Cantines : la Nouvelle Aquitaine continue de se mettre au vert


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Cantines : la Nouvelle Aquitaine continue de se mettre au vert

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Temps de lecture 9 min

Publication PUBLIÉ LE 27/03/2018 PAR Romain Béteille

10 millions de tonnes. Ce chiffre (colossal), c’est la quantité d’aliments gaspillés en France chaque année, soit environ 150 kilos par personne, et ce en comptant tous les maillons de la chaîne, comme le révélait une infographie de l’Ademe et du média QQF (« Qu’est ce qu’on fait ?! »), réalisée en mai 2016. Sur ces 150 kilos, une cinquantaine environ (soit 33%) sont gaspillés à la maison où à la cantine, au travers notamment de déchets de préparation, de restes de repas ou même, parfois, de « mauvaise gestion des stocks », comme le précise l’infographie, et environ 29 kilos par français et par an en moyenne. Pour lutter contre ce phénomène, les initiatives se multiplient. Certaines sont privées et font parfois de l’anti-gaspi un argument de vente efficace (Save-Eat et son idée de gestion des dates de péremption ou Too Good To Go et son panier de la dernière chance pour ne citer qu’eux), mais la plupart restent cependant publiques et sporadiques, dans le sens où elles fleurissent un peu partout. La restauration collective est particulièrement sujette aux expérimentations, favorisées politiquement par le pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire. Signé entre l’État et les « représentants des acteurs de la chaîne alimentaire » en 2013, il comporte 11 mesures et un objectif national ambitieux : réduire le gaspillage de 50% à l’horizon 2025, soit une baisse moyenne de 5% par an. Renouvelé en 2017, ce pacte national comporte notamment un volet important autour de la lutte contre le gaspillage dans la restauration collective, un suivi indirect de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 et, plus précisément, de son article L. 541-15-3 et de la loi de 2016  obligeant notamment la restauration collective gérée par les collectivités à faire un effort sur la gestion de leurs déchets alimentaires.

Des actions listées

Bref, c’est un objectif national. Mais est-il tenable localement ? Ambitieux, diront certains. La plupart des mesures prises sont, en effet, du simple bon sens. Récemment, la mairie du 9ème arrondissement de Paris a établi des partenariats permettant une redistribution des repas en trop à une association. Dans une cantine scolaire de Saint-Denis, depuis 2015, on a aboli le pain en libre service et on équilibre la quantité dans les assiettes au cas par cas. Plus proche de nous, ce sont parfois les lycéens qui s’y collent, comme à Mont-de-Marsan  par exemple. Évidemment, le sujet est loin d’être nouveau (on en parlait déjà en Dordogne en 2013 ou au niveau de la Gironde en 2015), mais il a fait son chemin juqu’à arriver sur le bureau de la région, en charge des lycées de Nouvelle Aquitaine. Depuis l’an dernier, plusieurs groupes de travail planchent sur le sujet dans 92 lycées publics des trois académies autour d’un plan régional de lutte contre le gaspillage alimentaire au lycée, prévues pour être financées à hauteur de 316 300 euros dont 100 100 euros fournis par l’Ademe, à ceci près que le plan de financement régional est encore prévisionnel et divisé en projets qui ont fait ou feront l’objet de délibérations votées en Commission permanente, comme le justifiait ce mardi Jean-Louis Nembrini, vice-président de la région en charge de l’Éducation et des Lycées. « Ce n’est pas une ligne budgétaire ni un guichet. Derrière, il y a des votes (…) et chaque action est listée. Il faut que l’on puisse être disponibles pour développer des initiatives locales. Nous avons choisi une approche décentralisée : la région se fixe des objectifs mais son but est de fédérer, pas de décréter une réforme. Les bonnes pratiques ne sont pas toujours généralisables : on approche pas de la même façon un lycée qui sert deux ou trois cent repas qu’un établissement à 1500 repas par jour. Il faut s’adapter à la complexité du territoire, tout en arrivant à éduquer. S’il manque quelqu’un dans la chaîne, le dispositif ne marchera pas », a-t-il confié. Les dispositifs régionaux, à défaut d’être en marche, sont donc du moins en mouvement, et poursuivent plusieurs objectifs chiffrés et concrets : diminuer le gaspillage de 20% la première année et de 30% en trois ans. Les 15 groupes de travail constitués ne sont d’ailleurs qu’une première vague : à termes, les 296 lycées publics pourraient être impliqués. 

