Ford Blanquefort : entre colère et inquiétudes


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Ford Blanquefort : entre colère et inquiétudes

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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 17/12/2018 PAR Romain Béteille

Appel de rigueur

« Depuis longtemps, on voit l’issue. Jusqu’au dernier moment, tant que la croix n’est pas faite, il y a encore une petite lueur d’espoir même si, au fond, on sait que le messe est dite ». Ces mots, on les doit ce lundi 17 décembre à Christine Bost, maire d’Eysines et vice-présidente du Conseil départemental de la Gironde, avant une séance plénière de décembre actant le vote d’un budget primitif départemental au contexte dénoncé par la majorité socialiste. Ils ont été prononcés dans le contexte, appris vendredi dernier, de la volonté exprimée de Ford Europe de se désengager de son usine de Blanquefort et des 850 salariés qui y sont rattachés, au travers d’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi qui sera conclu le 18 décembre, après plusieurs mois de négociations au cours desquelles l’entreprise belge Punch Powerglide s’était portée candidate à la reprise du site.

Depuis plusieurs jours, les mots des responsables politiques, locaux comme nationaux, sont unanimes (à tel point que le ministre de l’Economie (LR) Bruno Le Maire a défendu la bonne foi du salarié et ancien candidat NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) aux présidentielles, Philippe Poutou. Dans une tribune commune, le maire de Bordeaux Alain Juppé, le président de la région Nouvelle-Aquitaine Alain Rousset, le président du Conseil départemental Jean-Luc Gleyze et la maire de Blanquefort Véronique Fereira, en plus du remboursement des subventions versées par les différentes collectivités (23,5 millions d’euros chômage partiel inclus) à Ford en 2011, en contrepartie d’un engagement du maintien de 1000 emplois sur le site, ont également prié le législateur de « durcir les obligations légales pour faciliter les conditions de reprise lorsqu’un repreneur sérieux se déclare ». Ils ont insisté pour que les services de l’Etat  soient « rigoureux » dans la vérification des mesures de reclassement faites par Ford dans le cadre de son PSE.

Le logo de la honte

Ce lundi au département, la gueule de bois a laissé place à la colère. La maire de Blanquefort, accompagné de Jean-Michel Caille, 59 ans, représentant de l’intersyndicale et leader du syndicat des cadres CFE/CGC, et de plusieurs salariés de Ford, ont répondu à l’invitation de l’hémicyle départemental pour s’exprimer sur le couperet tombé ce vendredi. Et autant dire que ces dernier n’ont pas mâché leurs mots, sur fond du logo Ford caché par le mot « honte » affiché en grand sur les rétroprojecteurs de la salle. Nous sommes là pour témoigner de notre rancoeur, notre amertume face à cette situation. Cela fait déjà 40 ans que je travaille chez Ford, je n’ai jamais connu des gens aussi malhonnêtes que ceux qui président actuellement l’entreprise. Depuis 2013, Ford, de par des documents qu’on a pu récupérer, a préparé son départ. Ils ont fait un petit fascicule pour mettre en garde sur ce qu’il fallait ou non faire dans le cas d’une séparation d’entreprise en Europe et ont respecté scrupuleusement ce qu’ils ont marqué à l’intérieur. Quand ils ont annoncé une recherche de repreneur avec un PSE, ils savaient très bien où ils allaient en venir : semer le doute dans la tête des salariés ».

« En intersyndicale, il a fallu qu’on puisse faire comprendre aux gens que le chèque, c’était une chose mais l’avenir n’était pas basé là-dessus. Il fallait encore faire une vingtaine d’années derrière et beaucoup de gens n’étaient pas conscients de cette chose là. On a essayé de faire un travail de fond là-dessus, mais on est arrivés à la fin avec le PSE qui était, dans le discours de Ford, la meilleure solution. On dénonce ça encore aujourd’hui. On a encore un petit espoir et on va se focaliser là-dessus. Il y a un repreneur reconnu par l’Etat, reconnu par notre cabinet d’expert et par nous-mêmes en intersyndicale. On a signé un document autorisant un gel des salaires, des jours de RTT en moins, parce qu’on était quasiment convaincus qu’il y avait une solution d’avenir pour ce site », a ainsi souligné cet employé de Ford, dont le père avait été embauché à l’ouverture de l’usine, en 1972. « Cette entreprise était capable de reprendre 400 salariés, de maintenir le salaire actuel, nous amener de nouveaux produits et, peut-être, de nous garantir cinq à dix ans de plus. Ca a été balayé par la décision d’une multinationale qui n’a que faire du côté moral des salariés. On est dans une situation où on a, d’un côté, des salariés qui se retrouvent réconfortés par le fait qu’ils savent désormais où ils vont. En même temps c’est très pénible parce qu’on sait que l’on passe à côté de quelque chose puisqu’on avait le soutien de tout le monde. C’est une société qui n’a eu aucun scrupule, qui nous a lourdés, balancés comme du bétail ».

