Bordeaux : La filière viticole devra « faire mieux avec moins »


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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 17/07/2020 PAR Romain Béteille

Le bilan financier est morose, le ton est résolument similaire. Ce mercredi, lors de l’assemblée générale du Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux, son président Bernard Farges, dans le contexte compliqué du vignoble bordelais ces derniers mois (taxe Trump, Brexit, baisse des ventes à l’export, crise politique chinoise et nouvelles modes de consommation nationales) s’est montré résolu. « La situation est mauvaise et il va falloir du temps et de l’énergie pour remonter la pente. Le chantier le plus urgent est de rétablir un équilibre entre l’offre et la demande autour des vins de Bordeaux ». Pour le responsable, si la distillation de crise est une des solutions, les volumes prévus (400 000 à 450 000 hectolitres en Gironde) « ne sont pas suffisants ». Le CIVB a également voté la mise en place d’une réserve collective pour les AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur, plus importants en volume en rouge.

Arrachage et attentes

« Osons parler d’arrachage ! », a ainsi lancé Bernard Fargues, évoquant un sujet clivant. « Les textes européens ne le permettent pas aujourd’hui. Mais cette piste, si elle est pensée, accompagnée, organisée, peut être utile à l’ensemble de la filière. Elle peut accompagner des entreprises vers la cessation, le recentrage ou la diversification de leur activité, pour redonner aussi de la compétitivité en relevant les budgets à l’hectare. Son financement peut se trouver dans le budget OCM » (Organisation commune de marché).

Au rayon des autres priorités « offensives », on retrouve aussi une volonté de « bâtir de vraies politiques de prix pour assurer la pérennité de leurs entreprises » et de pousser vers davantage de mixité entre bio et conventionnel sur les exploitations. « Tout le monde connaît l’hypocrisie dans laquelle nous plonge l’actuelle règlementation bio. Si nous raisonnons cette mixité par îlots culturaux, nous verrons un grand nombre d’entreprises passer au bio sur une partie de leur vignoble. Pour cela, laissons faire les viticulteurs, ils mèneront leurs propres expériences et nous éviterons de dépenser des fortunes en accompagnement ».

Ce discours était évidemment porté, aussi, vers le soutien national à la filière viticole. Là non plus, Bernard Farges ne mâche pas ses mots. « La filière viticole constate un intérêt insuffisant sur ses difficultés. Les réponses apportées par l’État sont aujourd’hui très faibles, particulièrement lorsqu’on regarde les moyens alloués au tourisme, à l’aéronautique ou à l’automobile. Aujourd’hui, c’est moins de 200 millions d’euros qui sont fléchés vers la viticulture alors que la filière représente entre 11 et 12 milliards d’euros d’exportation chaque année et 600 000 emplois. Ce que nous demandons, c’est plus de moyens sur les exonérations de charges, la distillation de crise et le stockage privé ». 

Un budget communication refondu

En s’attardant sur le budget et la stratégie de communication du CIVB, moteur de la demande, on s’aperçoit aussi que, si les ambitions se sont détournées vers d’autres objectifs, le budget, lui, a fondu. Selon Julie Rambeau Texier, responsable de la stratégie de promotion, le budget alloué a été « divisé par deux entre 2018 et 2020 », atteignant aujourd’hui une dizaine millions d’euros. « Plutôt que de se défendre face au Bordeaux bashing de notre côté, on a sûrement plus d’impact et de crédibilité à faire parler d’autres personnes. La nouvelle stratégie, c’est de désigner des ambassadeurs, des gens qui pourront parler de nous dans des termes crédibles mais avec une audience élargie. On a des moyens resserrés, on souhaite donc passer par des communautés existantes d’influenceurs pour décupler l’impact de nos actions. Notre budget est calé sur la commercialisation, or on n’a jamais eu aussi peu de moyens pour la mener (…) Aujourd’hui, les consommateurs cherchent moins de publicité massive et plus de témoignages. On aurait tout intérêt de se poser la question de comment faire du marketing différemment. Les ambassadeurs vont parler aux consommateurs pour créer la demande. Plutôt que de parler comme des marques institutionnelles, on va aller faire parler des gens qui savent se mettre en scène. Si on était les vins de Bordeaux, on n’aurait sans doute pas fait quelque chose d’aussi décalé. On a besoin de gens qui nous présentent sous un jour un peu nouveau et détonnant ». 

Le changement de cap est donc clair : moins de campagnes communes « au nom de tous », plus d’action « en synergie ». Pour autant, cette nouvelle méthode ne change pas foncièrement la cible : elle reste en grande majorité constituée des prescripteurs liés à l’achat (sommeliers, cavistes, restaurants, guides, etc.) et au Trade (CHR, grossistes, grande distribution mais aussi circuits courts et livraison), qui devront avoir un « effet levier » sur les consommateurs. Quatre objectifs ont été énoncés dans cette stratégie : renforcer l’attractivité des vins de Bordeaux à l’international, passer par des prescripteurs et ambassadeurs pour toucher plus de monde, se faire une place dans les « nouveaux modes de consommation », en particulier pour séduire une clientèle plus jeune et plus soucieuse de l’authentique et de l’achat responsable et, enfin, « gagner la bataille du local » en surfant sur la tendance constatée pendant la crise sanitaire, notamment sur l’alimentation. Cette méthode se décline en campagnes : le nouveau label « Pensons local, vivons Bordeaux » fait ainsi appel, depuis son lancement début juillet, à des « influenceurs/ambassadeurs » pour faire parler des vignerons et des producteurs.

L’idée de « jouer collectif », qui n’est pas nouvelle, reste une priorité pour les représentants de l’interprofession : la récente « Tournée des vins de Bordeaux » fin janvier (+de 1300 vignerons et négociants) sera reconduite les 4,5 et 6 mars 2021. Elle donnera aussi lieu à des « mini-tournées » pour des appellations spécifiques et de manière plus réduite. Le CIVB se lance aussi dans le virtuel avec « Parlez-vous Bordeaux« , un sommelier virtuel accessible grâce à un système de QR code. Enfin, il lance une nouvelle section sur son site internet : « Bordeaux vignoble engagé« . Le but de cette stratégie d’influence est aussi financier : dans son bilan 2019, la structure accuse une perte de 7,190 millions d’euros (faisant passer les réserves financières de 22 à 15 millions), principalement dues à la baisse des cotisations (-4 millions) et le coût imputés à de deux opérations promotionnelles : le dispositif de bons de réduction Catalina et la « Tournée des vins » à l’occasion de la Saint-Vincent. En temps de crise, mieux vaut donc se serrer la ceinture.

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