Abdel Ahabchane, directeur d’O2 radio : « Quand on tue pour faire taire, la pensée devient une autoroute »


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Abdel Ahabchane, directeur d'O2 radio : "Quand on tue pour faire taire, la pensée devient une autoroute"

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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 06/01/2015 PAR Romain Béteille

Frappé par l’élan de soutien qui a mobilisé plus de 100 000 français dans les rues au lendemain du drame, Abdel Ahabchane souligne son admiration profonde pour ce « slogan », inventé par Joachim Roncin, jeune directeur artistique de la revue « Stylist » une demi-heure après l’annonce du carnage. « Ce message là est très fort. Derrière ce slogan, ce n’est pas uniquement de la compassion qui apparaît, c’est aussi une volonté de soutenir une identité commune. Affirmer la possibilité d’exprimer sa liberté de conscience, c’est aussi se réaliser tels que l’on est. Ca prouve à quel point les médias sont médiateurs, à quel point ils rassemblent ».

Un passé engagé

Abdel Ahabchane a vécu 20 ans au Maroc. Dès l’âge de 15 ans, il était engagé dans la vie sociale et culturelle. « On était toute une bande qui faisait partie d’une association qui s’appelait « Khemisset », dans une petite ville proche de Meknès et on avait monté une troupe de théâtre engagé qui jouait des textes de Camus, Tolstoï ou de célèbres écrivains du monde arabe. Je me souviens d’un certain Kamel, un ancien prof de littérature française qui se faisait questionner sur l’existence de Dieu. Il avait répondu « Dieu est juste une idée ». La preuve que toute opinion est bonne à entendre, dès lors qu’elle n’est pas suivie d’actes comme ceux qui ont été commis mercredi ». Abdel cumule toutes les casquettes : travailleur social dans les centres, militant syndical, conseiller municipal… Des postes qui, pour lui, se ressemblent. « On porte la même parole à travers tous ces engagements. Ca touche à notre liberté, à notre compassion et à notre humanité ». 

L’attentat de Charlie, il l’a vécu comme une véritable rupture au sein de la société : « J’ai compris tout de suite qu’il y aurait un avant et un après 7 janvier 2015. Personne n’y est indifférent. Même mon fils de 13 ans m’en a parlé parce que leur prof d’histoire leur avait raconté d’où venait ce journal. C’est un élan extraordinaire qui, même s’il part d’un malheur, se base sur l’espérance ». Hier, à midi, journée de deuil national, le pays s’est arrêté pendant une minute à midi. O2 Radio a aussi cessé d’émettre pendant cette minute symbolique, et Abdel Ahabchane était présent dans les locaux de la radio. « De mémoire, je n’ai jamais connu une minute de silence aussi importante. C’était plus qu’un soutien, c’était une réponse ». 

« Quelque chose a changé »

Forcément, cet attentat lui rappelle de mauvais souvenirs, des artistes, journalistes, écrivains tombés en Algérie ou au Liban. « Certains pays n’ont qu’un seul média, ils ne veulent pas s’ouvrir sur l’extérieur, tout est dicté. Tuez quelqu’un pour ne plus qu’il s’exprime et la pensée devient une autoroute », avoue l’homme de 53 ans. C’est justement pour cette diversité qu’il avait décidé avec une bande de copains, un jour de juillet 1997, de fonder O2 radio, une radio associative de Cenon près de Bordeaux.

Pourtant, il continue à se questionner sur le monde d’aujourd’hui par rapport à ce qu’il était, il y a à peine 30 ans. « Il y avait déjà des attentats dans les années 80, certains mouvements extrémistes sont très anciens. Mais aujourd’hui quelque chose à changé. Je me dis que, peut-être, quelque chose nous a échappé en France. On n’a pas pris conscience assez vite de ces hommes devenus les instruments d’une idéologie ». Pour le Franco-Marocain, la première réponse aura donc été cette mobilisation des citoyens, la deuxième sera logiquement celle que le journal puisse continuer. « Ils ont besoin de 5000 abonnements, et à la radio nous allons lancer des appels pour que les gens s’abonnent. Nous allons appeller aussi tous les gens sur notre antenne à se rendre à la manifestation prévue dimanche à la place des Quinconces à Bordeaux dès 14 heures 30 » (à l’appel de la LDH, SOS racisme, la Licra et le MRAP).

« Le message à faire passer est simple », conclut Abdel Ahabchane, « il faut redire tout ce que l’on a en commun. C’est cette homogénéité des valeurs qui garantit notre union et notre singularité. Sans cela, on ne trouvera jamais d’issue ». En guise de soutien , ce fameux message de 3 mots qu’il tient dans la main tandis qu’à côté, les locaux bruissent encore d’une rédaction plurielle en effervescence, qu’il s’apprête lui aussi à rejoindre. Comme si être directeur d’une radio qui ne cesse pas d’émettre, c’était une manière pour Abdel de refuser de se taire. 

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