@qui! : Pouvez-vous nous raconter l’histoire de l’association L’Burn ?
Anne-Sophie Vives : J’ai fait un burn-out professionnel et personnel. J’étais salariée dans le notariat. Suite à mon burn-out j’ai monté la communauté des « burnettes » fin 2018, une communauté d’entraide pour les femmes victimes de burn-out. Et puis en mars 2019, avec d’autres victimes, nous avons monté l’association, qui vient donc en aide à toutes les femmes victimes de burn-out, tout au long de la reconstruction physique et psychologique.
Je me suis rendue compte, en tant que victime de burn-out, qu’il y avait un problème de reconnaissance. J’ai eu beaucoup de mal à avoir un diagnostique, à comprendre que c’est un syndrome particulier et pas uniquement et forcément une dépression. Et surtout que c’était le parcours du combattant pour savoir quoi faire et comment le faire, pour s’en sortir. Je ne savais pas vers qui m’orienter, qui consulter ni quelles démarches il fallait faire. Le problème, c’est que lorsqu’on vient de faire un burn-out, on est extrêmement vulnérable et on n’est pas capable de faire la moindre démarche. C’est en cela que l’association offre une aide précieuse, qui n’existe pas ailleurs. On centralise tout ça, on est en quelque sorte un maillon entre ces femmes et les professionnels et les démarches.
@! : À travers quelles actions, vous aidez ces femmes victimes de burn-out?
A-S.V. : D’abord on intervient en amont, dans une phase de prévention, pour les aider à ne pas s’effondrer. Quand on est sur la phase d’effondrement, on va plutôt proposer un accompagnement individuel. Déjà pour leur permettre de les aider à s’arrêter, parce que c’est souvent la problématique à ce moment-là. On a développé dans cette phase là tout ce qui était « action dématérialisée » : permanences téléphoniques avec des psychologues, des avocats, des coaches, pour les aider et leur proposer un accompagnement individuel. On les aide à s’orienter pour avoir une prise en charge médicale, psychologique ou juridique. C’est un peu une sorte de coordination de la prise en charge. Ensuite, lorsqu’elles ont récupéré de l’énergie et qu’elles arrivent à sortir de chez elle, l’idée est de les accompagner collectivement. Pour les faire sortir de chez elle et les faire se re-socialiser. Pour cela, on propose des groupes de paroles, des ateliers comme du sport thérapeutique ou de l’art thérapie. Chacune a une programmation qui est pensée par les bénévoles. C’est un passage très important dans la reconstruction.
La dernière phase sur laquelle on intervient également, c’est la remobilisation professionnelle. C’est un projet que l’on compte développer durant les prochaines années. Au sein de l’association, on les aide à se remobiliser professionnellement puisque les bénévoles sont des victimes de burn-out. On leur donne des tâches adaptées à leur état physique et mental, ce qui leur permet de tester leurs compétences et d’en découvrir d’autres.
La sensibilisation, ça passe par des conférences sur le sujet, notamment avec le comité scientifique pluridisciplinaire, composé de médecins du travail, de médecins, d’avocats, psychologues ou encore neuropsychologues : comment le repérer, comment s’en prémunir, avec cette analyse genrée du burn-out : quelle est la spécificité du burn-out des femmes. Il ne s’agit pas de dire que psychologiquement on est plus faible, mais plutôt de voir quels sont les facteurs aggravant pour les femmes dans un contexte sociétal d’inégalités familiales et professionnelles. Plutôt analyser un système dans lequel les femmes sont plus exposées au burn-out. C’est quelque chose que l’on a décidé de développer en 2021, on a d’ailleurs demandé des fonds pour nous aider dans notre recherche.
« L’objectif est d’embaucher deux personnes cette année, dont moi en tant que directrice. »
@! : Vous avez reçu une aide de 20 000€ du Fonds social européen par le biais de la Région, en quoi va-t-elle vous être bénéfique?
A-S.V. : Il faut savoir que depuis mars 2019, on fonctionne uniquement sur le bénévolat. Même le comité scientifique l’est. Aujourd’hui, on a besoin de pérenniser des emplois, pour pouvoir développer la partie sensibilisation des entreprises. Parce que pour l’instant on éteint l’incendie mais on a besoin de faire de la sensibilisation et de la prévention. Donc cela va nous permettre de procéder aux premières embauches, le temps que la structure notre modèle économique. L’objectif est d’embaucher deux personnes cette année, dont moi en tant que directrice.
@! : Quels sont les projets sur lesquels vous allez vous concentrer en 2021?
A-S.V. : Cette année, on va vraiment travailler sur la reconstruction post-burnout et dans cette phase là on va pouvoir travailler sur la sensibilisation. On a vraiment le souhait de développer la sensibilisation en entreprise. Parce que je me suis rendue compte que c’était tabou et que les managers n’étaient pas vraiment formés à ça. Le but est vraiment de pouvoir libérer la parole.
Et le second plan sur lequel on va se concentrer et qui est très important, c’est la réinsertion professionnelle. Pour l’instant on est sur de la remobilisation au sein de l’association. L’objectif c’est de réfléchir à des parcours d’accompagnement très spécifiques aux femmes victimes de burn-out. C’est-à-dire avec une approche qui lierait à la fois thérapie et insertion professionnelle, en tenant compte des troubles cognitifs, des syndromes post-traumatiques. Le but est d’inclure dans la boucle des entreprises qui s’engageraient dans une politique d’inclusion des victimes de burn-out. Avec des sortes d’essais en entreprise où on pourrait enfin déstigmatiser les victimes de burn-out. Parce que aujourd’hui c’est un vrai frein à l’embauche.
On espère aussi, à terme, avoir nos propres locaux. On demande des fonds pour faire de la recherche sur le sujet. On a commencé à faire des premières enquêtes auprès de nos bénéficiaires pour analyser les spécificités. Il y a plusieurs grands axes pour l’instant qui se détachent : la difficulté à concilier vie privée et vie professionnelle, on constate aussi que les métiers à prédominance féminine sont plus sujets aux risques psychosociaux, notamment les professions du Care. Les questions de harcèlement et des inégalités professionnelles sont aussi considérées comme des facteurs d’épuisement.
@! : Comment une association qui est basée sur le relationnel, tient le bon bout face à une telle crise sanitaire? Et quels constats avez-vous faits, en termes de victimes de burn-out?
A-S.V. : Avec la crise sanitaire, on a constaté une hausse importante de bénéficiaires, notamment à partir du premier déconfinement. Avec des secteurs plus touchés que d’autres, notamment les soignants qui ont dû continuer dans un contexte anxiogène, mais aussi des professeurs qui avaient des directives qui changeaient quotidiennement, ce qui engendre beaucoup de tensions, de violence verbale, et qui découle sur des souffrances psychiques au travail. Cela entraine une réelle porosité entre vie professionnelle et personnelle.
Dès la première semaine, on a tout basculé en visio ou par téléphone parce qu’on avait des personnes qui étaient en grandes difficultés à ce moment-là, on ne pouvait pas les laisser tomber. On s’est adapté, comme tout le monde. Au début on était assez dubitatif parce qu’on est quand même dans de l’humain, mais on se rend compte qu’on arrive quand même à faire des choses dans la mesure du possible, et surtout de maintenir ce lien, et de toujours aider.