Bordeaux en ordre de marche contre le compteur « Linky »


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Bordeaux en ordre de marche contre le compteur "Linky"

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Temps de lecture 12 min

Publication PUBLIÉ LE 26/04/2018 PAR Romain Béteille

Mobilisation nationale

Les débats sur les nouveaux compteurs connectés « Linky » installés par Enedis (filiale d’EDF) ne datent pas d’hier. Même si l’objectif d’en déployer 35 millions d’ici la fin de l’année 2021 est toujours la priorité de l’entreprise, les protestations se multiplient sur plusieurs fronts. Début avril, l’avocate Corinne Lepage (ancienne ministre de l’environnement) a lancé une action collective au niveau national pour demander un moratoire de l’installation de ces compteurs, au nom du principe de précaution, et la réalisation d’études scientifiques en évaluant les effets sur la santé du consommateur. L’avocat au Barreau de Paris Arnaud Durand, spécialisé dans la défense des victimes de dommages liés aux ondes électromagnétiques, compte déposer un référé au début du mois de juin auprès d’une vingtaine de Tribunaux de Grande Instance, dont celui de Bordeaux. Mais que reproche-t-on à ce nouveau compteur, au juste ? Les rapports ne manquent pas sur le sujet, est les défenseurs s’en servent autant que les anti, mais les deux ne se servent pas forcément des mêmes. Dans celui du Comité Scientifique et Technique du Bâtiment datant du 27 janvier 2017 aux conclusions assez édifiantes, il est notamment précisé que le compteur émettait un signal, certes très faible, mais quasi-permanent (entre quatre et dix trames par minute). En 2009, l’Anses (Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) soulignait que « peu d’études » étaient disponibles « concernant les effets des champs électromagnétiques de ces fréquences (baptisées CPL pour Courant Porteur en Ligne). Ce même organisme concluait, en 2017, « sur la base de la vraisemblance » que ces appareils ne présentaient pas un risque pour la santé à court ou long terme sans que les études qu’elle avait jugé nécessaires en 2009 n’aient vraiment été entreprises.

Actuellement, environ 28 000 compteurs Linky sont posés par jour un peu partout en France, et cette action collective en référé, qui compte actuellement 4610 participants, compte bien faire valoir dans la vingtaine de tribunaux au sein desquels ces procédures seront lancées en juin, les éventuels problèmes sur la santé des consommateurs parmi ses arguments principaux. Ce qu’expriment ces demandes, c’est d’abord de revenir, pour les personnes chez qui le compteur a déjà été posé, à l’ancien système. Pour les autres, l’action collective souhaite « enjoindre à Enedis de ne pas poser de Linky et de ne pas modifier la nature de l’électricité délivrée (les fameuses 36 nouvelles fréquences évoquées plus haut). C’est là que ça devient complexe et qu’on a demandé à Arnaud Durand d’éclarcir un peu les choses. « Enedis a choisi ce procédé polluant qu’est le CPL : elle communique via les câbles électriques mais comme ils ne sont pas conçus pour, vu que c’est une communication très hasardeuse qui ne fonctionne pas toujours très bien (d’où le fait qu’elle le fasse souvent la nuit vu qu’il y a moins d’appareils allumés), ça génère des champs électromagnétiques autour des câbles qui sont dans les maisons. On vit dans un appareil qui émet à de faibles valeurs mais de manière quasi-permanente, ça s’appelle la maison. C’est le juge qui tranchera, mais cet aspect sanitaire est très sérieux et basé sur des documents officiels », assure le spécialiste. « On ajoute une deuxième procédure, on ne se contente pas de dire qu’il faudrait faire des études, on les réclame. MySmartCab (la plateforme créé par Arnaud Durand pour centraliser les procédures et servir de support, qui demande une inscription facturée 48 euros pour s’associer à la démarche) a un autre recours, national celui-là, piloté par Corinne Lepage, qui sollicite le Ministre de la Transition Écologique et la Ministre de la Santé et des Solidarités pour faire ces études que l’ANSES a réclamées. L’alerte va partir d’ici deux semaines, il y aura une mise en demeure juste avant. La question que l’on pose, c’est pourquoi continuer à déployer ce système jugé incertain par les agences. Les ministres auront deux mois pour trancher. Pour Mr Hulot ça va supposer qu’il se détache un peu plus d’EDF dans son attachement personnel. Aujourd’hui, plus d’une vingtaine de questions parlementaires sur Linky lui ont été posées, il n’a pratiquement répondu à aucune. Si leur réponse est négative ou insuffisante, Corinne Lepage saisira le Tribunal Administratif de Paris au nom d’un très grand nombre de demandeurs », assure Arnaud Durand.

