Portrait : Capucine Blanchard, (re)naissance illustrée


RB/Capucine Blanchard

Portrait : Capucine Blanchard, (re)naissance illustrée

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Temps de lecture 9 min

Publication PUBLIÉ LE 28/10/2019 PAR Romain Béteille

Un matin d’octobre, milieu de matinée. Alors qu’on est déjà en pleine interview et qu’on entame le moment crucial de la transformation d’un accident de la route en bande dessinée, on sonne à la porte de chez Capucine, la vraie. Elle sort de sa « pièce atelier » aux dizaines de planches ornant ses murs, et voit apparaître sur le pas de sa porte une gérante de bibliothèque qui dit lui avoir peut-être trouvé un éditeur. Certains pourraient y voir un signe, d’autres pas. Tout dépend de la manière qu’on a d’interpréter les choses. L’année dernière, elle a participé à un concours de la Fondation de France, Déclics Jeunes, qui récompense (par une dotation financière) des projets personnels de jeunes entre 18 et 30 ans. Le sien, elle a mis longtemps à se dire qu’elle pouvait en faire un livre après l’avoir sorti de sa tête. « Putain de Chevreuil » est avant tout l’histoire d’une rescapée, et un travail introspectif. « Ça a été dur d’en faire la présentation. Mon projet est tellement personnel, il y a tellement de douleurs (physiques comme psychologiques) à l’intérieur que devoir expliquer qui j’étais m’a chamboulée. Ça a remué beaucoup de choses ».

Naissance

Il faut dire qu’au départ, on ne choisit pas forcément de devenir illustratrice. Mais, parfois, ça permet de retrouver des chemins qu’on avait oublié avoir pris. Depuis qu’elle est en âge de tenir un crayon, Capucine a toujours aimé dessiner. Elle faisait ça dans sa bulle, sur un coin de nappe où à la marge d’une feuille à grands carreaux. « Au resto avec mes parents, ma mère emmenait des crayons dans son sac à main. J’adorais raconter des histoires. Je dessinais déjà des BD quand j’étais au collège. J’avais écrit l’histoire d’un chien cuisinier à qui il arrivait des trucs absurdes. Je faisais aussi des films d’animation en flipbook et en image par image avec une webcam. J’animais des peluches, des jouets », raconte-t-elle. Sur les bancs de l’école, on a parfois tenté de l’en dissuader, en prétextant que vouloir faire du dessin-animé un métier, c’était être encore un peu une gamine et qu’elle allait forcément grandir un jour. Heureusement, quand on a un caractère comme le sien, tout ça ne fait que renforcer la volonté. En choisissant une formation en arts appliqués sans vraiment connaître ce monde (un père transporteur, une mère esthéticienne aux parents agriculteurs, on est à première vue assez loin de la cible), elle découvre tout un univers qui prend forme sous ses yeux. « Mes parents me laissaient faire, ils me poussaient même. C’est grâce à eux que j’ai pu faire ce que j’aime et que j’ai pu vraiment découvrir qui j’étais. Un jour, pendant la visite d’une expo de Soulage, mon père s’est fait passer pour un guide et a commencé à raconter plein de conneries sur les tableaux. Ça m’a touché qu’il fasse cet effort-là alors que ça ne l’intéressait pas du tout ».

La Capucine de papier ne lui ressemble pas vraiment physiquement, c’est plutôt une forme de caricature, les pensées qu’elle exprime et les expériences qu’elle raconte dans son histoire sont le seul fil rouge qui les relient vraiment. Le petit personnage est né au collège, mais il a réellement commencé à exister au moment où Capucine a couché une partie de sa vie sur des planches. Après des études en art et en design (elle est notamment passée par l’école Boulle, à Paris), elle s’intéresse aux questions profondes avec lesquelles celui-ci façonne les époques. « Au-delà du papier et de la forme, on questionnait le quotidien des gens, les usages, on faisait un peu de sociologie, d’histoire, on essayait de trouver des solutions à un problème en racontant des histoires. C’est là que j’ai découvert le pouvoir affectif des objets, je me suis rendu compte que ce sentiment était peut-être plus fort encore qu’avec des images. Il peut être charnel, excessif, personnifié ». Son personnage passe aussi par quelques-unes de ces étapes. Dans un premier chapitre raconté sur un temps très court (onze jours, le temps qu’elle a passé au CHU de Nantes), elle exagère souvent sa propre réalité et use des métaphores et des images comme d’un médicament, elle qui avait fait une collection de notices dans le but abstrait d’en faire un projet sur la quantité astronomique (et souvent flippante) des effets secondaires listés.

