Des rues de négriers renommées symboliquement par des collégiens


Sabine T
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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 29/05/2019 PAR Sabine Taverdet

Accompagnés du directeur de l’établissement, de leur professeure d’histoire-géographie et de l’artiste rédisente du collège, la vingtaine d’élèves se massent autour de l’affiche qui sera dévoilée aux passants dans quelques minutes. Mais d’abord, l’instant est au recueillement et Karfa Diallo de l’association « Mémoires et Partages » témoigne de sa gratitude à l’assemblée. « Nous sommes au lendemain de la commémoration de l’esclavage en Guadeloupe. La fin de l’esclavage est célébrée le 10 mai en France, mais le décret a mis un mois à arriver sur le territoire et, là-bas, la journée est fériée. Il n’en est pas de même en France mais votre initiative remet les choses à leurs places. Vous êtes là non pas par intérêt scolaire mais grâce à votre sensibilité qui prouve l’envie de davantage de fraternité. Je vous en remercie. »

Une mémoire réveillée par l’avenir…

C’est en effet suite à la visite guidée qu’ils ont suivie dans le cadre du programme scolaire autour du Bordeaux négrier que l’idée est venue de ces élèves de 4ème. « Une élève habitant rue Gradis avait fait un compte-rendu de la visite que nous avons fait en présence de Karfa dans les quartiers sucriers. Avec Emmanuelle Samson, l’artiste en résidence au collège, nous avons tiré le fil de ces mots indignés et en sont nés des personnages fictifs auxquels les élèves ont donné une vie dans le quartier », explique Charlotte Mesure, professeure d’histoire-géographie. Après des explications plus poussées sur un passé qu’ils considéraient comme lointain, ils ont souhaité l’expliquer à leur tour à des passants qui souvent ne connaissent pas l’histoire des noms des rues qu’ils habitent. « Nous avons donc recontacté Karfa Diallo avec l’idée de poser une plaque explicative symbolique à l’angle de ces deux rues qui portent des noms de négriers et il a eu envie de nous accompagner dans la démarche », poursuit-elle. 

les élèves du collège Goya rebaptisent des rues portant des noms de négriers

La plaque interpelle le passant et questionne un passé mal ou méconnu des bordelais. « Sais-tu combien d’esclaves ont été déportés dans ce navire appelé le Patriarche-Abraham armé par David Gradis en 1730 ? Ils étaient en moyenne entre 280 et 300 esclaves à faire la traversée dans des conditions atroces. (…) Et connais-tu Paul Broca ? Mais oui, cet anthropologue qui mesurait les crânes humains, pionnier de l’anthropologie physique, considérant alors que les différences de tailles pouvaient permettre de soutenir les théories selon lesquelles les Noirs comme les femmes étaient moins « capables » que les hommes blancs ? Comment pouvait-on croire une chose pareille ? En tout cas certains l’ont cru », peut-on y lire. 

… pour que le passé ne redevienne pas futur

Après lecture de la plaque explicative par les élèves, Moshee, Pêche, Silver, Mémilo et leurs camarades se dirigent à l’angle des deux rues pour apposer le chevalet devant le panneau « stop », comme un symbole supplémentaire face à la barbarie. Nilo, 13 ans porte le lourd sous-verre à pleines mains : « c’est important de montrer aux gens ! » lance-t-il. Karfa Diallo déclame « minerai noir », poème de l’haïtien René Depestre, puis interpelle les élus : « j’espère sincèrement que la ville de Bordeaux continuera dans cette voie, on ne peut renommer les rues mais les plaques explicatives sont un commencement pour le travail de mémoire ».

Et l’importance de ce travail de mémoire via la signalétique urbaine laisse place aux questionnements sur un présent migratoire. Un fond bleu qui rappelle un océan funeste pour nombre d’âmes qui périrent en mer, mais aussi, couleur d’un ciel d’espoir sous lequel se dressent ces jeunes, avides de mémoire pour ne pas renouveler le douloureux passé.

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