Déclinaison locale

Pour ce qui est des moyens usités par les avocats dans cette procédure, ils sont au nombre de trois, précise Pierre Hurmic, avocat et élu écologiste à la mairie de Bordeaux, chargé de suivre le dossier au niveau local. « D’abord, il y a la liberté de choix. C’est un problème de liberté puisque cette installation se fait à marche forcée ». Ces méthodes sont régulièrement dénoncées par des associations et collectifs de défense. Au niveau régional, on peut par exemple citer (parmi tant d’autres) l’action organisée à Bayonne en octobre 2017. « À notre sens, du point de vue du droit de la consommation, il faudrait un accord du consommateur. Enedis leur dit « vous n’êtes pas obligés, mais nous le sommes ». Il y a des stratagèmes, des ruses, des déplacements de voitures garées devant les compteurs, c’est un vrai combat », précise Arnaud Durand. « Pourquoi l’entreprise fait-elle ça alors même que la police judiciaire a un nombre d’obligations bien plus importantes que celles d’Enedis et ça ne lui donne pas le droit de violer le domicile des habitants et de faire n’importe quoi… Elle est très motivée parce qu’elle veut changer la nature du courant électrique. Le business extrêmement juteux du big data peut servir de prétexte à transformer l’électricité, qui est aujourd’hui la délivrance d’une source d’énergie à un appareil, en un réseau informatique pour communiquer avec des appareils qui seront équipés d’une puce (Linky Ready) et capter avec des appareils qui n’en seraient pas équipés mais pour lesquels le compteur est conçu pour savoir ce qu’il se passe à l’intérieur de la maison. Très concrètement, vous prenez une télévision placée sur une chaîne en particulier. En fonction de ce qu’il y a sur cette chaîne, ça créé une sorte de musique électronique dans les câbles, un feedback qui peut être écouté et analysé. Linky dit aujourd’hui que le compteur n’est pas programmé pour faire ça… mais il est conçu pour le faire ». Il faut dire que les arguments des anti-Linky ne manquent pas de preuves. Patrick Belard, président de l’ARRP 91, une association de riverains basée à Yerres, dans l’Essonne, sort régulièrement de son chapeau un document édité par Enedis qui précise aux poseurs de compteurs la marche à suivre pour faire face au refus des consommateurs, et il est plutôt…parlant. Cet associatif ne manque d’ailleurs aucune occasion, des multiples réunions de quartier au colloque du 9 avril dernier organisé à l’Assemblée Nationale qui réunissait des élus aux médecins en passant par les professionnels de la finance ou du droit du travail. 

Le deuxième moyen utilisé dans la procédure, c’est le droit au respect de la santé « pour ceux qui sont déjà malades, les personnes électrosensibles sont de plus en plus nombreuses et elles ne sont pas prises en compte par cette pose autoritaire des compteurs. Pour ceux qui ne se sont pas encore, qui le seront peut-être demain, parce qu’ils ont aussi droit au respect de leur santé », précise Pierre Hurmic. Stephane Renwez est membre du collectif Stop Linky sur la métropole de Bordeaux. Pour lui, la mobilisation est partie de la situation de son épouse, « électrohypersensible, elle ressent les ondes cliniquement. Ça se traduit par des problèmes de cervicales, des maux de tête, des troubles du sommeil… autrement dit des symptômes communs. On a senti qu’il fallait être précautionneux. On n’avait pas de compteurs Linky chez nous mais on était quand même arrosé par les ondes des voisins. Aujourd’hui, Enedis ne nous fait pas payer ce refus, mais nous sommes harcelés par téléphone, on ne répond plus quand nous ne connaissons pas le numéro ». Là encore, au niveau des effets sur la santé, les différentes études réalisées sont souvent contradictoires. Le Ministère de la transition écologique et solidaire écrivait en 2014, dans un rapport intitulé « L’environnement en France », précise que, « en ce qui concerne de possibles effets à long terme, il existe une forte convergence entre les différentes évaluations des expertises internationales (organisations, groupes d’experts ou groupes de recherche) qui se maintient dans le temps. Alors qu’aucun élément probant chez l’adulte n’est disponible, une association statistique entre exposition aux champs magnétiques ELF et leucémie infantile a été observée par différentes études épidémiologiques. Toutefois, aucun mécanisme d’action biologique n’a été identifié à ce jour. Ces incertitudes ont amené le Circ à classer en 2002 les champs magnétiques de très basses fréquences (50-60 Hz) dans le groupe 2B (cancérigène possible pour l’Homme). Le lien de causalité entre exposition et effet sur la santé n’est donc pas établi et des recherches scientifiques sur les mécanismes d’action biologiques doivent être poursuivies ».