Véronique Ferreira ne s’est pas montrée plus tendre, loin s’en faut. L’élue socialiste, maire de Blanquefort depuis 2012, a pour sa part qualifié les dirigeants de Ford de « menteurs. En novembre 2017 encore, lors d’un comité de suivi, ils nous expliquaient que Blanquefort était un centre d’excellence (…) On sent un espèce de rouleau-compresseur qui n’a qu’un seul objectif : celui de partir, et qui lamine totalement sur son passage toutes les propositions qui ont pu être faites. Nous avons pu observer systématiquement, pendant les comités de suivi, des propositions pour l’augmentation des volumes de production, de nouvelles productions qui pouvaient se faire sur le site. Tout cela venait systématiquement des organisations syndicales et jamais de la direction ». Lors de cette tribune de quelques minutes qui lui était offerte en amont de la séance, elle a autant dénoncé le fond que la manière dont le PSE a été conclu. « Depuis mars 2018, nous n’avons plus revu les dirigeants de Ford Europe. Ni les élus ni les salariés. Jeudi dernier, ça s’est passé comme d’habitude : la direction de Ford a écrit un petit discours d’une page qu’ils ont fait lire par une tierce personne ».

Avenir incertain

Derrière ces discours vindicatifs, un relatif flou demeure, d’autant plus que la stratégie de Ford semble vouloir confirmer un retrait européen. Et pour l’entreprise Getrag Ford Transmission, qui se trouve juste à côté de l’usine de Blanquefort, l’avenir de 1000 salariés pourrait également se trouver sur la balance. Avant-même que la « saga Ford » ne soit « bouclée », l’inquiétude grandit chez les élus locaux. « Même si le pourcentage d’espoirs est extraordinairement faible, je crois qu’il faut continuer à dénoncer Ford, parce qu’il va bien falloir qu’ils viennent s’expliquer : aux salariés pour dire ce qui ne leur convient pas et aux pouvoirs publics pourquoi ils ont pris l’argent public pour refuser de parler à Bruno Le Maire. On a un outil industriel qui existe, il est impossible de le laisser en friche industrielle. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu’un bon PSE est mieux qu’une mauvaise reprise parce qu’à ce niveau là, ce sont les emplois d’aujourd’hui que l’on défend mais aussi ceux de demain. Je parle de ceux des emplois directs de l’usine, des emplois induits et de ceux de l’usine d’à côté (GFT), qui a plus de 1000 employés et dont Ford est à la fois actionnaire à 50% (et en joint-venture par le groupe canadien Magna) et l’unique client de ces boîtes manuelles », a rajouté Véronique Ferreira.

Pour Christine Bost, « le devenir du site, malgré tout, se posera. Ford va rester propriétaire du site, que vont-ils en faire, à qui peut-il être cédé, dans quelles conditions ? Sans compter la potentielle deuxième lame du couteau… ». De base pourtant, le PSE de Ford prévoit notamment un redéploiement de salariés chez GFT. Le député LFI (La France Insoumise) du Nord Adrien Quatennens a émis ce lundi sur France Info l’hypothèse d’une renationalisation, une hypothèse difficillement envisageable pour un économiste à l’OFCE qui évoquait au journal Le Figaro des « marges assez faibles » de la part de l’Etat. Côté finances publiques, le département a annoncé qu’il avait émis un titre de recette, autrement dit une procédure de recouvrement, dans le but de récupérer les 1,3 millions d’euros versés à Ford, les 680 000 euros restant ne l’ayant pas été. Les autres collectivités pourraient-elle faire de même ? A suivre…

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