Aqui! : Bordeaux 2013 – Quelle image aimeriez-vous que l’on projette de Bordeaux ville européenne, ville de culture et d’histoire ?
Alain Juppé : J’aimerais que l’on fasse le lien entre histoire et modernité. Aujourd’hui Bordeauxsouffredans son image, dans sa modernité. Vous prononcez le nom de Bordeaux ? On vous répond, immédiatement, le vin, l’Unesco, l’architecture et l’histoire: ce sont des atouts merveilleux qu’il faut utiliser à fond mais Bordeaux, c’est aussi une ville du XXI° siècle, une ville danslaquelle la recherche et l’innovation sont très présentes ; nous avons une Université qui vient de se rassembler dans un pôle de recherche et d’enseignement supérieur unique, un ensemble tout juste labellisé parmi les six grandes universitésfrançaises qui ont vocation à devenir des campus d’excellence. C’est cette image-là, de lien entre un passé riche et aussi une projection vers l’avenir, la transformation de cette ville pour qu’elle devienne une vraie métropole européenne, sur laquelle je voudrais mettre l’accent à propos de 2013. IL faut que 2013 soit cette marche qui nous permette de passer de statut de grande ville française de province à celui de métropole européenne à part entière.
L’image du vin est tellement forte
@! : Pourquoi cette image persistante ?
A. J. : Parce que nous avons une image trop forte ! l’image du vin est tellement puissante qu’elle finit par occulter le reste ; il ne faut pas la gommer; je raconte toujours la petite anecdotesuivante que je trouve savoureuse : j’en prenais encore conscience il y a quelques jours en rentrant à Bordeaux par l’autoroute A 10: il a fallu des années et des années pour que dans la signalétiqueautoroutière de Bordeaux, à coté d’une grappe de raisin etde la façade du Grand Théâtre, on mette un panneau montrant un avion et une fusée.C’est çà Bordeaux, c’est l’histoire et le futur.
En « avoir envie »
@! : L’enjeu dites-vous c’est maintenant de mobiliser la ville ? Par quels biais, autour dequels événements ?
A. J. : A partir d’un dossier de pré-candidature, foisonnant, où nous avonsévoqué, justement, note histoire, cet esprit des lumières, cette modération chère aussi bien à Montaigne qu’à Montesquieu et qui est, en quelque sorte ,dans les gênes des Girondins ; ce qui a été, également, appelé ce territoire des commencements, le commencement de l’homme avec le chemin de Lascaux et les chemins vers l’Océan, la vocation atlantiquede Bordeaux : l’enjeu, maintenant, de tout cela c’est de trouver le fil rouge.Lethème fédérateur qui nous permettra en septembre, devant le jury, de convaincre. La candidature de Bordeaux s’appuie sur cet enjeu, cette ambition. D’ici là, il faut poursuivre les recommandations du jury montrer que « la ville en a envie ». Nous avons prévu plusieurs manifestations populaires. A l’occasion de la Fête du vin, dans quelques jours, où plusieurs dizaines de milliers de bordelais, de gens de l’agglomération, de la région seront présents. Un autre moment fort, aura lieu au stade Chaban-Delmas, au mois d’août lors d’un match important de championnat.Et nous allons,selon la bonne formule, pelliculer le tramway parce qu’il est le support extraordinaire qui circule dans les quartiers de Bordeaux; on l’a vu déjà pendant la Coupe du monde de rugby ; nous allons essayer aussi de mettre l‘accent sur les relations de chacune des 27 villes de la Communauté Urbaine avec les villes européennes partenaires, celles qui leur sont jumelées pour bien insister sur la dimension européenne de notre candidature
Le nouvel arc de croissance de Bordeaux
@! : Et les grands projets dont vous avez parlé pendant la campagne électorale comme le centre Euratlantique ? il y a une certaine cohérence avec l’ancrage atlantique de Bx 2013
A. J. : Ce projet Euratlantique, je voudrais le resituer dans ce que j’appelle l’arc de croissance urbain. Bordeaux, si elle veut devenir une capitale européenne, doit gagner en population, en emploi et activités, continuer à se développeret à s’urbaniser ; nous avons la chance d’avoirtout au long de cet arc de croissance des sites que nous allons pouvoir urbaniser: les berges du lac, les bassins à flots, le débouché du pont Bacalan à la Bastide,la Zac la Bastide Niel, la Zac des Champs, le pont Jean Jacques Bosc et cet ensemble Euratlantique qui n’est pas seulement un Centre d’affaires international autour de la gare, mais le remodelage entier d’un vaste secteur qui va depuis le quartierSaint-Jean jusqu’à Bègleset Floirac de l’autre coté du fleuve. Voilà, c’est là, les 20 ans de transformation à venir de Bordeaux; c’est là que ça va se passer .