L’Anses, elle, rétorquait en juin 2017 que, bien que « les données obtenues mettent en évidence un nombre de communications CPL dans les logements plus élevé que celui initialement anticipé sur la base des informations fournies par l’opérateur, entraînant une durée d’exposition plus longue que prévue au domicile, les niveaux de champ électromagnétique ne sont pas plus élevés ». Le problème, c’est que cette bataille d’études ne mène pas forcément à une remise en question et que le combat de MySmartCab peut paraitre légèrement paranoïaque auprès des défenseurs d’Enedis, même lorsque L’Anses préconise un effort de recherche pour les personnes hypersensibles. « L’ANSES précise qu’il y a des éléments probants qui confirment qu’il faut continuer les études, c’est martelé à chaque fois. Dans son rapport de juin 2017, il préconise aux personnes qui le souhaiteraient de mettre un filtre à la sortie du compteur-disjoncteur. Il n’y a pas de pollution atmosphérique mais vous mettez un masque quand on émet une alerte aux particules. Il n’y a pas de pollution électromagnétique mais vous mettez un filtre… Dans les chambres d’étudiants de 18 à 25 mètres carrés, il est préconisé de mettre un écran léger pour protéger le compteur. Si ça ne rayonne pas, s’il y a innocuité comme le dit Enedis, pourquoi de telles précautions ? », se demande encore Patrick Belard. 

Guerre des nerfs

Car la guerre d’Enedis, selon Arnaud Durand, est avant tout économique. « La plupart de leurs arguments sont démentis dès que l’on fait des analyses. Une adresse e-mail ne coûte plus très chère, aujourd’hui, quelques dizaines de centimes. Par contre, si elle est associée à un comportement, à une présence dans le foyer ou l’analyse précise de ce qu’il se passe dans un foyer la nuit… un dossier médical pour une assurance, ça vaut de l’or, jusqu’à cent euros par personne. On sait que la tendance naturelle, quand on a la capacité de disposer de telles informations, c’est une adaptation du marché et un assouplissement des règles de droit. C’est un cheval de Troie un peu plus magique, puisqu’on peut changer le contenu à posteriori vu qu’il est programmable à distance. Il s’agit d’installer matériellement ce qui permet de faire ce que l’on veut ensuite. Il ne manque que les images ». De ce constat à charge découle d’ailleurs le troisième argument de la procédure, le droit au respect de la vie privée. Avec ses propres mots, Pierre Hurmic dénonce : « ce n’est pas un compteur que l’on vient vous installer chez vous, c’est un véritable ordinateur qui est piloté depuis l’extérieur, avec toutes les caractéristiques associées : un logiciel, des capteurs, un microprocesseur… il recueille des données fondamentales qui peuvent se retrouver demain sur le marché. On qualifie ce compteur d’intelligent, il l’est surtout pour EDF, mais il n’apporte rien au consommateur (ces propos sont justifiés par un dernier jugement de la Cour des Comptes, qui en arrive aux mêmes conclusions), il n’incite à aucune mesure d’économie d’énergie ». Du côté d’Enedis, on assure que le relevé de consommation mensuel est un argument massue pour inciter à d’éventuelles économies énergétiques de la part du consommateur. Mais pour les avocats, l’enjeu est ailleurs. À ce titre, l’interview de Philippe Monloubou, président du directoire d’Enedis, réalisée en juin 2016, ne fait pas mystères des ambitions très « big data » d’Enedis, tout en réfutant la dangerosité supposée des ondes émises par le compteur Linky. « L’ensemble des compteurs qui sont plus énergivores, les équipements qui sont montés dans les centres transformateurs, les équipements mobiles qui vont être ajoutés, les data center qui vont être utilisés pour traiter l’information… tout ça, ça pèse entre 0,5 et 0,9 terrawatts, soit 900 mégawatts. 900 mégawatts, c’est une tranche de centrale nucléaire, c’est l’Ademe elle même qui le dit. Le compteur Linky seul, ne rayonne pas plus que votre cafetière, votre machine à laver ou votre frigo, c’est démontré. C’est l’ensemble composé par le compteur et les ondes CPL qui pose problème », termine Patrick Belard.

