Fabienne Mogue, artisan du souvenir


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Fabienne Mogue, artisan du souvenir

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Temps de lecture 10 min

Publication PUBLIÉ LE 12/03/2017 PAR Romain Béteille

Les jouets de notre enfance ont une symbolique particulière. La chaleur du foyer où ils sont accueillis, les bras qu’on leur tend et, au fur et à mesure des années qui passent, l’intimité d’un grenier où ils sont parfois remisés comme des trésors enfouis dont le souvenir empêche de nous en séparer. Vous avez peut-être un ou plusieurs de ces jouets chez vous, une poupée où un nounours à qui il manque un oeil ou un peu de rembourrage pour être tout à fait la réplique intacte de votre souvenir. Pour en prendre soin, depuis environ une dizaine d’années à Bordeaux, il existe un endroit où tous ces objets peuvent retrouver une seconde vie. D’abord installée Rue du Faubourg des Arts puis au numéro 64 de la rue Huguerie, La Clinique des Poupées est un petit local singulier dont il existe peu de répliques en France. Sa façade dénote avec le reste de la rue, déjà plutôt équipée en artisans. De son rose criard jusqu’à ses contours formant des sortes de napperons à carreaux, l’ancien salon de tatouage n’a plus les murs noirs qu’il avait autrefois. Sa propriétaire est maître artisan d’art et s’est fait, depuis bientôt 19 ans qu’elle exerce ce métier très particulier, une certaine réputation dans son domaine. 

A l’intérieur, des couleurs neuves, blanches, rafraîchies. Et des poupées, partout. Dans un meuble de bibliothèque pour celles qui doivent être rapiécées, fièrement affichées au mur comme une collection pour les autres, les créations que Fabienne Mogue n’a jamais cessée de réaliser. La patronne du lieu n’a rien de commun. Son sourire est large, son rouge à lèvres discret en accord avec la devanture de sa boutique/atelier, un tablier rouge à pois blancs surmontant un haut à motifs léopard. Coupe au carrée mais boucles d’oreilles en rosaces voyantes, collier mordoré représentant l’Afrique accroché autour du cou, on dénote déjà chez Fabienne une certaine fantaisie. Ce qu’elle ne fera que confirmer par la suite. L’atelier se trouvant juste derrière la boutique, que l’on franchit en remarquant qu’elle a poussé le concept jusqu’au bout en y intégrant ce qui ressemble fortement aux portes que l’on peut trouver dans les services hospitaliers, est rempli de petits trésors curieux. Les pinceaux y côtoient les sèches-cheveux et autres bobines de fils et rouleaux de scotchs, tandis que des cartons remplis d’un véritable traitement de choc contre la pédiophobie sont méthodiquement posés sur des étagères. Ici, on cultive le kitsch, et depuis longtemps. Fabienne parle d’une voix douce, presque candide, mais son ton est assuré. Entre La Rochelle et Bordeaux, elle a eu le temps de faire de sa passion une véritable entreprise.

Fabienne au pays des merveilles

Originaire du « 9-3 », elle dépeint avec une confondante originalité une enfance pétrie de figures fortes. L’une d’entre elles, son père, est d’ailleurs à l’origine du gros médaillon qu’elle porte autour du cou. Un papa parti suivre les voyages présidentiels en Afrique, qu’elle affiche avec une certaine fierté. « C’est quelque chose de rond, ça signifie une certaine unité, un peu ce que je suis aussi. J’ai la volonté que les choses soient bien centrales avec une étendue complète », dira-t-elle avec des mots bien à elle. Victor Hugo a dit un jour que « Créer, c’est se souvenir ». Cette pensée est au coeur du métier de Fabienne, qui n’est, si l’on en croit sa logique, pas vraiment là par hasard. « Petite déjà, j’avais envie de créer des personnages, de leur donner vie. Je jouais aux voitures avec mon frère, j’avais un côté un peu garçon manqué. Aujourd’hui, je suis motarde, c’est un peu mon côté masculin. Il n’y a pas une totalité féminine chez moi, ce qui rend mon métier d’autant plus intéressant. Il y avait chez nous une atmosphère de travail, mon père mettait beaucoup de temps pour aller travailler dans le centre-ville. Et puis il revenait en famille où la structure était importante puisqu’on se réunissait, on créait des objets, un univers. Mon père ramenait de ses voyages des bijoux africains, des statuettes, des figurines. Il y avait déjà un côté très visuel ». Certaines parties de ses talents cachés, comme le dessin, se sont perdus dans les cartons des déménagements successifs. Mais d’autres choses sont restées, intactes, jusqu’à aujourd’hui. « A l’école, on me disait qu’il y avait toujours une finesse dans ce que je faisais. Je m’efforçais à ce que ce soit techniquement bon mais qu’en plus ce soit beau. C’était une logique chez moi, que ce soit presque sculpté comme un visage ».  

