Pour Boris Cyrulnik, le célèbre neuropsychiatre français, les deux pavés mémoriels posés en mémoire de ses parents, morts en déportation sans sépultures, devant leur ancienne habitation au 60 rue de la Rousselle, a constitué une grande étape de sa vie. « J’ai dû ignorer où était la mort de mes parents, ce qui était source de honte et de culpabilité, racontait celui qui a échappé à la rafle de la grande synagogue de Bordeaux du 10 janvier 1944. Grâce à la ville de Bordeaux et à vous, qui participez enfin à l’enterrement de mes parents, c’est la reconnaissance qu’ils ont été vivants », expliquait-il sous le regard de nombreux bordelais venus assister à la pose, 80 ans jour pour jour après ce terrible épisode.
Les villes de Bordeaux et de Bègles ont été les deux premières grandes villes de France a adhéré au concept des Stolpersteine, des pavés de bétons recouverts d’une plaque de laiton gravée en la mémoire des victimes déportées par l’Allemagne nazie.
Nadya et Aaron Cyrulnik ont été déportés en 1942 avant d’être assassinés respectivement en 1943 et 1942.
Un projet lancé par l’Université Bordeaux Montaigne
Créés par l’artiste allemand Gunter Demning, ces « pavés sur lesquels on trébuche » (littéralement Stolpersteine) ont pour objectif d’être installés devant les anciennes habitations des victimes de déportation afin de leur rendre hommage. Depuis 2017, 17 Stolpersteine ont été implantés dans le sol bordelais dans le cadre d’un projet lancé par l’Université de Bordeaux Montaigne, puis repris par la ville sous l’égide de Pierre Hurmic. Cette dernière a mené depuis 2022 une première série de poses de pavés en la mémoire de victimes juives de Shoah, tels que les parents de Boris Cyrulnik.
En parallèle, la municipalité a formé un groupe de travail, composé de plusieurs associations telles que Les Amis de la Fondation de la Mémoire de la Déportation ou encore de l’association du Souvenir des fusillés de Souge. Leur mission : proposer des noms de bordelais victimes de la déportation nazie à honorer. « On nous a demandé de proposer des noms de femmes qui habitaient dans un quartier où il n’y avait pas encore de pavés mémoriels », explique Carole Lemee, anthropologue, enseignant-chercheur à l’Université de Bordeaux et membre du groupe de travail.
10 nouveaux pavés posés en 2024
L’universitaire a notamment proposé le nom de Germaine Bonnafon, résistante et survivante des camps, dont la pose du pavé éponyme est prévue pour 2024. La chercheuse a connu l’ancienne membre de la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes, et sait qu’elle souhaitait que la mémoire des histoires de déportation perdure. « Je l’ai aussi choisie car elle a œuvré pour la résistance dès la première heure, en 1940 avec son père », ajoute-t-elle. Avant d’envoyer ses propositions à la ville, Carole Lemee demande toujours une autorisation auprès des familles des défunts concernés « pour des raisons d’éthique ».
D’ici la fin de l’année, 10 nouveaux pavés seront posés à Bordeaux. « J’ai eu l’occasion d’en installer quelques-uns, je compte bien continuer », annonçait Pierre Hurmic après avoir posé les pavés en la mémoire de Nadya et Aaron Cyrulnik.
A la demande de la famille, le pavé en la mémoire de Germaine Bonnafon sera accompagné d’une deuxième pierre au nom de son père, lui aussi déporté. « Parmi les personnes dont la mémoire sera honorée, on peut citer Joseph Benzacar, qui fut adjoint au maire de Bordeaux, mort à Auschwitz », complète Olivier Escots, adjoint au maire chargé du handicap et de la lutte contre toutes les discriminations.