Un effet miroir pour le moins décapant lorsqu’il s’agit pour ces metteurs en scène et chorégraphes de jauger de la folie des hommes, de la lente dégradation des corps, ou bien encore de notre chère Europe libérale.
Deux personnalités atypiques pour deux expériences inédites
Après avoir créé l’événement l’année passée dans la cour d’honneur du Palais des Papes à Avignon, Jean-François Sivadier déplace son « Roi Lear » et ses troupes à Bordeaux, salle Antoine Vitez. Venus nombreux défendre le blason de leurs armoiries respectives, les comédiens interpréteront avec fracas et conviction cette pièce de la folie meurtrière et de la guerre de pouvoir fratricide, aux multiples intrigues et personnages. Crimes, sang, vengeance, fureur, trahison, tous ces thèmes symptomatiques de l’écriture shakespearienne seront présents au fil des pages et il faudra 3H45 au metteur en scène pour explorer entièrement ce texte fleuve. Un véritable défi physique pour les comédiens qui auront la charge d’interpréter « des blocs d’instincts en fusion », en se jetant à corps perdus dans leur rôle jusqu’à l’ultime cataclysme. Si la durée peut effrayer, le succès de la pièce semble reposer sur l’énergie collective déployée et le grain de comédie qui parcourt la mise en scène de bout en bout.
En réponse à la folie du « Roi Lear » datant du XVIIe siècle, celle décrite dans la pièce d’Antonio Tarantino est toute contemporaine. S’appuyant surles relations entre un infirmier et son patient schizophrène, l’auteur italien, récemment primé pour ses œuvres, développe une écriture singulièrement syncopée, alternant moments itératifs et obsessionnels avec une prose rageuse et puissante. Loin des poncifs en la matière, il transcende le thème de la maladie psychique pour livrer un texte qui puise sa force de sa matière même et des visages qui l’incarnent. Servi par des comédiens férus de l’auteur, ils nous convoquent à une expérience linguistique à la frontière du free jazz et du surréalisme poétique. Une plume supplémentaire à découvrir…
Photo : Brigitte Enguerand, A. Blain