Timide à l’imaginaire visiblement très développé, les personnages créés par Fabienne sont toujours joyeux et très colorés. Elle a grandi une partie de son enfance à Paris, dans ce qu’elle appelle poliment « une grand diversité » de nationalités. Surtout, elle garde en mémoire cette maison familiale comme un petit paradis de l’enfance rempli de secrets. « Dans la maison de mes parents, il y avait un univers magnifique. Derrière la salle Pompidou (on l’appelait comme ça parce qu’il y avait un porte-clefs à son effigie dessus), en montant quelques marches, je m’imaginais qu’il y avait un escalier, un peu comme Alice au pays des merveilles. Il y avait des palliers et des choses à découvrir à chaque fois. Un bocal avec des poissons rouges, une poupée. C’était un lieu un peu magique où je pouvais me sentir bien ». Dopée aux références télévisuelles de l’époque (« Ma sorcière bien aimée » en tête), elle est déjà très attachée à un optimisme désarmant. « J’ai une personnalité qui va toujours vers le positif, tout en étant dans une certaine réalité en vieillissant. J’ai aussi un petit côté idéaliste. Heureusement car ce n’est pas un métier commun et on n’est pas forcément émancipé. Une fois qu’on a créé son entreprise, il faut être extrêmement complet. Même si les regards des autres sont un peu dubitatifs, on doit continuer ». Avant que La Clinique des Poupées ne voie le jour, Fabienne Mogue est passée par tout un processus, vaste et sinueux chemin l’ayant menée ici même, dans cette petite salle tout en longueur où un jeune épagneul tibétain ronfle paisiblement. « Je voulais faire une école de souffleur de verre dans le Jura. À l’époque, ils l’ouvraient aux filles, mais c’était le tout début. C’est un métier très masculin parce qu’il faut avoir une cage thoracique très développée. J’étais toute mince. C’était la lumière au travers de cette matière poussée par nos poumons qui m’intéressait ». Et l’idée de créer quelque chose, toujours. 

Entre deux mondes

Le C.V de Fabienne ne ressemble à rien de connu, mélange hybride aux contours perdus entre le créatif et le technique. À chaque fois, elle va tisser un petit bout du canevas achevé lors de l’ouverture de son premier atelier, l’année où la France est grand vainqueur de la Coupe du Monde. « Ce que je voulais, c’était apprendre un métier où je n’étais pas forcément entourée que de filles. L’électronique, ça amène une logique. Pour pouvoir créer techniquement quelque chose, on doit faire une étude logique et structurée de tout ce qui doit être fait. Le dessin technique permet de voir la structure d’un objet où d’un mécanisme dans l’espace, la manière dont on développe un produit », avouera-t-elle au moment de nous raconter sa première formation entre Limoges et Toulouse. Si elle n’hésite pas à s’épancher sur ce parcours là, Fabienne tient tout de même à garder un petit jardin secret bien à elle, dont on ne fera qu’effleurer certaines racines. Disons simplement que l’amour est rentré en jeu et qu’elle s’est rapidement rendue compte que le métier n’était pas vraiment adapté à sa personnalité. « Pas assez créatif », dira-t-elle même.

Ce secteur aux codes masculins, elle choisira de lui tourner le dos pour partir dans un CAP couture en formation rapide. Aujourd’hui, elle travaille quasiment toujours « sans patron », et ce dans deux sens différents puisqu’elle est aussi toute seule à gérer son affaire. Pour compléter et mettre une corde supplémentaire à l’arc de son profil astrologique (sagittaire) et de ses compétences, Fabienne dira qu’elle a toujours aimé lire, mais d’avantage des choses techniques que des grands romans. Magazines et bouquins de modelage ou de moulage, revues de découvertes… elle aime les choses « vulgarisées, simplifiées ». « Je n’aime pas les choses complexes, où alors il faut que j’aboutisse vers la fin de cette complexité et une certaine harmonie. L’harmonie, c’est restructurer quelque chose, comme le petit singe qui se trouve juste là », précisera-t-elle en désignant une petite peluche posée sur un établi, « mais aussi le laisser un peu dans son jus pour que la personne le reconnaisse ». 

