’ailleurs le débat à l’intérieur du groupe Toray. Le développement industriel ce sont les PME, les entreprises de taille intermédiaire qui créent de l’emploi, de la valeur, les grands groupes étant aspirés à l’international y compris leurs sous-traitants tandis que si l’on a des entreprises qui disposent de compétences techniques incontournables en France on ancre l’emploi industriel sur nos territoires.

Cette  réflexion nous l’avons aujourd’hui au niveau de la région avec le groupe Turboméca pour essayer de faire en sorte que les 250 millions de sous-traitance dont un tiers seulement retombe sur les régions d’Aquitaine et Midi Pyrénées s’y réalisent. Pour cela il faut que nous ayons des PME plus fortes, plus diversifiées, intégrant des capacités de Recherche et Développement, une capacité d’investissement pour qu’un seul donneur d’ordre ne soit pas seulement une chance mais aussi un risque pour la suite.

@! – Vous parliez de rupture à propos d’une possible meilleure gestion de l’argent public ?
A.R
. – D’une manière très évidente. Et doublement

@! – Ce n’est pas ce que l’on dit, à droite dans la famille politique du candidat président.
A.R. –
Le centralisme de Nicolas Sarkozy est une catastrophe en matière industrielle, en matière sociale, en matière économique, comme si dans une société moderne avec un fort niveau de formation, de recherche de créativité, tout devait dépendre d’un guichet unique parisien qui serait à l’Elysée. C’est organiser un goulet d’étranglement limitant la créativité du pays.
Pourquoi tous les pays  qui ont un  dynamisme, aujourd’hui, rapprochent le lieu de pouvoir des acteurs économiques et sociaux ? L’Allemagne c’est les länder sur le plan  des politiques territoriales de la recherche, de la formation, de  l’accompagnement à l’innovation. L’Italie a un solde du commerce extérieur positif et même malgré les dégâts de Berlusconi elle est, avec ses provinces, efficace sur le plan économique. Et pour ce qui nous concerne nous le sommes sur le plan aéronautique et spatial. Pour une entreprise le fait d’avoir un interlocuteur qui joue dans la durée et mobilise la formation la recherche est décisif. Je viens de signer une convention avec EADS et l’INRIA pour assutrer les retombées sur les PME des anticipations technologiques  d’EADS; je l’ai fait de la même manière avec SNECMA et les moteurs d’avion, avec Arkema sur le bassin de Lacq avec CEVA santé animale à Libourne…

Il y a là, à inventer, ce qui n’existe pas aujourd’hui, un rapport grands groupes, développement technologique, industrialisation et renforcement des PME. C’est comme cela que nous allons créer de l’emploi en France

Tout  cela ne peut être le résultat que d’une volonté politique. D’un territoire qui fait du développement industriel sa priorité, qui mobilise la recherche, la formation des salariés, l’investissement industriel sur un même territoire dans le cadre d’une compétition internationale ; ce qui se passe partout ailleurs et que le centralisme français de Nicolas Sarkozy ruine dans tous les sens du terme.

Savoir qui fait quoi c’est savoir qui on juge

@! – Demain si François Hollande l’emportait  et qu’une nouvelle étape de la décentralisation voyait le jour vous n’échapperez pas à la question de la clarification des compétences. Avec ce que cela implique, la recherche  d’économies à un moment où il faut bien en faire ?
A.R. –
François Hollande, là, a été très clair. Quand on lui pose la question des économies à trouver, il répond que  l’organisation administrative de ce pays est un des éléments pour y parvenir.

Si l’on veut renforcer l’éducation, la sécurité, la justice, les missions régaliennes il faut bien que l’appareil d’Etat se transforme. Or il maintient des fonctionnaires là ou les collectivités territoriales, les régions, les départements ont acquis des compétences. L’absurdité de la situation française tient à ce que dans tous les sens du terme Nicolas Sarkozy a renforcé un système napoléonien. L’Etat est hyper représenté sur le territoire avec des directions de services extérieurs, des sous-préfectures, des préfectures dont une partie du travail doublonne avec la fonction des collectivités. Les hommes qui assument ces fonctions ne sont pas en cause ; ce qui l’est c’est une mauvaise utilisation de l’argent public.

@! – Je reviens à ma question sur les compétences : n’y a t-il pas lieu de poser la question de la clarification des compétences entre départements régions et intercommunalité?
A.R. – 
Sûrement. Le PS a débattu à l’intérieur de lui-même. François Hollande a tranché… Une position aurait été de dire nous n’avons pas besoin de  préciser la répartition des compétences. Laissons à des conférences territoriales le soin de le faire. Sa réponse c’est: je veux une décentralisation à la française,  dédier chaque collectivité  à une tâche spécifique et donc clarifier la relation des électeurs mais aussi des usagers de l’action publique avec les élus, les pouvoirs. Savoir qui fait quoi, c’est savoir qui on juge

Jusque là, nous avons un système ou il y a tellement de décideurs autour de la table que tout le monde attend l’autre et que personne n’est responsable. La décentralisation pour François Hollande, c’est la responsabilisation. La responsabilité.

Le chômeur est un nomade et son parcours est celui du combattant

@! – C’est on l’imagine en cas de victoire de la gauche un chantier à lancer rapidement…
A. R. – 
A mettre dans les lois qui la suivent, qui se situent de façon cohérente, quasiment filiales avec les premières loi de décentralisation de Gaston Defferre, de Pierre Mauroy et de François Mitterrand. Celles de 1982. Un premier bloc : la Région chargée des investissements d’avenir, de l’innovation, de la formation, de la recherche du redressement industriel du développement économique, agriculture comprise. De l’aménagement du territoire. Je n’enlève pas à l’Etat le rôle de stratège qu’il doit avoir mais on ne peut faire de politique industrielle qu’en étant immergé sur le territoire. 

Au département, ensuite, revient la solidarité. Le département est intimement lié au bloc communal et intercommunal. Aux  communes et à l’intercommunalité, les services publics quotidiens. Ce qui existe en Espagne et en Allemagne, c’est cela en quelque sorte. Certes la différence entre ces pays c’est que dans les années 60 sont intervenues des fusions de commune.  Et que le nombre de communes françaises est égal au nombre des communes européennes…Mais, chez nous, c’est un facteur d’équilibre. Aujourd’hui, s’il n’y avait pas le réseau communal, le vivre ensemble dans ce pays serait mis en cause.

L’Acte II de la décentralisation a été un acte départemental. Le nouvel acte de décentralisation doit être un acte régional. Avec ses ressources propres. Cela suppose d’aller très loin; dans le domaine de l’emploi, du service public de l’emploi il n’y a pas de pilote dans l’avion. Le chômeur de Pessac ou de Talence ne sait pas qu’il y a des postes à pourvoir dans le Bassin de Lacq, dans le sud de l’Aquitaine : il n’ y a pas de connaissance régionale mais un système qui se met en place sur internet, à côté de Pôle Emploi. Il ya une dispersion et quelques 170 organismes : le chômeur est un nomade et son parcours est un parcours du combattant. Les entreprises ne trouvent pas, en face, les personnes à recruter. C’est un gâchis : le fait de confier à la Région le service public de l’emploi  auquel il faut ajouter l’orientation et la formation est un élément stratégique de modernisation, de réponse économique et sociale.

Propos recueillis par joël Aubert

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