Ferroutage Cherbourg-Bayonne: des obstacles sur la voie


En 2024, le transporteur breton Brittany Ferries va charger des camions irlandais sur un train à Cherbourg pour descendre à Bayonne, avant d'aller livrer en Espagne. Vertueux pour le bilan carbone mais menaçant pour la biodiversité basque.

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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 24/10/2023 PAR Cyrille Pitois

En 2015, un premier projet d’autoroute ferroviaire entre Dourges (Pas-de-Calais) et Tarnos (Landes) avait été abandonné entre autres pour des raisons d’enclavement urbain de la plateforme envisagée à Tarnos, soit 6 km au nord de Bayonne.

Le mode ferroutage, susceptible de délester le trafic routier, revient, avec l’ambition de transporter 25 000 remorques routières chaque année, sur de longs trains qui parcourent chaque nuit, dans chaque sens, les 970 km qui séparent Cherbourg de Bayonne. Un coup de canif dans les émissions carbone de la façade Atlantique, notamment à travers plusieurs départements de Nouvelle-Aquitaine. « Cette liaison permettra d’éviter pour une seule semi-remorque, l’émission d’une tonne de CO2 environ par rapport au même trajet par la route ! » se réjouissait Jean-Marc Roué, président du conseil de surveillance de Brittany Ferries, en signant en janvier 2023, le contrat de fourniture des wagons spécifiques Modalor New auprès de la société alsacienne Lohr.

Cherbourg déjà en travaux, Bayonne en retard

Fin août 2023, à Cherbourg, la première pierre de l’installation ferroviaire et portuaire à la fois, était posée en grande pompe, avec la bénédiction et surtout l’engagement financier du président du Conseil régional de Normandie, Hervé Morin. Et Brittany Ferries de confirmer alors que les premiers trains rouleront fin 2024 entre le Nord-Cotentin et le Pays basque.

Mais au Pays basque la communication sur le projet est moins paillettes. Brittany Ferries a bien signé un contrat de trois ans avec la SNCF pour faire rouler ce train nocturne sur l’Arc atlantique. Un convoi de 750 m de long, composé de 21 wagons chargés de 42 semi-remorques.

C’est le centre européen de fret de Bayonne-Mouguerre qui doit accueillir le terminus de ce train. Il s’agit d’une vaste zone d’activités économiques qui abrite 78 entreprises et 1800 emplois.

Le centre européen de fret de Bayonne-Mouguerre accueille déjà 78 entreprises de logistique ou d’autres activités.

Le développement du fret ferroviaire constitue un objectif majeur pour le propriétaire des lieux, la communauté d’agglomération du Pays basque.

12 millions d’euros à investir

Une plateforme multimodale existe déjà et constitue même l’un des plus grands sites logistiques de Nouvelle-Aquitaine avec en moyenne quatre trains de marchandises par jour. « Mais les infrastructures actuelles ne répondent plus aux besoins des opérateurs historiques qui prévoient une augmentation du volume de marchandises passant de 50 000 à 150 000 conteneurs, en moins de 10 ans, » indique la communauté d’agglomération.

La collectivité a prévu d’investir à hauteur de 12 millions d’euros,  pour remettre l’outil à niveau et traiter des remorques sur roues. Elle sollicite les concours financiers du Département, de la Région et de l’Europe.

Quatre tunnels à recalibrer entre Poitiers et Bordeaux

De son côté SNCF réseau a engagé 52 millions d’euros pour démarrer les travaux de recalibrage de quatre tunnels, sur le tronçon Poitiers-Angoulême-Bordeaux, car le train qui transporte des camions a un gabarit plus important qu’un train chargé de conteneurs. Ces travaux vont durer trois ans, mais en attendant la livraison des tunnels rehaussés, le convoi sera dévié par Niort et Saintes. Ce qui n’empêche donc pas la liaison nocturne de débuter en 2024.