30.000 habitants supplémentaires
@! : Pendant la campagne électorale il a beaucoup été question du logement, des besoins nouveaux et insatisfaits ?
A. J. : Les logements , on ne va pas les faire dans la ville finie; certes, il faut continuer à réhabiliter le centre historique et ça avance bien ; il y a des secteurs auxquels il va falloir que nous nous intéressions de façon plus active : je pense, par exemple, au cours de l’Yser au cours de la Somme ; il y a des quartiers,là, qui ne sont pas en bonne santé : il est probable, et même souhaitable, que nous étendions nos opérations d’amélioration de l’habitat à ces secteurs mais les grands secteurs porteurs d’avenir, dans lesquels on peut construire 10.000 logements dans les années à venir ce sont ces zones d’aménagement qui se succèdent sur l’arc de croissance que j’ai évoqué. C’est là que nous pourrons accueillir 30.000 habitants supplémentaires. Et ceci avec une double exigence : la mixité sociale, au minimum 30% de logements sociaux et la mixité fonctionnelle, c’est à dire non pas des quartiers où l’on dort et, plus loin, des secteurs où l’on va travailler mais essayer, au contraire, de mettre ensemble des zones d’activités et des zones de logements.
La rocade ? Le dossier qui m’inquiète le plus
@! : Et pour que Bordeaux se développe il est important d’arriver au bout des dossiers structurants ?
A. J. : Pour la LGV, les choses vont avancer au moins sur Tours-Bordeaux; en revanche c’est plus compliqué pour la suite, Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Hendaye, et, là, on est loin encore d’être dans la phase opérationnelle. Sur les infrastructures qui dépendent de la Cub, le pont Bacalan-Bastide est une priorité absolue ainsi que la mise à deux fois trois voies de la rocade qui est un projet d’Etat. C’est sur ce dossier que je suis le plus inquiet: quand j’entends le préfet nous parler de 2.020 pour la mise à 2X3 voies ce n’est pas supportable : quels que soient les efforts que nous fassions sur les transports collectifs – et la CUB a un programme de travail considérable, et plus de 700 millions d’euros à y investir dans les cinq ans qui viennent-on n’effacera pas le véhiculeindividuel et il faut adapter nos voieries, et en particulier la rocade, à ce trafic.
@! : Sur le ferroviaire les dossiers vont-ils enfin avancer ?
A. J. : La SNCF a un peu bougé ; elle a entrepris une réforme de son secteur fret et j’ai cru voir que pour la première fois depuis longtemps les comptes du fret ferroviaire s’amélioraient ; c’est aussi un domaine où la concurrence peut jouer puisque d’autres opérateurs peuvent se lancer dans le domaine ferroviaire. Je crois qu’il y une décision difficile à prendre, surtout dans le contexteactuel de renchérissement des carburants mais qu’il faudra bien prendre, un jour ou l’autre, c’est la taxation du trafic routier international ; on ne peut pas continuer à laisser le fret routier cannibaliser le fret maritime et le fret ferroviaire
@! : Justement, pourquoi ce qui a été possible en Allemagne et par voie de conséquence, en Alsace, ne le serait pas ici dans une région frontalière ?
A. J. : Je pense que c’est possible :il faut avoir le courage de le décider mais ce n’est jamais le bon moment ; aujourd’hui au moment ou le gazole augmente,imaginez si on annonce aux transporteurs routiers qu’on leur colle une taxe ….mais on peut la moduler ; ce doit être compatible avec les règles européennes , taxer le grand transport international,et pas le transport régional de proximité.
@! : Cette hausse, qui semble désormais inéluctable, des carburants c’est une raison supplémentaire d’investir dans les énergies renouvelables, de mettre le paquet…
A.J. : Bien sûr; il y a deux attitudes possibles et on l’a vu, ces jours-ci, lors d’un débat au bureau de la Communauté Urbaine. Ou bien on considère que c’est une catastrophe et qu’il faut juguler la hausse en baissant les taxes ; c’est un raisonnement de court terme même s’il y a peut-être des modulations à faire pour certaines professions je pense aux pêcheurs. Ou l’on adopte l’autre attitude, celle qui consiste à dire le renchérissement des carburants fossilesva nous obliger à changer nos comportements :c’est çà l’avenir. Les réserves de pétrole sont en voie d’épuisement: c’est trente ans, quarante ans ? On ne saitpas trop mais elles le sont et, si on n’arrive pas à changer les choses, on va vers des catastrophes.
Le développement durable n’est pas une punition
@! : Est-ce que vous ne pensez pas qu’on devrait être dans un schéma semblable, même si les causes ne sont pas les mêmes, à ce qui s’est passé, au moment du premier choc pétrolier, en 1973? Sous l’empire des nécessités on a vu les chose bouger…
A. J. : Oui mais ça a duré combien de temps ?
@! : Croyez-vous vraiment que les choses bougent, que les pouvoirs publics agissent avec assez de vigueur ?