Théorie et pratique

À partir de ce premier constat, une question se pose : au-delà des ambitions théoriques, comment se déroule la mise en pratique ? La réponse est en fait multiple. « Ça peut être des projets pédagogiques, de la communication, la transport des élèves quand on fait des regroupements (le dernier a eu lieu à Angoulême)… En termes de matériel, ce qui revient majoritairement, c’est les tables de tri, les bars à salade et les balances pour peser les déchets », détaille l’élue régionale Soraya Ammouche, en charge du dossier, la « madame anti-gaspi » régionale. Florence, chef du service « restauration durable » à la direction éducation de Nouvelle Aquitaine, abonde en exemples. « Le lycée agricole Le Petit Chadignac de Saintes a mis en place des goûters « récréatifs » : à chaque fois que les élèves ou la communauté éducative font un effort sur la réduction du gaspillage, c’est réinvesti dans un goûter avec des produits locaux. Ça stimule les élèves ». Pour Xavier Yvart, proviseur du lycée des Arts et Métiers Toulouse-Lautrec à Bordeaux, les mesures directes sont encore plus concrètes. « On est déjà engagés dans cette démarche depuis 2012 dans le cadre de l’Agenda 21, mais cette initiative régionale est dans la continuité. De notre côté, on a d’abord modifié la structure de notre cuisine en offrant plus de choix, notamment sur les entrées et les plats principaux. Notre cuisine est aussi ouverte le soir pour les 356 internes. Nous disposons d’une commission qui se charge d’élaborer les menus et cette dernière est notamment composée de représentants d’élèves. Ce qu’on constate, c’est qu’on a des demandes de plus en plus diversifiées : des élèves souhaitent manger vegan, d’autres réduire leur consommation de viande… Enfin, on a aussi réduit la taille des portions dans les assiettes et opté pour le pain tranché, les restes étant réemployés pour faire du pain perdu où des toasts par exemple ». Même à de si petites échelles, le défi est plutôt vaste : selon un article du Populaire du Centre rappelant la tenue, entre 2016 et 2017, de trois assises régionales, un euro (sur un coût total de 4,50 euros) par repas finirait à la poubelle dans les cantines de Nouvelle Aquitaine, des chiffres nuancés selon les rapports, mais d’accord sur un point : même si c’est moins, c’est toujours trop. 

Lycée Toulouse-Lautrec Bordeaux

Enjeux économiques

Reste que les établissements scolaires et les élèves, même en nombre et même en mettant en place des mesures, ne peuvent pas faire le job tout seuls (même si d’autres moyens, un peu plus dissuasifs, sont parfois mis en place…). L’un des axes sur lesquels la politique joue pleinement son rôle, c’est celui des marchés publics et les différents appels d’offres qui peuvent être passés dans le modèle de la restauration scolaire soumis, comme les autres, à la concentration de la distribution au sein de laquelle Elior, Sodexo ou Compass, occupant la grande majorité du camembert (80% selon Les Échos), laissent assez peu de place aux autres. Mais là encore, les choses, même minoritairement, sont peut-être vouées à changer. « On observe une réorientation de la commande publique », souligne Florence. « Pour le pain par exemple, la plupart des marchés publics sont liés à des agro-industriels, très peu de boulangeries sont sollicitées. Certains lycées, comme à Niort (Deux-Sèvres), ont interrompu leurs marchés publics avec ces géants agro-alimentaires locaux au profit de la relocalisation de l’alimentation et de l’achat de produits à des boulangers proches. Le gestionnaire agent comptable s’est engagé avec le proviseur à la réinvestir dans des marchés locaux ». Les vases communicants pouvant exister entre les départements (en charge de la restauration dans les collèges) et les régions (pour les lycées mais aussi, par l’intermédiaire du Crous, les universités) sont donc un outil stratégique important pour peser dans la balance purement commerciale. « Il est évident que ceux qui arrivent sur les lignes de self en lycée bénéficient aussi de ce que les autres collectivités auront fait en amont, tout en maintenant un lien avec les CVL (Conseils de Vie Lycéenne) qui, depuis 2010, sous l’autorité des recteurs, sont les conseils de vie lycéenne et collégienne. Il faut aussi s’appuyer sur ces délégués dès le collège pour que, quand ils arrivent en lycée, ils aient déjà été sensibilisés sur ces questions. Enfin, ce lien se fait aussi au niveau des marchés publics : la plupart des lycées sont organisés dans des groupements d’achats publics qui allient collèges et lycées, le fait même d’acheter une offre locale est massifiée tout en étant segmentée pour être plus proche de l’offre. Mais c’est souvent le même fournisseur pour les deux ». « Parmi nos lycées, on a déjà des unités de production qui produisent pour des collégiens et on exporte les repas. Et vice-versa », ajoute Véronique Bernard, responsable régionale au sein du pôle « économie circulaire » de l’Ademe. 