Pour Brittany Ferries, ce train doit répondre aux besoins des transporteurs qui relient l’Irlande au Sud de l’Europe. Depuis le Brexit, ceux-ci cherchent à éviter de transiter par le Royaume-Uni où les formalités douanières et les taxes sont devenues beaucoup plus lourdes. A Cherbourg, le trafic poids lourds avec l’Irlande a triplé depuis le Brexit. Jusqu’à six traversées hebdomadaires relient aujourd’hui Rosslare et Cherbourg, opérées par Brittany Ferries et Stena Line. Le prolongement par le rail semble donc une opportunité cohérente.

L’accueil des convois pourra débuter en 2024 mais avec des trains sensiblement plus courts.

Sauf qu’à Mouguerre, rien ne bouge encore. « Si Brittany Ferries veut effectivement débuter les rotations fin 2024, les installations existantes pourront être utilisées dans un premier temps. L’accueil des convois pourra débuter mais avec des trains sensiblement plus courts, » prévoit Christophe Brochard, directeur d’opérations chez SNCF Réseau. Pour recevoir les convois longs de 750 m, les travaux nécessaires buttent sur des contraintes environnementales.

Le conteneur passe déjà du rail à la route au terminal de Mouguerre. La future plateforme doit permettre de charger et décharger des semi-remorques par roulage.

Le Conseil national de protection de la nature, dont l’avis est consultatif, est défavorable au projet et sollicite une révision du dossier. L’extension de la plateforme, avec l’artificialisation des sols qu’elle nécessite, serait susceptible de détruire des zones de nourriture ou de reproduction de plusieurs espèces dont la loutre et le vison d’Europe qui sont des espèces protégées. Même prévention pour différents végétaux comme le sérapias ou le lotus.

La frontière reste sur-fréquentée à Biriatou

Autre limite au projet qui fait tousser plusieurs associations basques de défense de l’environnement : en descendant du train à Mouguerre, tous ces véhicules n’ont pas d’autre alternative que de reprendre l’autoroute A63, vers l’Espagne. Même phénomène dans l’autre sens. Au Pays basque, le poste frontière de Biriatou (Pyrénées-Atlantiques) voit déjà défiler jusqu’à 10 000 poids lourds par jour en période de pointe. De quoi nuire gravement à la qualité de l’air et à la tranquillité des Pays basques nord et sud. La perspective serait de prolonger l’autoroute ferroviaire au-delà de Bayonne, jusqu’à Vittoria, en Espagne. Mais le chapitre reste encore à écrire.

En espérant que d’ici là, l’expérience du train Cherbourg-Bayonne aura fait la preuve de sa rentabilité. Brittany Ferries assure déjà deux fois par semaine, entre Rosslare et Bilbao, une traversée par ferry d’une trentaine d’heures. D’autres tentatives de soulager le trafic routier sur l’Arc atlantique ont connu quelques déboires. L’autoroute de la mer, subventionnée par l’Union européenne, entre Saint-Nazaire et Gijon, ouverte en 2010, a cessé de fonctionner faute de camions, en 2014. Le service a repris fin 2015 entre Saint-Nazaire et Vigo exclusivement pour acheminer 2000 voitures (Peugeot 2008 et Berlingo) chaque semaine. Ce sont des véhicules qui sortent de l’usine Stellantis de Vigo, destinés au marché de l’Ouest de la France. Autant de voitures qui ne passent pas à Biriatou chargées, sur des camions.

Un site à fort enjeu environnemental

Le terrain qui doit accueillir l’extension de la plateforme et éventuellement d’autres implantations économiques est « une zone de barthes de 12 ha, des terres humides proches de l’Adour. Elles abritent une biodiversité riche, stockent le carbone,
retiennent l’eau et protègent des inondations les habitations environnantes et la ville de Bayonne toute proche. L’artificialisation de plusieurs hectares de ces terres est un non-sens écologique, » indique Martine Bouchet, pour les associations Collectif des associations de défense de l’environnement Pays basque Sud-Landes (CADE) et Mouguerre cadre de vie.

Plutôt favorable au principe du fret ferroviaire, elles contestent un projet « qui n’est pas la bonne solution pour sortir du tout routier et pour lequel il manque une réelle consultation publique. » Les associations prévoient des recours contre le projet. « Mais à ce stade aucune autorisation de réalisation de l’extension de la plateforme n’a été accordée. Nous n’avons donc rien à attaquer! » 

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