Si l’on devra encore attendre le résultat de cette action groupée, il est en revanche difficile de prévoir leurs conséquences, car la bataille juridique de MySmartcab est loin d’être la seule. En mars dernier, la cour d’appel de Grenoble a par exemple tranché en faveur d’Enedis et débouté un couple qui s’opposait à l’installation du compteur. De l’autre côté, l’un des principaux adversaires girondins de Linky, Stéphane Lhomme, membre du conseil municipal de la commune de Saint-Macaire, a obtenu gain de cause le 11 janvier dernier contre l’association de consommateur Que Choisir, mais ce duel sémantique ne concernait pas directement la pose des compteurs Linky. Au niveau local, pourtant, les élus girondins s’organisent petit-à-petit. Bordeaux Métropole, malgré la création d’un Conseil consultatif et de suivi de la mise en place de Linky (présidé par l’élue Anne Walryck), a choisi de ne pas s’opposer au déploiement de Linky, avec des arguments entendables. Mais même si un tiers des abonnés girondins sont équipés d’un nouveau compteur (246 000 sur les 946 000 abonnés), « Bordeaux et la Gironde sont particulièrement concernées par ce problème », affirme Pierre Hurmic. « Je suis content de voir que c’est une terre de résistance, il y a beaucoup d’évènements qui se déroulent en Gironde, la mobilisation ne s’étiole pas au fur et à mesure de la pose des compteurs : au contraire, elle grandit contrairement à ce que l’on pourrait penser. Il y a des groupes « Stop Linky » qui ont vu le jour un peu partout, notamment sur la métropole, à Andernos, Artigues, Libourne, La Teste-de-Buch ou Lormont. Dix communes refusent cette pose (dont Saint-Macaire), sur 594 en France, 14 autres ont affiché un soutien envers les opposants au compteur Linky, notamment Talence, Pessac, Bègles ou Libourne. Beaucoup d’élus veulent aussi que les mairies prennent position ».

Et ces désirs sont parfois accueillis avec réserve. « À la mairie de Bordeaux, cela fait plusieurs années que les élus demandent aux maires d’organiser des réunions d’information dans les quartiers pour avoir une information objective et pluraliste sur la pose des compteurs Linky, ça ne s’est jamais fait. On a voulu concrétiser les choses en présentant une motion au conseil municipal du 29 janvier dernier demandant au maire d’organiser des réunions et d’adresser un courrier à Enedis lui demandant de respecter le libre choix de chaque bordelais. Il a refusé de mettre cette motion au vote, ce qui est assez rare et bien la preuve que le sujet gêne un peu ». Une manifestation nationale Stop Linky aura d’ailleurs lieu le samedi 5 mai prochain, avec une déclinaison bordelaise dès 15h Place de la Victoire. La dernière avait réuni 150 personnes, ce qui ne pesait pas bien lourd face au comptage du nombre de compteurs installés chaque jour sur le département. Quant au consommateur, la Cnil précise bien dans que « la généralisation des compteurs résulte d’une obligation légale de modernisation des réseaux qui répond à des directives européennes. vous n’avez donc pas le droit de vous opposer au changement du compteur d’énergie de votre logement », que ce soit pour Linky ou « Gazpar » (compteur à gaz), même si les violations de domicile n’ont pas encore atteint le statut de la légalité.  Actuellement, entre 170 et 179 personnes en région Nouvelle Aquitaine sont associées à la démarche entamée par Arnaud Durand, dans les départements de la Gironde, du Lot-et-Garonne et de la Dordogne, mais celles souhaitant faire valoir leur refus du compteur peuvent s’inscrire jusqu’au 6 mai prochain. La décision du Tribunal de Grande Instance, elle, devrait être connue à la fin du mois de juin, et les avocats espèrent obtenir des jurisprudences. Les résultats devraient en tout cas être scrutés de près par les deux camps.

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