Capucine Blanchard

« Tout drame inventé reflète un drame qui ne s’invente pas »

Avant de passer par différentes étapes de la guérison, y compris l’acceptation du terme « chronique » dans ses douleurs dorsales, il a quand même fallu taper le chevreuil. « Je rentrais chez mes parents, c’était un week-end normal. J’avais encore une attache chez eux pour mes rendez-vous médicaux et administratifs même si j’étais étudiante à Paris. J’étais en chemin, un chevreuil m’a coupé la route et j’ai fini ma course dans un talus. Heureusement, j’étais toute seule. Je parle plus de l’accident au travers des souvenirs des gens, parce que je ne m’en souviens pas vraiment », dira-t-elle au moment d’évoquer ce passage, retranscrit dans son récit par le discours enflammé du leader d’un groupement de terroristes cervidés alertés par l’invasion galopante de leur territoire par les humains. « L’un des terroristes a sauté sur la route et s’est mis en travers de mon chemin » ironise-t-elle aujourd’hui. C’est qu’elle a un petit côté écolo, Capucine : dans la nouvelle maison qu’elle est en train de faire construire (« le plus écologiquement possible »), on trouve des plantes un peu partout, elle envisage de se mettre aux toilettes sèches en raison de ses intolérances découvertes sur le tard, elle fait de plus en plus attention à son régime alimentaire. Ça pourrait être le sujet de l’un de ses prochains travaux, un jour peut-être. Mais revenons à nos chevreuils. 

 

Comme vous avez pu le constater (Capucine nous a littéralement « fait un dessin »), l’accident a laissé plusieurs séquelles, dont certaines sont racontées avec beaucoup d’autodérision dans les deux premiers chapitres. Accoler au récit un brin d’humour et surtout pas mal de pédagogie a permis à Capucine de mettre des mots sur son état. « Je me considère en situation de handicap. Je ne suis pas handicapée tout le temps. J’ai une déficience, mais c’est l’environnement qui crée le handicap. S’il est adapté, il le fait oublier. Je ressens le mien mais l’adaptation de mon train de vie le fait disparaître. Parfois, quand la douleur disparaît, j’ai l’impression de ne plus être handicapée… ça y’est je viens de le dire ! ». Un boulot adapté justement. Car Capucine, après mure réflexion, a choisi de laisser un peu de côté ses ambitions dans le design. Ce n’est pas faute d’avoir un tempérament très carriériste. « Ça a été une phase difficile ». Elle a expérimenté plusieurs jobs chez des designers. « Je voulais raconter des histoires au travers des objets. Beaucoup de designers chez qui j’ai bossé suivaient des tendances, s’inspiraient d’autres personnes sans vraiment créer de vraies histoires. C’était moins important que ce que j’imaginais. Tout le monde n’est pas comme ça. Pauline Deltour, par exemple, m’a montré ce qu’était le vrai sens du métier. J’ai passé six mois chez elle, j’étais encore en convalescence avec une canne, je voyais mon psy toutes les semaines. Elle m’a aidée à me relever et m’a donné ma chance en me laissant raconter des histoires. Il fallait que je mette mon masque, je pense que ça devait se voir mais elle me considérait avec bienveillance ». Formée à un design « global » (communication visuelle comprise, ce qui se ressent clairement dans la manière dont elle agence ses pages), elle a aussi été un peu échaudée par quelques expériences professionnelles, comme quand on lui a demandé de designer de la vaisselle en plastique « premium » pour une compagnie aérienne. « Ça m’a gonflé. Je n’ai pas réussi à aller vers un design vertueux ». 

Renaissance

Actuellement, Capucine est en pleine écriture de la quatrième et dernière partie de « Putain de Chevreuil ». À côté, elle travaille pour une « entreprise adaptée » à Talence et s’occupe de mettre en place des campagnes de sensibilisation aux handicaps. « Ma douleur est variable, elle n’est jamais au même degré en fonction des moments de la journée. Je sais aujourd’hui que ne serai jamais dans la même forme tous les jours. J’ai des horaires à respecter, mais je travaille au rythme de mon corps. Ça change tout, je n’ai pas de pression en allant au boulot », avoue-t-elle. On a essayé de déterminer le moment où les petits dessins qu’elle faisait à sa sortie de l’hôpital se sont transformés en véritable récit, et on n’a pas vraiment trouvé de réponses. Par contre, on sait ce qui l’a poussé à reprendre le dessin et à faire revivre la « fausse » Capucine, qu’elle avait laissé dans un petit tiroir sans savoir qu’un jour elle allait le rouvrir. « C’était un second moi à qui je parlais, mon exutoire. Ça m’a fait marrer. Ma mémoire beuguait, je n’avais rien à faire alors je l’ai raconté pour moi. C’était une manière de prendre du recul et de déconner sur ce qui se passait. J’ai commencé à publier deux ou trois planches sur un blog, celles qui me semblaient les plus intéressantes. Je ne voulais pas être dans le pathos, juste comprendre et expliquer ce que je vis. C’était aussi une manière de le raconter à mes proches. À la base, c’était une thérapie personnelle pour extraire tout ça et garder une trace ». 