A. J. : Nous avons accéléré; c’est l’objet du Grenelle de l’Environnement. On y a abouti à des conclusions très positives. Attendons : un texte de loi va être déposé avant l’été ;j’espère que les choses vont avancer, s’agissant des transports,de l’habitat qui est un enjeu considérable parce que l’on oublie de rappeler qu’il est le principal secteur émetteur de gaz à effet de serre et non pas le transport et l’industrie. Dans l’habitat ancien, en particulier les enjeux sont considérables avec des aspects très positifs. Un expert expliquait, récemment, que la réhabilitation du logement ancien, dans le domaine de l’isolation, du rendement énergétique, ce sont 100.000 emplois qui peuvent être créés dans les prochaines années dans le bâtiment. Une nouvelle forme de croissance ne doitpas être négligée : pour moi le développement durable ce n’est pas une punition que nous aurions à nous infliger, c’est l’invention d’un mode de vie qui peut être plus sympathique, plus libre, plus respectueux de la nature, plus authentique.
Un sujet de bonheur
@! : Est-ce qu’à la faveur de votre réélection, vous avez épousé, l’art « d‘être heureux en politique ? ».
A. J. : Oui… enfin,ce que je fais aujourd’hui m’apporte beaucoup de satisfactions ; dans le métier de maire que j’ai décidéd’exercer à plein temps, parce que les bordelais l’ont décidé, il y a une extraordinaire richesse. D’un côté la facette proximité avec les gens, les problèmes de la vie quotidiennetrès concrets: la propreté, la sécurité, les écoles, l’alimentation, la santé ; et de l’autre la vision d’une agglomération à dix ans, à quinze ans. Il y a peu de responsabilités où l’on peut à la fois, avoir ce rapport avec la vie quotidienne des gens et travailler à des projets d’avenir. Oui, c’est un sujet de bonheur.
@! : Ce sentiment du pouvoir, au niveau local, au contact des gens n’est-il pas plus gratifiant qu’au sommet de la pyramide ?
A. J. : D’une certaine manière, c’est vrai que lorsqu’on décide, au niveau local, de construire une école, de faire une crèche, d’aménager un quartier, on a le sentiment qu’on peut embrayer sur la réalité. Au gouvernement c’est plus difficile. Cela dit, si certains s’imaginent qu’un maire est tout puissant et qu’il peut céder à l’ivresse du pouvoir,ils se trompent car les contraintes, les lourdeurs, les contre pouvoirs sont nombreux et efficaces. C’est une sorte de bagarre permanente. C’est comme cela que je conçois mon rôle, non pas commander ou contrôler, mais impulser pour faire avancer les choses.
@! : Il faut chercher plus longuement le compromis ?
A. J. : Très certainement, et c’est une modification radicale dans les rapports de forces et de pouvoirs. C’est une idée qui m’est chère depuis longtemps ; le facteur déclenchant ce n’est pas internet, contrairement à ce que l’on nous raconte aujourd’hui mais l’élévation du niveau de formation et d’éducation des gens.
Lorsque 80% de la population accède au niveau des études secondaires, ça change tout, dans l’enseignement, la santé, la gestion collective. Deux secteurs me frappent particulièrement : celui de l’enseignement d’abord. Combien d’enseignants disent que dans les réunions, les parentsd’élèves arrivent en expliquant aux profs ce qu’il faut faire et comment il faut enseigner ; je me rapporte à mon enfance et j’imagine mal mes parents aller expliquer aux profs comment faire la classe; et je ne porte pas de jugement de valeur en disant cela. Même chose avec la médecine : je rencontre de plus en plus de médecins qui me disent qu’ils reçoivent de plus en plus de patients leur disant : nous sommes allés sur internet, nous avons fait notre diagnostic et connaissons la thérapeutique…
Quand le blog change la gouvernance
@! : Il ne leur manque plus qu’une validation…
A. J. : En effet, Internet apporte, maintenant, un instrument prodigieusement efficace qui permet d’aller jusqu’au bout de cette redistribution des cartes. Je viens d’avoir un déjeuner avec des bloggeurs, deux d’origine canadienne. L’unm’expliquait comment des entreprises utilisent les blogs individuels pour changer le management et la gouvernance d’entreprise. Ces gens venaient d’une très grande entreprise « HydroQuébec ». Les blogs individuels permettentde constituer la mémoire de l’entreprise.Commentpar exemple créer un site internet de quartier, de proximité, ce que j’aimerais faire au niveau de la ville pour que les gens puissent réellement participer au débat… C’est compliqué, c’est lourd, tout le monde n’ a pasun point de vue autorisé sur toutmais ce qui se développe,aujourd’hui, est fascinant et rend l’exercice de l’autorité différent.
Propos recueillis par Joêl Aubert