Au regard des enquêtes PISA (Programme International pour le suivi des acquis des élèves) menées par l’OCDE depuis l’an 2000, le système éducatif français ne va pas bien. Et dans la bouche de François Dubet, les symptômes qu’il relève au fil de ces enquêtes ne portent décidément pas à l’optimisme. « Le niveau des élèves français est beaucoup plus faible que ne le suppose le niveau de richesse du pays. On n’est pas bon, mais surtout le niveau baisse, contrairement à d’autres très mauvais, comme l’Angleterre ou les États-Unis, mais qui tout de même ont le mérite de remonter doucement dans le classement », analyse-t-il avant d’asséner un dernier constat pas des plus agréables pour notre sacro-sainte école française : « des pays socialement plus inégalitaires que nous ont des inégalités scolaires moindres, alors que chez nous, les inégalités se creusent avec le système scolaire »… Le système scolaire, insiste-t-il, et non les enseignants.
Pourtant, tout dans l’école française a été a priori pensé pour l’égalité, l’efficacité et la parité, reconnaît-il : « La France est un des pays qui consacre le plus de moyens à son école, le système est très centralisé il ne devrait donc pas être inégalitaire : même enseignant, même concours, même programme, examens nationaux, et en plus les enseignants ont un haut niveau académique. »
La constante fataleLe paradoxe est donc bien là : « le décor égalitaire, mais dans les faits, il y a pourtant bien des écoles ou collèges que l’on fuit et d’autres, et d’autres aux portes desquelles on se presse pour y inscrire nos enfants ». Pour François Dubet les causes de ce paradoxe sont nombreuses, et tiennent en réalité à plusieurs éléments liés à ce que « nous avons une culture scolaire élitiste. Non pas au sens de sélectionner des élites, ce dont un pays a évidemment besoin ; mais aux sens où c’est le système élitiste qui commande tout entier le système scolaire ». Et de livrer plusieurs exemples dans ce sens : « nous fonctionnons sur la pratique pédagogique de “la constante fatale” : à chaque exercice, contrôle ou examen, il faut qu’il y ait un tiers de bons, un tiers de moyens et un tiers de mauvais, et on écrème, ne gardant à chaque étape de la hiérarchie scolaire que les deux premiers tiers. Si tout le monde est bon, alors on jugera non pas que la leçon a été comprise par tous, mais que l’exercice était trop facile…. »
Les programmes aussi sont à revoir pour François Dubet : « ils ne sont pas faits pour les élèves, mais traduisent la manifestation des ambitions de la Nation ». Le partisan du socle des savoirs de base qu’il est, estime quant à lui, qu’« il faut des programmes réalistes et dont on exige que tous les élèves les acquièrent, et non pas des programmes de très haut niveau dont on n’exige pas que tous les élèves les acquièrent ! ». Une sorte de « SMIC culturel », qu’il assume parfaitement, et encourage. « Si tous les écoliers français n’avaient que ce socle commun, la France dans les enquêtes PISA serait loin devant la Corée, le Japon ou la Finlande, alors que pour l’heure nous sommes derrière. D’ailleurs les pays qui ont de bons résultats comme le Canada, la Norvège ou la Suisse, font ça ». Pour autant insiste-t-il, avoir un socle commun, ça n’est pas avoir que le socle commun. « C’est répondre au besoin des meilleurs par des temps dédiés, sans affaiblir le niveau des moins bons ».
« Nous choisissons tous l’inégalité scolaire ! » Mais François Dubet pointe un autre grand facteur des problèmes de l’Ecole française, « une formidable hypocrisie généralisée. Nous nous disons attachés à l’idée d’une école égalitaire, mais nous choisissons tous l’inégalité scolaire ! » Il s’explique, « avec la massification scolaire, le destin social de nos enfants est déterminé par sa réussite scolaire. Autrement dit, la massification scolaire a accru la concurrence scolaire. C’est donc une réaction toute à fait normale que les parents, choisissent les voies qui apparaissent comme les meilleures pour leurs enfants : la meilleure école, la meilleure filière, la meilleure option… Quand les gens descendent dans la rue pour défendre les classes européennes, l’option latin ou les cours de grec, ils ne défendent en réalité pas spécialement la civilisation latine ou le grec ancien, ils défendent les classes de Latin et de Grec. Des classes qui confortent un “entre-soi” social qui sous-tend un niveau scolaire a priori meilleur ».
Une « crise des solidarités » qui explique aussi selon François Dubet, l’avortement régulier des réformes de l’école. « Dans les tentatives de réformes des gouvernements de gauche, ceux-ci se situent du point de vue des élèves en difficultés, or en face, il y a des gens qui défendent un système avantageux pour eux, y compris les enseignants qui sont eux-mêmes parents et voient bien comment ça se passe à l’intérieur. Le problème c’est que les personnes des milieux défavorisés, premières victimes du système inégalitaire, ne se sentent pas légitimes pour s’exprimer sur une école qu’elles n’ont elles-mêmes souvent pas réussie. »
« Faire de l’école, une communauté civique » Quant à lui, au-delà du socle de savoir commun qu’il voit comme une clé d’une réussite scolaire partagée, François Dubet défend l’idée qu’il faut en finir avec le collège unique. Celui-ci, selon lui, ne peut plus assumer l’idéal scolaire dont il avait mission à sa création : être la première marche du lycée général. « Aujourd’hui, près des deux tiers des collégiens n’iront pas dans un lycée général, rappelle-t-il. Dans ce sens, rapprocher le collège de l’enseignement élémentaire, comme tente de la faire la réforme à venir, c’est une bonne chose » estime-t-il.
Sur d’autres éléments de la réforme mis en œuvre dès cette année, comme les cours d’enseignement moral et civique, s’il reconnaît l’effort, il craint l’inutilité de la démarche, « les enfants feront bien vite la différence entre les leçons et la vraie vie ». Pour lui, « il faut surtout parvenir à faire de chaque école une communauté civique dans son ensemble, où l’on apprend à vivre ensemble… Ce qui suppose que le service des enseignants ne se résume pas à leur présence au lycée uniquement pour les heures de cours », avec une augmentation des salaires. Même s’il reconnaît volontiers qu’un grand nombre d’écoles fonctionnent déjà comme ça, et que des initiatives existent, c’est bien davantage grâce aux équipes pédagogiques et aux parents qui s’incluent dans ces démarches qu’en vertu d’un système éducatif qui y encouragerait.
Ouvrages pour aller plus loin :
François Dubet, La Préférence pour l’inégalité, Comprendre la crise des solidarités Édition du Seuil (2014)
François Dubet, Marie Duru-Bellat, Antoine Vérétout, Les Sociétés et leur école, emprise du diplôme et cohésion sociale Edition Points (2015)