Aujourd’hui, elle est encore en pleine phase d’acceptation. Ce sera ce qui motivera la fin de son récit pour lequel un éditeur n’a pas encore été trouvé. Pour le reste, tout se fait par étape, une case après l’autre. « La douleur est toujours là. J’ai arrêté les médicaments. Les médecins ont très vite tendance à amener vers les antidouleurs. Ce n’est pas un remède universel et il y a aussi une cause à traiter en amont : ma façon de manger, de faire du sport, de vivre. C’est un mécanisme étrange : il faut écouter son corps et accepter plutôt accepter la douleur qu’essayer de la dissimuler. Je ne suis pas la plus assidue au niveau du sport. Et puis franchement, j’en chies tellement que se rajouter des contraintes, c’est pesant et dur à mettre en place. Mais j’y travaille ». Au fil de l’histoire, à la temporalité de plus en plus étalée, elle a invoqué plusieurs fantômes : celui du chevreuil incarnant la douleur, et un petit être noir sans visage censé représenter « la schizophrénie entre le corps et la tête ». Et pour la suite ? Capucine ne s’interdit rien. « Les idées ne manquent pas. J’aimerais sortir un petit guide en plus de la BD pour raconter les émotions qu’on vit et la manière dont je les ai gérées. Je ne donnerai pas de conseils, je ne suis pas médecin. Mais je suis patiente. Si ça peut servir, tant mieux. Non sans avoir laissé quelques sacrifices sur le bord de la route, le processus est presque terminé. D’une gamine qui voulait à tout prix « faire des dessins animés », elle s’est retrouvée dans le corps d’une jeune femme animée d’un dessein. « J’ai envie d’aller jusqu’au bout, je pense que je ne suis pas loin. Ça m’a appris à comprendre qui j’étais. Ce que je fais, je le fais plus pour les autres que pour moi, mais ça m’a aidé à prendre conscience que ce que je faisais avait vraiment du sens ».

 

Avec la bourse qu’elle a obtenu grâce au concours (7600 euros), elle compte étoffer la forme (gravure, site internet, maquettes pour les éditeurs) et espère qu’une fois posé sur le bureau de sa pièce-atelier, l’ouvrage physique pourra peut-être ouvrir d’autres portes (si possible sans béquilles). « Dans dix ans, j’aimerais être réellement illustratrice ou avoir un job de directrice artistique, en tout cas être plus militante, pourquoi pas dans un organisme de sensibilisation sur l’environnement. Actuellement, mon job alimente mon travail. Être illustrateur en campagne c’est bien, mais ça renferme. Je trouve un équilibre social avec le job que j’ai à côté. Je ne le vois pas comme une contrainte. Je vis l’instant présent et je prends ce qu’il y a à prendre ». Le Carpe Diem qu’elle a choisi de suivre l’aidera sans doute à ressortir de ses tiroirs les quelques projets qu’elle a déjà en tête, dont un qui s’inspire de son année en tant qu’assistante éducative (« pionne ») dans un collège. En tout cas, l’envie semble reprendre, petit à petit, comme une certaine forme de renaissance. L’an prochain, Capucine va se marier. Et la meilleure preuve que la fin de l’introspection est en bonne voie, c’est cette carte d’invitation pour le grand jour : elle a pris la forme d’un dépliant sur lequel elle s’est représentée par son petit double dessiné. Il sera sans doute son dernier masque.

L’info en plus : Pour les éventuels esprits créatifs qui seraient intéressés par le concours « Déclics Jeunes » de la Fondation de France, sachez que l’édition 2020 est lancée depuis le 25 septembre et que vous avez jusqu’au 22 novembre pour candidater à cette adresse. À vos cerveaux ! 

Et comme ça n’arrive pas qu’aux autres, voici quelques chiffres sur les accidents de la route impliquant la faune en France.

 
Les collisions faune/véhicules en France
Infogram
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