La croisade bio

Il reste, cela dit, pas mal de chemin à faire, d’autant que le gaspillage n’est pas le seul point sur lequel la Région souhaite mettre la priorité : l’approvisionnement en produits locaux et/ou bio (alors même que la filière régionale en discute actuellement à Mussidan) et la réduction des biodéchets est aussi dans le lot. Et là, autant dire que c’est plus compliqué. En décembre 2017, le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert déclarait dans Le Journal du Dimanche que l’objectif de passer à 20% de produits bio et à 50% de « produits sous signes de qualité » dans les cantines publiques d’ici 2022 ferait bien l’objet d’une loi, comme en avait fait le voeu Emmanuel Macron lors des États Généraux de l’alimentation. Si la région Nouvelle Aquitaine est loin d’être en bas de classement sur la question, il reste encore des efforts à faire, notamment pour structurer une offre qui puisse alimenter la totalité des cantines scolaires (mais visiblement, elle y travaille). Pour Véronique Bernard, le sujet est plus transversal : « au niveau des PAT (Plans alimentaires territoriaux), il y a pas mal de travaux sur la préservation des terres agricoles et les ceintures maraîchères car on retrouve, dans certains endroits, pas mal de pression sur le foncier, notamment dans les zones touristiques. Il y a aussi des pépinières pour permettre aux nouveaux agriculteurs d’avoir des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Mais il faut développer l’offre, globalement ». « Avec Interbio Nouvelle Aquitaine, on avance pas à pas pour la structurer. Ce n’est pas le tout de créer un appel d’air au niveau des marchés publics, il faut aussi que la profession s’organise. On ne peut plus être au coup par coup et faire un repas thématique par an qui ferait du bio », continue Florence. « On essaie de faire le plus possible. Notre objectif, c’est 60% en circuit court, et 20% en bio local d’ici 2021. Après, il y a des questions purement techniques : on ne peut pas simplement faire du bio ponctuellement avec une poignée de producteurs de proximité, il faut fournir des centaines de repas par jour. Il y a des questions lourdes de réseaux et d’organisation derrière. On s’est d’ailleurs fixé un seuil de 20% fermes, ça a été voté par l’assemblée régionale en décembre 2016. Nous essayons de nous fixer des objectifs atteignables. Quand on vote quelque chose, il faut rendre des comptes », termine Jean-Louis Nembrini. C’est bien là tout le défi. Au lycée Toulouse-Lautrec, on reste pour l’instant à quelques repas thématiques entièrement bio chaque année, mais on aimerait pouvoir financer un compost installé dans la cantine. Un appel du pied convenu : en juin, l’Ademe Nouvelle Aquitaine devrait lancer un nouvel appel à projet environnemental visant justement, « en amont », comme le dit Lionel Poitevin son directeur régional, « et cibler la production agricole, l’industrie et la transformation ». La lutte contre le gaspillage alimentaire va donc bien au-delà du contenu des assiettes des lycéens et collégiens du territoire : au niveau national, ce dernier est, tous secteurs confondus, facturé à 16 milliards d’euros par an. 

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