De l’atelier au billard

« Mon CAP terminé, j’avais déjà la volonté de créer mon entreprise. Je réfléchissais, je voyais que j’aimais ce que je faisais, que c’était apparemment ma voie ». Après un test psychotechnique confirmant qu’elle a bien le profil d’une chef d’entreprise, elle abandonnera les chemins périphériques (comme des études de commerce, jamais entamées) pour réaliser différents stages dans le monde de l’artisanat. Si les poupées et les objets de l’enfance n’avaient pas pris le pas sur le reste, l’entreprise de Fabienne aurait pu être tout autre chose : de la taille de pierre, de la poterie même. Débarquée à La Rochelle un peu comme à l’assaut d’un nouveau défi, elle fera plusieurs passages en tant que salariée dans différentes structures, toujours étrangement liées aux poupées : le musée Grévin qui lui permet de s’adapter aux spécificités locales, le textile et même un musée des automates dans lequel elle s’occupera de refaire les costumes.

Cette palette de couleurs variées en poche, elle revient avec beaucoup d’humour sur la création de sa société, un matin de juillet 1998. « Au début, ça s’appelait « Atelier Fabienne Mog », mais on pouvait croire que c’était un garage automobile, ça portait à confusion, ça ne parlait pas vraiment. Je l’ai reformulée en clinique pour ce côté restauration d’objets. Au début, j’ai beaucoup bougé. J’ai fait les marchés, les salons. La difficulté d’un artisan, tout comme pour un salarié, c’est de savoir vendre ses compétences ». Pendant environ deux ans, Fabienne s’occupe de son activité naissante de chez elle tout en exerçant en parallèle des missions de démonstratrice de vente. Jamais fâchée avec l’égalité des sexes, elle vendra même de la peinture dans un magasin de bricolage. « Ca me donnait une force parce que je voyais du monde tout en structurant mon activité. J’ai pris une boutique au bout d’un an, puis une autre au bout de quatre ans. J’ai fait un emprunt et je me suis vraiment lancée ». 

Le prix des sentiments

Les créations de Fabienne sont assez uniques et très identifiables, qu’elles soient sous la forme de mousquetaires anthropomorphes ou simplement en peluche, toujours très colorées. Pour l’heure, elles ne représentent qu’une petite partie de son activité, essentiellement concentrée sur la réparation d’objets. Surprenamment, ce n’était en rien son intention de départ. « Au détour de tous mes voyages pour l’atelier où il fallait que je précise mon activité, de plus en plus de gens me demandaient de restaurer des objets. Au départ, l’idée était plutôt centrée sur la création, le reste est venu ensuite. D’où la clinique où l’hôpital, qui me semblait être une symbolique intéressante ». D’un tempérament doux mais pourtant tenace, passionnée par son métier et toutes sortes d’autres tropismes (elle citera pêle-mêle la danse où les courses de voitures de collection), elle exerce depuis déjà quelques paires d’années cette profession unique dans laquelle elle continue toujours à se former et à apprendre. Rue du Faubourg des Arts, par exemple, elle a découvert une réalité différente de celle qu’elle imaginait avant de s’y installer. « L’aspect collectif m’a beaucoup plu et m’a permis d’avoir un pied sur Bordeaux, même si ce n’est pas forcément une réalité. Je pensais qu’une boutique se devait d’être ouverte le plus souvent possible, sinon on reste à la cave. J’ai compris qu’économiquement, les gens n’avaient pas forcément les mêmes besoins ». Tandis qu’elle revendiquait environ 250 clients annuels lors d’une interview télévisée datant de l’année dernière, elle avance aujourd’hui le chiffre de 400 personnes. Devenue maître artisan en 2010 et médaillée par la ville de Bordeaux en septembre 2012, Fabienne Mogue a mis dans son métier beaucoup d’elle-même. Ses commandes, elle ne les pratique que sur rendez-vous et ses prix sont fixés à la fois par un devis classique et « en fonction de la valeur affective de l’objet ».

Elle a déjà en tête des projets d’évolution, comme laisser un peu plus de place à ses propres créations. « On donne vie aux choses, plutôt que de simplement rougir les lèvres d’une poupée ou la coiffer. Ca rejoint le désir de faire renaître les objets, il y a forcément une vie derrière. Ce que j’ai compris après environ dix ans d’activité, c’est qu’il y a aussi une psychologie derrière ce métier. A chaque fois qu’on me dépose un objet, il y a quelque chose d’extrêmement intime et personnel derrière. Leurs maux veulent dire des choses, ils ont envie de donner une continuité à leur enfance ». Cette continuité que le temps et les soucis du quotidien ont peu à peu effacée, elle essaie, à sa manière, de la restaurer et de l’embellir. Non sans y voir, en une image furtive, une sorte de Gepetto de la poupée, transformant les objets inanimés en petits garçons. « Si les poupées avaient un coeur », professe-t-elle, « peut-être que j’aimerais faire en sorte qu’il fonctionne bien ! ». 

Fabienne Mogue, artisan du souvenir from Aquipresse on Vimeo.

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